« Citez-moi, je vous prie, les plus grands poètes français du XXème siècle.
-
Apollinaire, le défricheur de la modernité,
Eluard le sensible,
Aragon le lyrique, Char l'hermétique,
Prévert le populaire...
- Et
Desnos ?
- Ah oui,
Desnos, bien sûr ! »
Bien sûr,
Desnos ! Comment ai-je pu l'oublier ?
Il faut bien l'avouer,
Robert Desnos – tout comme
Philippe Soupault avec qui il s'apparente beaucoup – souffre d'un manque criant de notoriété. Sur les photos de famille, il est comme ce cousin effacé au deuxième ou troisième rang. Il ne fait pas partie des personnalités du premier rang, mais il tient sa place, modestement, mais fermement. On connaît le nom, qui a été donné ça et là à quelques rues ou établissements scolaires, mais que sait-on de l'oeuvre, à part quelques
poèmes mis en musique par
Joseph Kosma (
La Fourmi, chanté par
Juliette Gréco) ou par
Julos Beaucarne (
Le Pélican, chanté par l'artiste wallon) ou encore quelques unes des Chantefables qu'apprennent encore les jeunes écoliers ? Certes il n'a pas bénéficié de l'apport médiatique d'un
Aragon ou d'un
Prévert, il n'a pas eu très tôt l'auréole poétique d'un
Eluard ou d'un
René Char, mais la trajectoire de sa vie et de sa production poétique aurait dû suffire à lui établir une réputation durable. Alors ? Modestie naturelle ? Refus des honneurs et de la gloire ? Ou bien malchance, ou pire, cabale des opposants ? Qui peut le dire ?
Une chose est certaine.
Desnos, comme
Aragon, comme
Eluard, avait reçu le don de poésie. Mais au contraire de ses illustres confrères et – du moins pendant un certain temps – amis, il n'en était pas pénétré. La poésie de
Desnos a quelque chose de naturel, extrêmement proche de nous, quelque chose d'actuel pour ainsi dire. Si la musicalité des vers d'
Aragon nous a valu des chefs-d'
oeuvre signés Ferrat ou Ferré, celle des vers de
Desnos nous tournerait plutôt vers la bande dessinée ou les séries populaires – il n'est pas étonnant qu'il ait signé la Complainte de Fantômas ! -. Poésie contemporaine, donc, mais en même temps intemporelle, parce qu'elle brasse des thèmes éternels, l'amour, la mort, l'engagement, la destinée – un de ses recueils posthumes s'intitule
Destinée arbitraire, admirable tautologie ! –
Desnos n'est pas un albatros, un « prince des nuées », et la fonction sociale qu'il donne au poète est seulement celle du témoignage, voire de la dénonciation de l'injustice, surtout il se veut – en tous cas il se démontre – rapporteur des grandeurs et petitesses de la condition humaine, ce qui, à mon sens rejoint le vrai rôle de la poésie.
Corps et biens (1930) est une oeuvre-clé dans la production littéraire de
Robert Desnos : elle fait le lien entre la période surréaliste (rêve éveillé, langage cuit, imaginaire débridé) avec la période suivante, plus apaisée, plus classique, en somme, mais avec toujours ce même sens du merveilleux, de l'étonnement perpétuel, cette proximité avec le lecteur qui finit par se reconnaître dans le poète en partageant ses émotions.
Robert Desnos c'est du vécu, et du vécu transmis. Et c'est pour ça qu'on l'aime.