Il resta assis, agacé contre lui-même. Tu es un imbécile, se gronda-t-il. Elle esquisse un sourire, et qu'est-ce que tu fais ? Tu fixes sa bouche comme si tu voulais la dévorer toute crue.
Où avait disparu sa subtilité ? Et sa dignité ? Seul un mufle éprouverait des sentiments lubriques pour une veuve. Or, c'était indéniable : il avait envie d'elle. La sensation était familière, mais jamais une femme ne lui avait inspiré une émotion aussi violente.
Peut-être était-il tombé sous son charme ? Il était heureux de l'avoir presque fait sourire. Comme l'avait dit lady Gaddlestone, la malheureuse avait besoin de s'amuser.
Or il n'avait pas prévu que l'esquisse d'un sourire aurait sur lui l'effet d'un coup de poing au cœur.
Elle est belle, charmante, docile, fortunée, et pour des raisons inexplicables, elle t'adore. Que diable cherches-tu ?
Il l'ignorait lui-même, mais il savait qu'il n'avait pas encore trouvé l'âme sœur, celle qui allumerait en lui cette étincelle particulière qu'il voyait dans les regards d'Austin et d'Elizabeth. Qu'il décelait quand Caroline et son mari Miles se trouvaient dans une même pièce, ou quand son frère William souriait à sa femme Claudine. Il voulait cette plénitude que connaissaient ses frères et sœurs. Ses parents l'avaient connue, eux aussi, jusqu'à la mort de son père. Il voulait une épouse pour partager sa vie, son lit et ses rêves.
Jamais aucune femme n'avait semblé si parfaite entre ses bras. Comme si elle avait été façonnée pour lui. Se hissant sur la pointe des pieds, elle s'appuya contre son torse. Désormais, il ne pouvait plus rester maître de lui. Un grognement monta du fond de sa gorge. Il toucha la commissure de ses lèvres avec la pointe de la langue, et elle entrouvrit la bouche avec un soupir qui lui fouetta le sang.
Elle avait le goût d'un vin capiteux, doux et voluptueux, enivrant. Alors qu'il explorait les mystères de sa bouche, elle lui rendit la pareille avec une même ferveur, leurs langues se mêlant. Le désir le transperçait.
Comment lui expliquer qu'elle portait des vêtements de deuil parce qu'elle n'avait pas les moyens de s'en offrir d'autres ? Pour la bonne raison que son mari avait été un criminel de bas étage, et qu'elle devait rembourser les personnes qu'il avait dépouillées.
Les vêtements de deuil lui permettaient d'économiser de l'argent et lui procuraient un autre avantage : ils effrayaient les prétendants. Elle ne voulait en aucun cas entendre parler d'un autre soupirant.
Et puis, il y avait sa beauté. Il connaissait des dizaines de femmes magnifiques, mais aucune ne l'émouvait comme celle-ci. Elle avait quelque chose de solitaire, de triste et de vulnérable dans le regard qui lui serrait le cœur.
Il soupira tristement. Il ne voulait pas ressentir ce genre d'émotions pour une femme dont le cœur appartenait à un autre et qui habitait un autre continent. Pourquoi diantre ne pouvait-il les éprouver pour une jeune Anglaise ?