Trois ans après
Cendres,
Thierry di Rollo publie
Crépuscules, son second recueil de nouvelles aux éditions ActuSF qui renferme deux textes inédits écrits pour l'occasion.
Alors qu'il prépare sa première incursion dans le monde de la fantasy pour l'année suivante, l'auteur français n'en oublie pas pour autant ses premiers amours puisque la dernière nouvelle, le Crépuscule des dieux, s'intègre au sein de sa fresque de la « Tragédie Humaine ».
Plongeons de nouveau dans du di Rollo pur jus.
Tout commence sur Loren III, une planète minière où l'on crève comme un chien sans voir la lumière du jour. L'un des cadavres, un mineur de fond anonyme employé par la Garmak, va pourtant retenir toute l'attention de Norb et de son androïde-associé, Rank. Venus enquêter sur plusieurs morts mystérieuses qui gênent les propriétaires des mines de carbone-glintz, ils découvrent que d'étranges volatiles appelés « compagnons » suivent désormais certains forçats.
Mais quel rapport avec ces morts mystérieuses ?
Thierry di Rollo convoque tout son savoir-faire pour Éléphants bleus, préfigurant déjà les mines de son roman
La Profondeur des tombes. L'enquête vaut tout autant pour le cadre lugubre et impitoyable offert par Loren III que pour son dénouement aux implications cyniques.
Écrite en 1997, on sent déjà dans cette histoire toute la puissance de l'univers du français ainsi que toute sa noirceur débordante, le tout reposant sur un capitalisme mortifère qui réduit les hommes à l'état d'esclaves. La figure animale, indissociable de l'oeuvre de Thierry di Rollo se retrouve également dans la seconde nouvelle : Hippos !
De nouveau sur un monde lointain, Lorian, dominé par une compagnie minière, Lithan Minerais, le lecteur découvre la dernière invention géniale des humains mélangeant IA et bio-ingénierie : un hippopotame capable de trouver de l'or dans la boue des fleuves de la planète et de les excréter dans ses bouses. Une fois traitées, celles-ci constituent une manne financière colossale. LockWood, un des convoyeurs, se rend alors compte que cette nouvelle version pourrait bien se passer d'assistance humaine…
Sauf que tout ne va pas se passer comme prévu.
Écrit en 1998, Hippos ! est un peu le chaînon manquant entre
Number Nine et
Archeur avec cet animal créé par l'homme qui finit par révéler la bêtise et la cupidité de ses créateurs. di Rollo transforme l'or en merde, à moins que ce ne soit l'inverse, mais peu importe finalement car il ne peut rien pour l'espèce humaine. Il s'amusera d'ailleurs à le prouver une nouvelle fois dans son histoire fantastique La Ville où la mort n'existait pas dans laquelle on retrouve un étrange narrateur-cadavre qu'on libère se sa tombe.
Il est en vie, et sa mort-naissance lui tend les bras.
Thierry di Rollo imagine un monde où l'on ne meurt pas et où l'on rajeunit, jeté nu et vulnérable dans un univers ultra-violent où l'on bouffe son prochain pour assurer sa survie. Benjamin Button n'a qu'à bien se tenir.
Très noir et pourtant déjà bourré d'images fortes, le texte s'avère un exercice de style efficace et lugubre.
Avant d'aborder une autre facette de l'auteur, quelques mots sur Un dernier sourire où l'on ne sait plus bien qui est l'arroseur et qui est l'arrosé.
Dans ce texte fantastique court et grinçant,
Thierry di Rollo jongle avec une créature mythique et une terreur bien plus moderne.
Certainement le texte le plus faible de ce recueil, malgré sa volonté de tournebouler notre sens moral.
Parlons à présent de Seconde Mort et le Crépuscule des Dieux.
Même s'ils semblent ne rien avoir en commun de prime abord, on retrouve cette fois l'autre visage de di Rollo qui s'extirpe de sa noirceur habituelle pour toucher du doigt l'amour pur et véritable de ceux qui voient au-delà des apparences et de ce qui les entourent.
Dans Seconde Mort, c'est un homme amoureux d'une prostituée qui va tout tenter pour lui rendre la paix qu'elle a longtemps désiré.
Dans le Crépuscule des Dieux, c'est une dernière histoire d'amour avant la fin dans une ambiance à la fois mystique et nihiliste.
Thierry di Rollo passe du registre science-fictif au registre fantastique avec aisance, et même si l'on peut regretter la relative banalité de son histoire de fantômes, force est de constater que sa façon de saisir l'amour écrasée par le désespoir fait tout l'intérêt de cette Seconde Mort.
On reste pourtant impressionné par la nouvelle finale — qui n'est pas sans rappeler un certain
Rafael Pinedo — ce Crépuscule des Dieux dans lequel une assemblée crucifie les siens un à un pour plaire à d'obscures divinités, les regardant souffrir sur la croix jusqu'à la fin.
Et au milieu, Aude, un ange, un dernier rayon.
Au milieu du noir absolu, l'amour jusqu'au bout.
Di Rollo en somme.
Tout est bon dans le di Rollo, et surtout ses textes courts. En offrant une vision d'ensemble aussi précise que saisissante des obsessions de l'auteur français,
Crépuscules renferme une noirceur d'autant plus profonde qu'elle nous semble terriblement et vainement humaine.
Lien :
https://justaword.fr/cr%C3%A..