AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
3,46

sur 353 notes

Critiques filtrées sur 4 étoiles  
L'Anti-monde, caverne virtuelle pour Geeks enchainés ?

Bienvenue dans le métavers, monde virtuel immersif, écosystème ludique tellement réaliste que les joueurs interconnectés via leurs avatars ne se rendent rapidement plus compte qu'ils sont dans une simulation et ont l'impression de devenir des hologrammes, de vivre la vie de leurs avatars, reléguant parfois au second plan leur vie réelle. D'où l'importance des casques virtuels et des capteurs digitaux, ces technologies de réalité augmentée pour atteindre un niveau d'immersion total. Prison numérique comme dans Matrix des frères Wachowski ou au contraire moyen de compenser une réalité devenue invivable comme dans Ready player one de Spielberg, cité terrestre ou cité céleste ? Telle est la question en filigrane de ce livre…Dans tous les cas, cet enfer, ou ce paradis, devient quelque chose de plus en plus tangible, depuis octobre 2021, après que Mark Zuckerberg ait rebaptisé Facebook en « Meta », dévoilant ainsi qu'une large part de son activité sera désormais dédiée à l'élaboration d'un métavers baptisé Horizon Worlds.

Le métavers de Nathan Devers s'inspire de ce dernier. Ambitieux, voire grandiloquent, il consiste en effet à synthétiser la totalité de la planète, le moindre lieu, le moindre bâtiment. Il a pour mission de refaire le monde dans sa globalité dans tous ses détails et de le repeupler. Pas étonnant que son concepteur, un certain Adrien Steiner dans le récit, mégalomane et mystique, se prenne pour un Dieu, baptisant même son entreprise Heaven. Il saura le peupler au bon moment, attendant précisément la fin du confinement pour révéler Heaven au public. Un coup de maître dont le processus est bien décrit par l'auteur.
C'est dans ce nouvel Eldorado que Julien Libérat, musicien raté qui vivote grâce à de petits cours privés de musique qu'il donne en tant qu'auto-entrepreneur, mis à la porte par sa compagne qui n'en pouvait plus de son manque d'ambition, obligé de déménager dans un triste et minable appartement à Rungis, va s'inscrire à cet Antimonde, « le jeu vidéo que vous allez préférer à la vie ! » Nom d'avatar : Vangel.

C'est fascinant de voir ce nouveau monde se déployer. Captivant de voir tout d'abord cette Terre virtuelle vide, entièrement vide, puis de la voir se peupler doucement au fur et à mesure de l'augmentation du nombre des abonnements. Concernant notre Julien Libérat, enfin notre Vangel, nous assistons à ses premières actions assez farfelues pour tester sa présence à l'Antimonde, jusqu'au développement de complexes investissements immobiliers, lui permettant de devenir riche, très riche. du moins virtuellement. Un VIP de l'Anti-monde entouré de vingt-sept gardes du corps. de quoi démissionner de son travail avec lequel il survit dans la vraie vie.


Le récit ne manque pas d'humour, car il est possible d'assouvir des envies folles, comme celle de tuer quelqu'un (mais attention nous devenons alors nous même mortel, cible de futurs tueurs), celle de faire un aller-retour à l'autre bout du monde juste pour se baigner dans une piscine particulière…ou de faire l'amour selon toutes les positions du Kama-sutra…notre Vangel ne va pas trop aimer cette dernière expérience…C'est jubilatoire, férocement jubilatoire. Il faut dire que la dotation aléatoire en parties intimes n'a pas été généreuse avec notre homme.

Fascinant, alors que le métavers n'a jamais été aussi proche, de comprendre les motivations profondes des abonnés à travers ce récit. « Quels ressorts psychiques poussaient un individu à dupliquer sa présence au monde ? Pour quelles raisons les membres de l'Antimonde poussaient-ils plus de temps à s'occuper de leur anti-moi que d'eux-mêmes ? ».


On les pressent, ces raisons sont multiples et le texte les aborde avec beaucoup de clarté. Toutes, en filigrane, portent le sceau du narcissisme. L'Avatar, c'est notre reflet idéal, refoulé, dont nous tombons éperdument amoureux, après lequel nous ne cessons de courir, en vain, parfois jusqu'à devenir fou, parfois jusqu'au suicide.

Plus précisément, c'est tout d'abord la possibilité d'inverser les rapports de force, de permuter les coordonnées de la vie, d'inverser les rôles. de rendre visible ce qui demeurait occulte jusque-là, de cacher au contraire ce qui est omniprésent en nous. « de transformer les riches en pauvres, les chômeurs en millionnaires, les frustrés en partouzeurs, les libertins en prêtres, les moralistes en criminels, les timides en stars et les génies en fous ». Les avatars peuvent en effet faire ce dont leur moi réel ne fait pas forcément, ou pas forcément bien, dans la vie : voyager, acheter des vêtements et même des maisons, fonder une entreprise ou commettre des meurtres, enseigner à l'université, sauver des vies, ou s'entrainer à la plongée sous-marine, trouver l'amour ou se lancer dans une carrière politique. Ces personnes peuvent ainsi fuir une vie réelle dénuée d'intérêt, compenser avec une vie concrète rebutante, devenant ainsi des possédés, des geeks sur qui le monde n'a plus de prise. L'antimonde leur offre la possibilité d'avoir une vie privée rêvée à l'intérieur de leur morne vie privée.

Pour d'autres c'est peut-être plus positif, c'est la possibilité de se glisser dans la peau d'un autre et de vivre autrement, d'avoir une sorte de guide pour apprendre, apprendre à avoir davantage confiance en soi, apprendre à séduire, apprendre à devenir père ou mère. Une chance incroyable d'avoir une ardoise magique à portée de main, d'avoir droit à l'erreur, à tester. le rêve.

Quelles que soient les raisons, elles trouvent toutes leurs racines dans les circuits psychologiques de la récompense libérant de la dopamine rendant cette expérience totalement addictive. Mais n'est-ce pas déjà le cas avec les réseaux sociaux et certains jeux de réalité augmentée dont l'addiction repose sur ces jets de dopamine nourris aux like ? La différente fondamentale entre internet et l'Antimonde est la perte de l'anonymat selon Adrien Steiner.

« Dans le monde, les hommes ne pensent qu'à leur propre nombril. Orgueilleux, narcissiques, ils sont prêts à s'affirmer par tous les moyens, y compris les plus mesquins. Chez nous les joueurs apprendront à vivre incognito. Ils goûteront aux charmes de l'anonymat. Tous cachés derrière des avatars, ils seront bien obligés de perdre leur amour-propre ».


Nous touchons sans doute là l'essence du livre, comme le laisse présager sa superbe couverture montrant un Narcisse découvrant son reflet dans une flaque d'eau et tombant éperdument amoureux de ce reflet, de sa beauté…Le reflet, l'avatar, met en valeur l'importance que nous octroyons à notre personne, l'image que nous voulons laisser, la reconnaissance que nous désirons ardemment dans un monde ultra connecté où il est possible de connaitre, de voir la vie de tous. Comment, dans ces conditions, se différencier, s'élever, sortir de l'indifférence ? Julien Liberat trouvera la solution ultime en filmant et mettant en ligne sur les réseaux sociaux son suicide. C'est cette même peur de l'indifférence qui avait poussé Julien à ouvrir un compte dans l'antimonde. Mais l'anonymat, base fondamentale de ce « jeu », pierre angulaire ne permettant à aucun avatar de voler la vedette, sera préjudiciable à Julien au fur et à mesure de sa gloire virtuelle, va l'enfermer dans un piège de folie dont il ne sortira pas indemne. Impossible, dans l'anonymat, de rattraper son reflet qui ne reste qu'un vague reflet dans le marais de nos fantasmes…

Si les raisons sont très bien mises en valeur (raisons somme toute classiques), si la chute de Julien est bien appréhendée, si, surtout, le déploiement de ce monde et les facéties qui s'y déroulent rendent le livre très agréable à lire (j'ai aimé voir Gainsbourg notamment, « ami » de Vangel), j'ai trouvé cependant, par moment, qu'il survolait certaines notions abordées : les NFT par exemple. Ne vaudrait-il mieux ne pas les mentionner si c'est juste pour les survoler, sans explication ?
Ensuite, le texte comporte quelques clichés, de grosses caricatures, comme le parallèle avec Trump de Adrien Steiner. le personnage complètement loufoque et mégalomane sent quelque peu le réchauffé et fait perdre de la crédibilité au récit.
Et, comme le souligne superbement Anna dans sa critique très érudite (@Annacan), l'analyse des liens de ce monde virtuel avec le monde réel manque de profondeur. A partir de la deuxième moitié du récit tout le focus est fait sur Vangel dans l'Antimonde, la façon dont il accède à la gloire via la poésie (c'est très, trop, rocambolesque) mais peu de liens sont faits sur l'implication de cette vie dans la vie réelle, sur l'entrelacement subtil entre les deux mondes, sur la folie engendrée par l'emprise de l'un sur l'autre, permettant de donner un supplément d'âme au récit.

Au final, Les liens artificiels est un livre très agréable à lire sur un sujet fascinant, le métavers. Il revisite l'allégorie de la caverne, ce monde virtuel que nous prenons pour vrai, enfermant les personnes plus qu'il ne leur permet d'accéder à la véritable connaissance sur soi et sur les autres. le récit permet de bien cerner les motivations de cet enfermement volontaire et de réaliser à quel point, tant pour le concepteur que pour les joueurs, cette vie parallèle flatte notre narcissisme. Les quelques bémols soulignés n'enlèvent rien au plaisir de cette lecture, en plus d'avoir pu toucher du doigt concrètement cette notion de métavers. Un grand merci à @Aquilon62 à qui je dois cette lecture, sa critique riche de références, comme celle d'Anna, est à découvrir !

Définitivement, la seule cité céleste virtuelle qui permette de sortir de la caverne est très certainement la nôtre ici sur Babélio, non ? A moins que…
Commenter  J’apprécie          7925
« Nous ne sommes plus des hommes, mais des nombrils hurleurs. On raconte sa vie, on like et on dislike. On essaie vainement d'attirer l'attention. On s'écoule, comme les autres, dans ce stock incessant où toutes nos vanités s'entassent comme des ruines. »

Le héros du livre, Julien Libérat, est l'un de ces innombrables nombrils hurleurs s'efforçant d'attirer l'attention, en vain. Tiraillé entre l'injonction de réussir sa vie et l'insatisfaction chronique qui caractérise celle-ci, entre son désir de création artistique et la réalité de son « bullshit job », entre son désir de communion avec sa bienaimée et la réalité de leur séparation, il traîne sa déprime dans les rues désertes de sa récente ville d'adoption : Rungis. À cet égard, il est une figure prototypique de nos sociétés démocratiques contemporaines qui, en promouvant l'égalité pour tous et la récompense au mérite, ont dans le même temps, et bien involontairement, créé un taux de frustration inégalé. Ainsi que le rappelle Gérald Bronner dans Apocalypse cognitive, la frustration est inséparable de la démocratie. Elle en est même l'une des conséquences les moins prévisibles. Alexis de Tocqueville, fin observateur de la jeune République américaine, l'avait, en son temps, parfaitement compris, lui qui fut saisi par l'étrange mélancolie qui semblait frapper ces heureux citoyens au milieu d'une abondance de biens :
« Quand toutes les prérogatives de naissance et de fortune sont détruites, que toutes les professions sont ouvertes à tous, et qu'on peut parvenir de soi-même au sommet de chacune d'elles, une carrière immense et aisée semble s'ouvrir devant l'ambition des hommes et ils se figurent volontiers qu'ils sont appelés à des grandes destinées. Mais c'est là une vue erronée, que l'expérience corrige tous les jours. »
La frustration atteint son paroxysme dans des sociétés ultra connectées comme la nôtre, où la gigantesque quantité d'informations disponibles, une quantité qui jamais, dans l'histoire de l'humanité, ne connut une telle ampleur, met à la portée visuelle de tous la vie des autres. Ces autres, célébrités éphémères ou plus durables, people aux vies chatoyantes, hommes d'affaires, sportifs, artistes, hommes d'Etat, ont en commun une chose : celle de s'être élevés au-dessus de la masse indifférenciée de leurs concitoyens, qui, eux, continuent, dans un mélange d'indignation et de résignation, à barboter dans les eaux saumâtres de l'insignifiance.

C'est probablement la peur de l'insignifiance, c'est « la misère attentionnelle », pour reprendre un terme de Gérald Bronner, dont souffre Julien Libérat, qui le poussent, sous une impulsion subite, à ouvrir un compte sur le nouveau jeu en ligne d'un genre particulier qu'est l'Antimonde. Ce jeu, créé par Adrien Sterner, un visionnaire autoritaire et mégalomane se prenant pour Dieu — il nous livre à plusieurs reprises son interprétation toute personnelle des Évangiles — s'appuie sur le mécanisme des boucles addictives — activation des circuits de la récompense - libération de dopamine - plaisir éphémère — mécanisme bien connu des grands opérateurs du Net qui l'exploitent à merveille, tout en jouant habilement de la frustration de l'homme contemporain.

« Connaissez-vous l'Antimonde? le seul jeu vidéo que vous allez préférer à la vie ! (…) Puisque votre vie n'a pas l'air palpitante, je suis heureux de pouvoir vous en offrir une deuxième. Place à votre anti-moi, bienvenue dans l'Antimonde ! »

Rien de révolutionnaire jusque-là. Mais là où l'Antimonde commence à se démarquer de la masse des jeux vidéos, c'est qu'il ambitionne d'être un métavers. le métavers, contraction de « méta » et « univers », terme inventé par l'écrivain de science-fiction Neal Stephenson, désigne un monde virtuel dans lequel on interagit avec son environnement et avec les autres joueurs grâce à un casque de réalité virtuelle, ce qui crée un niveau d'immersion jamais atteint auparavant. le métavers, « expression ultime des technologies sociales » dixit Mark Zuckerberg qui a décidé il y a moins d'un an de changer le nom de la maison-mère de Facebook en Méta, existe déjà. Mais, et c'est là que le livre de Nathan Devers bascule subrepticement dans l'univers de la science-fiction, l'Antimonde n'est pas un métavers reproduisant de manière plus ou moins réaliste une réalité partielle, il est LE métavers. Il reproduit à l'identique la réalité, toute la réalité, dans ses moindres détails. Il n'est rien de moins que la réplique virtuelle exacte de notre monde, une sorte de planète B, en somme.

Dans l'Antimonde, l'anti-moi n'est pas dépaysé puisqu'il se retrouve dans un environnement qui ressemble à s'y méprendre à l'environnement réel. Quel intérêt, me direz-vous? Eh bien, celui de vivre une seconde vie. Dans l'Antimonde, l'éventail des possibles est beaucoup plus vaste que dans la vie réelle. Vangel, l'anti-moi de Julien, peut discuter chaque soir avec le PNJ (personnage non joueur) de Serge Gainsbourg, son idole. Il peut également, s'il le souhaite, assouvir tous ses fantasmes y compris celui d'assassiner, celui de forniquer à tout-va, celui de se payer les chambres d'hôtel les plus luxueuses, de voyager dans des Jets privés, celui de gagner plein de fric, celui d'être enfin reconnu comme un Artiste, celui d'accéder au statut de célébrité planétaire, etc, etc… Aucun scénario écrit à l'avance ne préside à sa destinée. Son histoire, c'est lui qui l'écrit à mesure qu'il la vit par l'intermédiaire de son avatar, son double dans la peau duquel il se glisse grâce au casque de réalité virtuelle et à la combinaison idoine.
Cependant, aucun des individus, de plus en plus nombreux, qui peuplent l'Antimonde, ne peut espérer en attendre des retombées dans la vie réelle. le créateur du jeu, Adrien Sterner, soucieux que sa créature ne lui échappe pas et continue à engendrer profits sur profits, a tout prévu : le plus strict anonymat est requis, sous peine de voir son compte définitivement supprimé. Et c'est ainsi que les individus comme Julien, tenaillés par la peur de l'insignifiance, aiguillonnés par un besoin aigu de reconnaissance se retrouvent pris au piège de l'Antimonde. Soit ils font tout pour durer dans le jeu, ce qui, dans le cas de Julien et compte tenu des manipulations de Sterner, est en réalité bien plus difficile qu'il ne se l'imaginait au départ, et s'apparente, de surcroît, à une course de plus en plus effrénée et chronophage ne menant nulle part, soit ils retombent dans l'insignifiance de leur vie réelle, autant dire dans le néant.

Si l'auteur a su faire preuve dans ce livre d'une audace indéniable, nous délivrant un récit crédible sur les dérives des nouvelles technologies sociales en s'appuyant sur un phénomène extrêmement récent, le métavers, s'il nous sert un récit enlevé servi par un humour souvent décapant, j'ai trouvé que le scénario souffrait d'incohérences et que le propos, cédant parfois à la facilité, manquait de profondeur. J'attendais, pour ma part, davantage d'interactions entre le monde virtuel du métavers et le monde réel, des interactions ouvrant sur le récit du lent et inéluctable décrochage de Julien, de sa relation de plus en plus chancelante à la réalité. Or, ce récit n'a pas lieu. Regret d'autant plus grand que Nathan Devers cite Philip K. Dick, qui en a fait la matière de certains de ses plus grands livres. le rapport schizophrène que Dick entretenait avec le réel, que j'évoquai dans ma critique de Ubik, me semble être une préfiguration de ce qu'une part non négligeable d'êtres humains vit déjà et vivra dans des proportions de plus en plus inquiétantes à l'avenir. L'objet du livre de Nathan Devers, à savoir l'exploitation d'un phénomène qui n'en est qu'à ses prémisses, le métavers, qui, à bien des égards, ressemble à une matérialisation du mythe de la caverne de Platon, aurait pu être une magnifique occasion d'explorer cette passionnante question.
Commenter  J’apprécie          7063
Pauvre Julien. Professeur particulier de piano, planté par sa copine, il se résout à se replier sur Rungis , faute de moyens suffisants pour rester un parisien. C'est tellement la loose qu'il se suicide en direct.

Quelques temps auparavant, dans un de ses multiples moments d'oisiveté, la pub de l'antimonde lui tombe dessus. Il se décide , puisque c'est gratos , de créer son avatar et d'explorer ce monde virtuel qui ressemble bougrement à celui qu'il fréquente mais où la loose n'est plus collée à ses basques.

Un roman ambitieux et sans doute réussi, en tous les cas pour moi.
Comment ne pas rêver même à travers un jeu, de reconstruire sa vie ou d'en vivre une virtuelle . Avec un peu de chance y rencontrer une de ses idoles mortes !

Le livre est ambitieux et derrière le business de l'antimonde se pose bien sur le rapport aux outils informatiques que développe notre société . Je mets le mot informatique plutôt que réseau, la notion me semblant plus juste .
L'auteur , avec parfois beaucoup d'ironie, dézingue le tout en grossissant le trait et en faisant intervenir quelques personnages réels aux avis tranchés , Finkelkraut par exemple.
Alors , on pourra objecter un livre un peu facile , aux grosses faciles que n'aurait pas reniées James Dashner par exemple. Pour autant, derrière chaque action dans l'antimonde , il y a le jugement de l'auteur , une vision de la moralité de l'ensemble que l'on cautionne ou non.
L'addiction, la déconnexion de la réalité ont amené ces dernières années des massacres , ouvertement revendiqués comme engendrés par des expériences numériques par les barjots qui les commettent.
Ce livre expose une facette des dangers numériques et le fait très bien.

Commenter  J’apprécie          570
Demi-plaisir et demi-déception pour le dernier livre de Nathan Devers, Les liens artificiels. Plaisir pour le côté iconoclaste de l'auteur qui glisse ça et là des remarques à couper le souffle, mais, déception pour l'intrigue et la narration que j'ai trouvées lourdes.

Le roman commence par le suicide en direct sur les réseaux sociaux de Julien Libérat, un début fort, vous en conviendrez, qui appelle une suite tout aussi intense. Hélas, le soufflé retombe rapidement et c'est bien dommage.
Bien sûr, j'ai retrouvé la facette facétieuse de l'écrivain que j'avais aimé dans Espace fumeur. Justifier l'anonymat sur les réseaux sociaux en s'appuyant sur La cité de Dieu de saint Augustin, franchement, je ne l'avais pas vu venir et ça, j'adore !

Pour le reste de l'histoire, je suis plus dubitative. À moins que je sois totalement insensible au thème abordé, jusqu'ici aucun roman qui aborde l'activité sur internet n'a trouvé grâce à mes yeux. Mais le sujet est-il aussi intéressant que ça ?

Autre reproche, la narration est un peu lourde : explications plus ou moins techniques au travers d'Adrien Sterner, suivies de l'histoire de Julien.
J'ai néanmoins adoré retrouver Serge Gainsbourg, animé par une intelligence artificielle et le style de Nathan Devers est somptueux.

Lien : https://dequoilire.com/les-l..
Commenter  J’apprécie          460
Créer sur Internet des mondes virtuels, pour les substituer ou les juxtaposer au monde réel ! C'est un objectif sérieux pour des spécialistes en technologies numériques. C'est un sujet de préoccupation pour des philosophes. C'est depuis longtemps un champ d'inspiration pour une littérature de science-fiction réservée à ses amateurs. Et voilà que la littérature dite générale s'y intéresse à son tour.

Il y a deux ans, le prix Goncourt récompensait L'Anomalie, où l'on émettait l'idée que notre monde pourrait lui-même être une simulation conçue dans un avenir éloigné. Cette année, l'un des candidats au titre a anticipé l'existence d'un métavers sophistiqué… le terrain était tentant pour Nathan Devers et son premier (ou deuxième ?) roman, Les liens artificiels. Ce tout jeune intellectuel français bardé de diplômes est déjà bien en cour dans les cénacles politico-philosophico-littéraires, et il n'est pas rare de voir son visage lors de tables rondes sur les télés d'infos en continu.

Mais qu'est-ce donc qu'un métavers ? Tout simplement un jeu virtuel en 3D, auquel l'internaute participe par l'intermédiaire d'un avatar, un personnage virtuel qu'il a créé et qui lui est personnel. Les jeux vidéos des années quatre-vingt-dix et leur iconographie très rudimentaire étaient les précurseurs des métavers. Dans Les liens artificiels, celui que l'auteur imagine est bien mieux élaboré : « l'Antimonde » est une reproduction parfaite, au moindre détail près, du monde réel.

Le roman met en scène un jeune homme, Julien, dont les raisons d'exister sont en train de perdre tout leur sens. Viré par sa compagne après cinq ans de vie commune, il s'est exilé faute de moyens dans une banlieue éloignée et sans caractère. Musicien, il gagne à peine de quoi vivre en donnant des leçons de piano. Il reste déterminé à composer un album de chansons, mais jour après jour, il procrastine sur les réseaux sociaux, où il perd son temps et ce qui lui reste d'âme.

L'autre personnage principal est le créateur de l'Antimonde ; Adrien est un homme d'une intelligence et d'une culture supérieures, mais il est aussi narcissique et pervers, au point de vouloir dominer et manipuler l'humanité grâce à son métavers, dont il fait la promotion sur les réseaux sociaux.

Julien va découvrir l'Antimonde, y ouvrir un compte et se lancer à corps perdu — si l'on peut dire ! — dans l'aventure, par le biais d'un avatar qui en deviendra un acteur essentiel. Ce nouveau monde virtuel lui permettra-t-il de faire fortune ? de faire reconnaître ses talents d'artiste ? En tout cas, Julien et Adrien finiront par être fascinés l'un par l'autre.

Les liens artificiels est un livre original. La fiction est bien documentée et malgré quelques inévitables incohérences sans importance, elle s'intègre bien dans l'histoire récente des savoir-faire numériques et de la réalité simulée. La narration est accrocheuse. L'auteur stimule l'intérêt du lecteur par de bonnes questions, mais celles-ci ne trouvent pas les développements « décoiffants » qu'on pourrait espérer. Chaque chapitre se résume à une sorte de sketch, dont la chute est banale ou prévisible. Beaucoup d'imagination, une inspiration parfois morbide et un léger manque de sens romanesque.

La narration est accompagnée des commentaires prospectifs habituels sur les dérives des réseaux sociaux, du déclin des civilisations qui leur accordent une importance démesurée… L'auteur n'hésite pas à faire parler des personnalités, mortes et vivantes ; des pastiches amusants, mais timides, comme s'il ne fallait pas aller trop loin dans l'impertinence.

L'auteur maîtrise parfaitement l'écriture, variant le style selon les personnages et les intrigues. Lorsqu'il faut toutefois adopter le vocabulaire de personnes ordurières, qu'il est difficile d'être crédible ! Enfin, bravo pour les alexandrins, même sans rimes ; mais ils ne révolutionnent pas la poésie.

La réalité augmentée existe déjà, les paradis artificiels aussi. La vraie vie ne serait qu'un miroir aux alouettes, où chacun s'illusionnerait sur la place qu'il pourrait prendre… Je retiens aussi une idée intéressante et cocasse pour mettre fin au conflit israélo-palestinien.

Lien : http://cavamieuxenlecrivant...
Commenter  J’apprécie          434
Julien, un jeune musicien de 28 ans, s'ennuie dans sa banlieue grisâtre et sans âme. Il occupe un minuscule studio à Rungis, ville bordée par l'autoroute.
Il vient de subir une rupture amoureuse et n'a quasiment pas de relations sociales.
C'est une sorte d'antihéros version Houellebecq et de beaucoup de romans contemporains de littérature française avant Madame Bovary, on s'ennuie avec lui. On vit pleinement sa morosité, sa déprime, on compatit à son manque de perspective.
Mais là où le récit devient intéressant, c'est lorsqu'il découvre le jeu de réalité virtuelle nommé Heaven, un métavers qui duplique le monde réel à l'identique de celui dans lequel nous vivons. Il s'agit bien d'un jeu ou toutes les actions les lieux les personnages sont irréels, virtuels, appelés anti humain, c'est l'Antimonde.
Une copie de notre monde qui offre toutes les actions, toutes les identités possibles. Une sorte de jeu ou l'être devient protéiforme et même le contraire de ce qu'il est dans la vie réelle.
En quelques clics et peu d'efforts le jeu enrichit les joueurs. Dès lors comparé à la vie réelle, impossible de ne pas développer des addictions et le désir toujours plus fort d'en avoir plus et plus encore. L'auteur compare ces joueurs aux travailleurs qui vont travailler laborieusement tous les matins pour un salaire dérisoire comparé aux fortunes rapidement et facilement acquises du métavers.
En cela, c'est une double critique du capitalisme financier et numérique, l'argent facile, et de l'exploitation de l'homme dans l'économie réelle.
Créé par un mégalomane psychopathe mais néanmoins visionnaire, Adrien Sterne, auquel Google déroule le tapis rouge, le jeu donne un second souffle de vie et anime notre Julien comme des millions de joueurs à travers le monde.
C'est ainsi que ce monde virtuel prend le pas sur le réel de Julien, ce monde imaginaire et magique où tout est possible et tous les désirs, des plus nobles à ceux qui font appel aux plus bas instincts peuvent être assouvis, le contraire de la réalité qu'il s'est fabriquée.
Un saut dans la toute-puissance, d'un anti-héros Julien n'a qu'un pas à faire pour devenir le super héros adulé des foules, musicien star de notre époque, une transformation radicale permise par le jeu créé par un démiurge, dieu de l'Olympe du web, calculateur (Sterner, le créateur) qui manipule ses sujets à son gré, Il fait et défait les destins, Julien en fera les frais à ses dépens.
Pour pallier les manques du monde réel, Julien s'engouffre dans ce jeu et nous entraîne avec lui dans ses réalisations les plus folles, la fable fonctionne bien et on suit avec intérêt ses péripéties ainsi que ses grandes et drôles aventures, Julien s'est bien amusé et est devenu accro.
On attend la suite à chaque chapitre, on rit bien aussi dans la scène où Julien, devenu Vangel, son avatar, affronte Donald Trump à la maison blanche aussi bien que lorsqu'il produit la chanson qui va le propulser au rang des plus grands et dans l'émission littéraire de Busnel où les protagonistes s'affrontent comme des marionnettes.
Tous les avatars peuvent être manipulés à souhait par les avatars eux-mêmes selon leur mission et par le démiurge.
On s'interroge sur les implicites du récit. La réalité est-elle si insupportable en tous points pour qu'un homme que l'on peut comparer à certains patrons des GAFAMS puissent mener les humains à devenir des antis humains, s'oublier dans le jeu virtuel, oublier le réel pour aboutir au néant et nier par là-même la vie qui a été donnée, et qu'en est-il des liens sociaux sont-ils vraiment si artificiels pour jeter ainsi le bébé avec l'eau du bain ?
Les GAFAMS ont-ils cette puissance et ce pouvoir de soumettre les êtres à leur créations virtuelles que l'on croit dérisoires parfois ? Les rendent-ils vraiment capables de s'anéantir à ce point ? Va-t-on se soumettre ainsi aux machines, va-t-on tous devenir des sortes de robots augmentés soumis aux nouveaux démiurges de l'économie du web et confondre le virtuel et le réel comme le fait Julien ?
Vont-ils vraiment nous amener à être « ensemble » tous sur le jeu, le réseau, mais « séparés » par les écrans, la volonté des puissants, etc, mais aussi seuls qu'avant si ce n'est plus, à recevoir nos doses de dopamine par écrans interposés et à déserter nos vies pour des créations technologiques tentaculaires qui nous envahissent à l'instar de celle de Sterner qui passe de l'Antimonde au Multimonde, avec toujours plus d'appât de gains et de puissance à la clé avec le monopole garanti ?
L'exposé de Nathan Devers sur les nouvelles technologies est intéressant et a au moins le mérite de nous titiller.
Cette dématérialisation extrême ne présage pas la mort d'un monde, des êtres ?
En tout cas ce roman a le mérite de poser des questions, il est plutôt polymorphe et intègre différents genres, du documentaire avec quelques questions théoriques sur la réalité virtuelle, le web, l'économie, la littérature bien sûr face à la réalité virtuelle, le devenir de la culture, de la musique, présente tout au long du roman, celui de la littérature qui s'écrit sous nos yeux.
Il peut être également un thriller, d'autant plus qu'il touche des problématiques actuelles et à venir dans un futur proche, on en a froid dans le dos d'autant plus qu'on perçoit chaque jour la réalité qui s'estompe au profit du virtuel, de la dématérialisation.
En tout cas l'intrigue nous immerge vraiment dans le jeu comme si on était nous-même dans le métavers, en cela la littérature est encore capable de rivaliser avec le jeu vidéo et nous apporte elle-même notre dose quotidienne de dopamine.
Les bémols du roman sont une absence de structuration des pensées qui nous embrouillent parfois et on a du mal à passer d'une idée à une autre. Mais l'intrigue elle-même est prenante et des questions se posent.



Commenter  J’apprécie          300
Julien est prof de piano, fraîchement séparé de sa compagne, il vit à Rungis et tue l'ennui et sa colère en scrollant sans fin des vidéos sur internet.


C'est par hasard qu'il tombe sur une publicité pour "l'antimonde" un jeu video en ligne où il s'inscrit sans attendre.
Caché derrière son avatar Vangel, il va faire fortune dans l'univers du metavers . Mais quels en sont les véritables risques ? Et pour conjurer l'apocalypse informatique, quoi de mieux que la rébellion par la poésie?

C'est là toute la question à laquelle essaye de répondre Nathan Devers dans « Les liens artificiels .

Philosophe de formation, Nathan Devers fait écho à des problématiques très actuelles et métaphysiques, directement liées à nos dépendances narcissiques aux réseaux sociaux et au virtuel

L'écriture touche par sa fluidité et l'on passe un bon moment tout en se demandant sur si ce que l'on lit ressemblera vraiment à notre futur.

Nathan Devers fait mouche dans cette ère post-covid où chacun est un peu plus connecté qu'avant.

UN roman autant profond que facile d'accès; qui a longtemps figuré sur la liste du Goncourt...


Lien : http://www.baz-art.org/archi..
Commenter  J’apprécie          271
J'ai aimé la construction, l'écriture (j'aime les subjonctifs), et aussi le sujet préoccupant des réseaux sociaux.
C'est donc ce jeune Nathan- Rastignac à la tête bien faite qui squatte l'univers cathodique et à qui on demande l'avis sur tout et sur rien , qui fréquente les réseaux sociaux, et qui en dénonce avec talent les excès.
Julien , un jeune homme , habite Rungis où il donne des cours de musique. Il compense sa vie morne sur Internet , jusqu'à ce qu'il découvre un réseau social différent de ceux consultés ; c'est un nommé Sterner qui le dirige, il a créé un monde parallèle peuplé d'avatars plus vrais que nature . Julien devient Vangel, il vit par procuration des moments exaltants, devient riche, adulé par des foules ancrées derrière leurs ordinateurs, tout comme lui quand il est Julien dans la vraie vie. Mais dans ce monde inventé, la disgrâce a cours aussi et dès les premières pages on sait que cela finira mal. Un saut de l'ange déchu en quelque sorte.
Cette dystopie, bien proche de nous en fait est terrifiante mais heureusement teintée d'ironie, on comprend pourquoi Beigbeder a encensé ce bouquin, pourquoi Finky l'a certainement boudé, l'auteur de 24 ans est bien dans l'air du temps.
Il n'empêche que le métavers que l'on nous promet fait froid dans le dos, il est drôlement bien anticipé par l'auteur.
Mais, la lecture de certaines critiques (sur ce site) qui valent leur pesant de cacahuètes cela dit, donne une idée ou plutôt entérine l'idée de la férocité qui règne dans le monde feutré des lettres de St Germain des Prés.Et que je déchire l'auteur en conviant les mânes des grands Anciens, et qu'en passant j'égratigne Houellebecq, on dirait parfois des copies fraîchement sorties de Normale Sup, ou bien d'un auteur jaloux, bref, c'est jouissif , et les querelles des Goncourt et consorts semblent aller de soi dans ce monde de médisance et de jalousie.
Mais vive les livres !
Commenter  J’apprécie          250
Avec finesse et humour, l'auteur choisit, à raison, la voie du roman pour disséquer la bulle, constituée par internet et ses applications, dans laquelle s'immerge le monde. en effet, un essai aurait certainement été rébarbatif. L'écrivain monte en puissance sur le sujet puisqu'il traite du métavers, un univers parallèle, où chaque utilisateur a une autre vie, une fausse vie. Mais, tout compte fait, ne sommes-nous pas déjà entrés dans le métavers?
Commenter  J’apprécie          210
Original. Audacieux. Déroutant.

Le roman s'ouvre sur un suicide “en direct” : Julien Libérat filme son visage, porteur d'un énigmatique message, avant de sauter par la fenêtre.
La veille il avait averti ses abonnés qu'ils “se souviendraient à vie” de son “geste symbolique”.

On connaît donc la fin, avant de découvrir ce qui a conduit Julien à cet acte ultime.

Une banlieue ennuyeuse, une rupture amoureuse, un job alimentaire accompli sans passion, de vagues projets qui restent embryonnaires, une vie sans relief et des journées qui se suivent et se ressemblent. Une addiction aux écrans , qui donnent l'impression d'exister.

Et un soir, une publicité pour un jeu en ligne plein de promesses. La possibilité de se créer un double et de le faire évoluer dans un monde “miroir” où l'impossible devient possible…

L'idée est chouette, et la lecture ne manque pas de soulever des questions philosophiques, éthiques, morales et sociétales. Les réseaux sociaux ne sont-ils pas par essence anti-sociaux ? le fait de se cacher derrière un pseudonyme exonère-t-il de toute mesure ? Jusqu'où les avancées technologiques peuvent-elles nous conduire ?

Nathan Devers dresse le portrait d'une génération désenchantée qui pour fuir une réalité morose cherche refuge et consolation dans une virtualité… résolument délétère et qui pourrait même se révéler dangereuse.
Commenter  J’apprécie          190




Lecteurs (795) Voir plus



Quiz Voir plus

Les plus grands classiques de la science-fiction

Qui a écrit 1984

George Orwell
Aldous Huxley
H.G. Wells
Pierre Boulle

10 questions
4960 lecteurs ont répondu
Thèmes : science-fictionCréer un quiz sur ce livre

{* *}