Rives et dérives

Rives et dérives est un recueil qui porte bien son nom, emmenant le lecteur dans un océan inconnu où s'entrelacent les joies, les bonheurs, mais aussi les tracas et soubresauts de la vie. Car, l'auteur dans des vers aux mots subliment ciselés, telle une douce ballade aux sons enchanteurs, ne se contente pas d'évoquer l'existence au quotidien, surpassant ce cliché banal, en exhalant dans un rythme musical, sa prose poétique, pour offrir un chant d'espoir à tous les oubliés de la terre, les naufragés, les migrants, les sans-abri, devoir obligé pour un poète au ton sensible, à l'émotion contenue, à la verve rhétorique franche, mais jamais moralisatrice. Charnel moment de poésie délicate, compatissante, revenant comme un reflux permanent d'une rive à l'autre, en se ressourçant à la fontaine des amours perdus, des solitudes imposées, des souvenirs nostalgiques, d'un univers intime où les vagues de l'existence bousculent les individus ici comme là-bas.

J'adore découvrir un poète qui bouscule mes préjugés. Surtout quand ceux-ci sont d'autant plus ancrés que l'expérience les confirme la majeure partie du temps. Notamment: plus personne ne sait rimer. Je parle de la vraie versification, l'exigeante, la musicale, la technique, pas de l'imbécile heureux qui fleurit sur les légions de plateformes pseudo-littéraires et compte les syllabes sur ses doigts en se prenant pour un artiste, et en plagiant avec maladresse les poètes maudits chers au coeur des adolescents. Monsieur Dejean fait exception. Pas de ces envolées obsolètes, de ces clichés insupportables qui vous font regretter les pelotons d'antan, pas de cette immaturité maladroite qui caractérise les poètes contemporains se réclamant "classiques", pas de cette médiocrité stylistique et technique rendant plus douloureux encore le ridicule des prétentions de ces pseudo-poètes. Les vers sont beaux, la langue est musicale, pudique, le rythme soigné et incroyablement juste, bref je pourrais citer Toulet, Nerval ou Aragon dans ses bons jours, ce serait faire justice à la maîtrise tranquille de l'auteur et à la réelle émotion qui se dégage de ce recueil, mais je m'en dispenserai, pour dire simplement: merci. Et bravo.