Un bel instant
L’amour souvent
se découvre dans les cuisines.
Le rouge d’un poivron, l’autre vert,
comme oui et non
cuisant dans la marmite ;
un fruit qui dort,
la main qui le saisit,
la douceur de la voix,
l’habileté des gestes sur le fourneau :
Tout cela ensemble passe par tes yeux
dans l’heure si belle d’avant-midi,
dans ton ventre d’ivoire
caché sous le tablier.
Moi je regarde, interdit,
là, du bonheur
et puis après, avec le café,
le temps
préparé à la rêverie.
LA BEAUTÉ
La beauté et le nombre
des étoiles dans la nuit noire,
le tissu froissé
de leurs constellations.
Toutes scintillant et se détruisant
dans la chambre,
tant qu’elles n’y ont pas trouvé
pas encore
le repos et le bonheur éternel.
Mais on ouvre la fenêtre
et tout l’espace arrive
dans le grincement de la poignée.
L’ARDEUR
L’ardeur a d’un coup
saisi la vie entière,
ouvert la vue, un vertige,
évacué la flânerie enfantine.
Qu’il tourne la tête,
qu’il pose sa main,
qu’il ouvre la bouche,
l’après-midi lente des salles d’étude
s’angoisse, bruisse et resplendit
en-dessous des grandes fenêtres closes,
s’offre ou se retient dans un délire
de catastrophe et de joie.
Sur les jeudis ennuyeux de septembre,
sur les jambes nues au soleil,
dans les livres ouverts sur la table
l’esprit ne sait plus nommer
ni compter le temps qui passe,
ni soutenir le présent, ni l’éviter.
Hâte à trouver,
bonheur à retrouver sans cesse
les lèvres où son souffle prend feu,
le regard noir qui le caresse
et le dévore si vite,
que dire au monde,
que dire à la nuit qui n’observent rien ?
L’incendie encercle
et se tait
encore aujourd’hui,
quand tout paraît
avoir brûlé à jamais.
Brûlé d’un coup.
Concert-lecture donné par Roger Dextre