Les Chroniques de la Lune Noire occupent une place à part tant dans ma bibliothèque (vu le volume physique de la série…) que dans mon parcours de lecteur.
Embarqué que j'ai été dès la première heure sitôt paru le Signe des Ténèbres au siècle dernier, cette saga au long cours m'a vu grandir. 1989-2021… Trente-deux ans que ça dure, presque autant qu'un fils de Dieu…
Le premier point positif de cet appel du général de Gueules aura été d'avoir su créer une attente. La même attente que quand j'avais une quinzaine d'années et que je guettais les sorties BD en trépignant comme un berserker qui vient de bouffer la moitié de son bouclier.
Attente en termes de sortie, attente aussi en termes de retrouvailles. Avec les personnages, l'univers, l'histoire, l'ambiance des Chroniques, et avec le plaisir éprouvé a long time ago quand j'ai découvert tout ça.
Si le plaisir des retrouvailles est on ne peut plus subjectif et variable d'un lecteur l'autre, il n'en passe pas moins par un critère tout ce qu'il y a d'objectif : le prisme de l'adaptation.
De Gueules suit une démarche de transcription : transformer le combo dessin-texte en texte tout court. Si l'exercice peut sembler facile, vu que tout le contenu est préexistant et qu'il n'y a qu'à se baisser pour le ramasser, encore faut-il, au-delà de la lettre, en restituer l'esprit. Savoir se réapproprier l'oeuvre tout en lui restant fidèle, dans un cadre défini qui est autant un garde-fou qu'une prison, avec en prime la difficulté de passer le cap du changement de média, puisque, pour une même histoire, on ne raconte pas la même chose et surtout pas de la même façon dans un roman, une BD, un film, une pièce radiophonique ou un spectacle de mime.
Pari réussi pour de Gueules, qui s'impose comme une excellente adaptation. On retrouve tous les éléments en dur de la bande dessinée (personnages, lieux, événements), baignant dans le même état d'esprit que celui des tomes concernés (Le Signe des Ténèbres, le Vent des Dragons et La Marque des Démons), avec du sombre, de l'épique et du potache. le roman se montre très conforme à la BD, logique quand on sait que
Froideval ne s'est pas contenté de céder les droits d'adaptation et de partir ensuite siroter des cocktails sur une plage des Bahamas en mode “après moi le Déluge et démerdez-vous”. Son nom sur la couv' n'est pas là pour faire joli ; d'après mes sources, le gars François est partie prenante du bousin, impliqué jusqu'au cou, et c'est à lui que revient le final cut. Donc si vous avez peur que le roman ne corresponde pas à la BD, vous pouvez arrêtez de trembler dans vos caleçons et être rassurés : 100% fidèle, à défriser la barbe de Castro.
De Gueules, c'est ça : du dessin textualisé, le degré ultime de l'art ASCII. Debats a su restituer l'univers et l'ambiance, reprendre ce qu'il fallait des textes originaux (dialogues et narration), convertir sans l'appauvrir le dessin en texte, ajouter du liant, des détails par ci, des noms par là pour certains PNJ anonymes dans la version de base, bidouiller les changements nécessaires pour qu'ils fassent sens sans être trop désarçonnants pour les briscards, assaisonner le matériau des trois premiers tomes en piochant des éléments dans la préquelle (En un jeu cruel) et dans la série dérivée des Arcanes de la Lune Noire.
Donc bien fichu. Et pertinent. Parce que juste bien fichue, la démarche n'aurait aucune espèce d'intérêt pour n'être qu'une bête redite. Là, dans la façon de procéder, le roman ne se limite pas à un simple produit dérivé, il propose une autre façon de raconter la même histoire, conforme au canon mais avec sa personnalité propre. Il existe à la fois en parallèle à la bande dessinée – dont il reprend l'ADN, le squelette et l'essence – et en soi – puisqu'il est complet et qu'on en sort sans avoir l'impression qu'il manque quelque chose.
Alors sauf à être de mauvaise foi ou à passer à côté de la dimension spécifique de l'adaptation (spoiler : y a pas d'images), les lecteurs de la BD s'y retrouveront avec ce roman, à la fois pareil et différent.
Pour ma part, le kif a été le même qu'il y a trente ans. Plaisir des retrouvailles avec Wismerhill, Pile-ou-Face, Feidreiva, Ghorghor Bey… plaisir de revoir germer comme au premier jour les manigances de Haazeel Thorn, Greldinard, Urmacht, Fratus Sinister… plaisir renouvelé de suivre pour la douze millième fois le destin des uns et des autres, même si je sais déjà comment ça va se terminer pour chacun d'entre eux (l'empereur Haghendorf finira assassiné par Frodon avec le chandelier dans la bibliothèque de Poudlard).
Seul défaut de ce bouquin, je ne trouve rien à lui reprocher, pas moyen de pousser un coup de Gueules. Mais comme je viens de placer mon calembour à deux ronds cinquante, l'absence de faute est pardonnée.
Chronique beaucoup plus complète et beaucoup plus drôle sur le blog (lien ci-dessous).
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