Un taxi mauveMichel Déon (1919-2016)
Grand Prix de l'Académie française 1973
le taxi mauve, c'est la voiture originale de l'inénarrable Dr Seamus Scully, personnage fantasque de ce récit, ami du narrateur.
le narrateur mène une vie retirée dans la campagne irlandaise avec son chien Grouse, ses disques et ses livres, et lors d'une partie de chasse fait la connaissance de Jerry Kean, descendant d'une grande famille qui a fait fortune en Amérique.
Jerry est un charmant jeune homme qui a déjà bien bourlingué et beaucoup fumé d'opium à New York. Il est venu se mettre au vert en Irlande.
Arrive alors en la verte Erin sa soeur Sharon, la princesse au charme acide. Elle a épousé un prince allemand et vit une vie de châtelaine. Sharon l'écervelée parle trop et assomme son auditoire d'inattendus. Une fille longue au visage étiré fendu d'yeux de biche, avec de belles mains aristocratiques qui semblent ne savoir manier que le fard et qui en réalité connaissent bien des secrets. Sa myopie lui prête un flou distingué et l'isole du monde. Une créature souveraine dont l'aisance fleure le dédain, mais dont le charme vénéneux trouble notre narrateur bien qu'elle ait tout pour agacer.
On fait ensuite connaissance de Taubelman, un homme hors du commun, un géant fabuleux qui a une fille qui ne parle pas. Mais qui retrouvera la parole dans des circonstances dramatiques. Anne à la magnifique et lourde chevelure noire adore le cheval et suscite l'intérêt du narrateur.
Taubelman fascine par ses talents de conteur, roi du discours et poète inspiré, tout autant qu'il répugne, véritable Gargantua lorsqu'il se met à table. Taubelman, un véritable héros de roman, avec ses outrances et ses ruses que le temps se chargera de démasquer au fil des pages.
Arrive ensuite Moïra, une belle brune pulpeuse aux yeux verts, au teint clair, irlandaise à mille pour cent, vedette de cinéma suivie de sa cour d'alcooliques et d'homosexuels.
Peu à peu, on en vient à se demander si Taubelman est vraiment le père d'Anne et la vérité va se révéler par petites touches : Taubelman aurait eu un frère dont la vie se mêlait à la sienne au point qu'ils avaient eu la même femme, Maria
Schmitt del Tasso, pianiste célèbre, et d'elle une fille dont ils s'étaient disputé la paternité sans jamais pouvoir résoudre le problème.
Un très beau roman plein de charme et de mystère, se déroulant au coeur de la campagne irlandaise brumeuse aux tons délavés, subtilement écrit avec en musique de fond la Sonate en la majeur opus 120 de Schubert. Une galerie de personnages insolites grands amateurs de stout et de wiskey, et d'intrigues amoureuses. Comme l'ont dit certains critiques, l'intrigue est mince mais l'intérêt est ailleurs, notamment dans les descriptions somptueuses du comté de Clare et du Connemara.
Extrait : « C'était bien Anne, et quand nous approchâmes, courant dans les derniers cent mètres, la marée montante lui léchait déjà les pieds. Étendue sur le dos, un bras replié sous elle, maculée de vase, elle offrait au ciel son visage livide sur lequel le sang coulant du front avait déjà séché, engluant une paupière et les cheveux épars. Je défis son blouson de daim et passai la main sur sa poitrine. Une mince chemise protégeait un sein tiède qui se soulevait par saccades. »