Je débouche une bouteille de Lambrusco rosé bien frais. Un vin italien pour l'histoire d'un homme, un jardinier qui retrouve sa terre natale, son Italie après un séjour en Argentine pour retrouver la femme qui l'aimait.
Mais avant de te raconter cette histoire de chevaux, je te parle de la plume d'Erri de Luca, de ses phrases aussi courtes que le souffle divin d'une femme en train de faire l'amour.
Car l'écriture a cette sensualité, la beauté des mots comme la beauté du corps d'une belle argentine, d'une belle italienne.
Des métaphores et de la passion qui enveloppent les disparitions et les morts d'une dictature.
Comment ne pas tomber sous le charme de cette écriture des premiers instants.
« Je lis seulement des livres d'occasion.
Je les pose contre la corbeille à pain, je tourne une page d'un doigt et elle reste immobile. Comme ça, je mâche et je lis.
Les livres neufs sont impertinents, les feuilles ne se laissent par tourner sagement, elles résistent et il faut appuyer pour qu'elles restent à plat.
Les livres d'occasion ont le dos détendu, les pages, une fois lues, passent sans se soulever.
Ainsi, à midi, au bistrot, je m'assieds sur la même chaise, je demande de la soupe et du vin et je lis.
Ce sont des romans de mer, des aventures de montagne, pas des histoires de ville, je les ai déjà autour de moi.
Je lève les yeux, attiré par le reflet du soleil sur la porte d'entrée par laquelle ils entrent tous les deux, elle dans un air de vent, lui dans un air de cendre.
Je reviens à mon livre de mer : il y a un peu de tempête, force huit, le jeune homme mange avec appétit tandis que les autres vomissent. Puis il sort sur le pont, se tenant solidement sur ses pieds parce qu'il est jeune, seul, tout à la joie de la tempête.
Je détourne les yeux pour couper de l'ail cru sur ma soupe. J'avale une petite gorgée d'un vin rouge âpre, qui sent le fût.
Je tourne les pages dociles, des bouchées lentes puis je lève la tête du blanc du papier et de la nappe, je suis la ligne de carrelage qui fait le tour de la pièce et qui passe derrière deux pupilles noires de femme, mises sur cette ligne comme deux « mi » fendus de la ligne basse d'une portée musicale. Elles sont pointées sur moi.
Je lève mon verre au même niveau et je le laisse en l'air avant de boire. Cet alignement force mes pommettes à ébaucher un sourire. La géométrie des choses environnantes fait naître des coïncidences, des rencontres.
La femme, de face, me sourit… »
Comment ne pas tomber amoureux de ces pupilles noires, ce regard pénétrant qui fixe ton verre de vin.
Elle s'assoit devant moi, sur cette chaise de bistrot, une aubergine rôtie et sa mozzarella di bufala dans une assiette. Ce parfum enivrant, ses effluves qui se mêlent au basilic frais. Un air d'Italie souffle sur la terrasse ensoleillée, ce midi.
Je sors de la poche de ma veste ce livre d'occasion qui est passé de main en main, d'amitié en amour. Je caresse ses pages, lisse sa couverture, respire son parfum. Un tout petit livre mais plein de bonheur qui mélange l'Italie et la Patagonie, les fragrances des piémontaises à celles des argentines et qui lie les métaphores à la beauté naturelle.
Comment ne pas se reconnaitre dans ce type, simple et jardinier, assis à l'ombre d'une terrasse avec un verre de vin et un vieux bouquin pour simple compagnie. Oui, ce type pourrait être moi. Et cette femme, de face, qui me sourit… A moi ? Je détourne les yeux, plonge mon regard dans mon verre, et bois une dernière gorgée de ce vin rouge et âpre avant d'achever ma lecture.
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