L'écrivain et psychanalyste
Gustavo Dessal traque les failles où notre perception du monde se dérobe. Ce moment, « là mais où, comment » (pour reprendre la formule de maître
Cortazar) où se soulève brièvement le voile que notre psyché projette sur la réalité, où se dénouent les illusions d'amour et d'indifférence, de triomphe et de défaite.
L'influence de l'auteur d'Axolotl se fait sentir non seulement sur le plan thématique mais aussi narratif, par un emploi systématique du discours indirect libre, qui contribue au flottement de la réalité. Avec « le refuge », Dessal va même jusqu'à pasticher «
Tous les feux le feu » ou « La nuit face au ciel », en reprenant à son compte la technique narrative consistant à superposer deux récits très différents, qui convergent en un point de collision fatal.
On est plus dans le psychologique que dans le fantastique, mais le macabre et le grotesque sont rarement très loin des abîmes qui s'ouvrent en des chutes parfois très brutales, qui me semblent constituer la touche Dessal. On atteint par ce biais des sommets d'humour noir corrosif avec la nouvelle éponyme et « Adelina », chronique pince-sans-rire de haine entre une mère et sa fille attardée mentale.
Mais Dessal est également un poète, qui maîtrise l'art du leitmotiv comme le prouve « Nous sommes restés seuls », à mon sens la pièce maîtresse du recueil, un piège temporel qui cherche à capturer le passé au rythme d'une mémoire concentrique, voire à abolir le temps comme la musique peut parfois en donner l'impression. La mort y apparaît de façon symbolique comme un vieil homme chutant d'une bicyclette. Au sens psychanalytique, cette image de la bicyclette fait office de signifiant chez Dessal, car elle occupe également une place déterminante dans la dernière nouvelle, virée enthousiasmante dans une science-fiction post-apocalyptique et transhumaniste, jolie pirouette qui voit l'auteur s'affranchir des univers cortazariens et voler de ses propres ailes… à bicyclette.