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3,34

sur 1642 notes

Critiques filtrées sur 4 étoiles  
Personnellement, je ne me soucie guère de savoir dans quel genre littéraire il faut classer un livre. Mais lorsqu'à la fin d'une lecture, un léger malaise persiste, cette interrogation est légitime pour comprendre sa source. Kérozène n'est pas un roman. Sa structure narrative est beaucoup trop éclatée pour cela entre quatorze personnages, chacun son mini chapitre autonome pouvant se lire et se comprendre indépendamment des autres. Un des chapitres, Chelly, est d'ailleurs apparu comme une des nouvelles du Treize à table 2019-2020 en faveur des Restos du coeur ( je l'avais adorée ).

Kérozène n'est pas non plus un recueil de nouvelles car l'auteure cherche à connecter ses personnages dont les chemins convergent à 23h12 sur une aire d'autoroute des Ardennes. Tous en mouvement, tous en lutte avec leur destin, essayant d'échapper à quelque chose qui ne leur convient pas ou plus. Tous fracassés par la vie car la vie est fracassante. Tous profondément seuls à un moment où leur vie bascule. Il y a bien un personnage fil conducteur qui serait la nonagénaire Monica ( oui la Monica de la Vraie vie, vingt ans après ). Mais cela ne suffit pas à créer une unité d'ensemble convaincante. Il m'a manqué une vraie scène finale faisant l'amalgame. J'ai été surprise par cette fin abrupte alors que j'avais envie de lire un paquets de chapitres en plus.

En fait, la véritable bonne question lorsqu'on repose un livre est : « est-ce que c'est du bon ? ». Et, malgré cette fin qui n'en est pas une, la réponse est clairement « oui ». Je me suis régalée de cette galerie de portraits tous inquiétants et excessifs . Adeline Dieudonné est embusquée derrière l'intériorité de chaque personnage afin de réveiller notre regard critique sur la société contemporaine.

Comme des fables modernes pour raconter l'ultra violence née des rapports de domination : l'emprise de l'homme sur la femme ou vice-versa, sur les animaux, la lutte des classes, mais aussi de façon plus symbolique l'emprise que peut avoir sur nous nos pulsions, nos impulsions, la norme ordinaire. de ces bras de fer mordants, je retiens tout particulièrement certains : Chelly, la pole-danceuse qui s'est appropriée les codes de la virilité ; Alika, qui a abandonné ces enfants à l'autre bout de la planète pour élever ceux de ces patrons, sous les épouvantables injonctions du manuel de la nounou philippine ( il existe vraiment ) ; Pupute, sorte de vieux gigolo piégé par celle qui ne loge et nourrit ; Julie, engluée dans un environnement peuplé de mari et beaux-parents hygiénistes gynéco-obstétricien. Et surtout, Victoire, formidable personnage qui voue une haine féroce aux dauphins. L'auteure fore loin dans les affres contemporaines.

C'est radicalement cruel, avec sans doute moins de tendresse que dans La Vraie Vie, même si elle ressort par moment dans le regard porté sur ces malheureux, et notamment sur les animaux comme le cheval maltraité Red Apple. C'est très drôle aussi pour ceux qui goutent l'humour très noir. Une scène est géniale : celle où Monica, sur son fauteuil roulant, crache des noyaux de cerise en rythme avec la cadences d'ébats sexuels qu'elle mate sans aucune vergogne. Adeline Dieudonné a le sourire carnassier dans ce récit à l'électricité vivifiante, loin de toute bienséance. Ce livre est un feu d'artifices qui pétarade de partout en mode féroce, grotesque, caustique et trash. Il m'a juste manqué le bouquet final
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Une station service. Un soir d'été. 23h12. Ils vont tous s'arrêter dans cet endroit d'où s'émanent odeurs d'essence et d'asphalte. Ils vous regardent. L'oeil. Monica. Adeline. Vous.
Ils sont là, ces quelques êtres en proie avec leurs démons intérieurs, leurs phobies, leur classe sociale, leur solitude, leur folie, l'essence même de ce qui les définit.
Préparez vous à soulever le voile sur la transe humaine.

J'appelle Chelly, une prof de pool dance qui ne supporte ni les perdants ni les mangeurs de chips ni les sempiternels apitoiements de son homme. Ça fait boum.

J'appelle Victoire, mannequin, seule sans amis qui erre dans les couloirs de son psychisme et qui surtout, voue une haine féroce contre les dauphins, l'eau où baignent ces mammifères, se « lave » avec des lingettes et ingurgite 2l de lait par jour. Boum.

Obligée d'appeler Julie qui termine chez la famille foldingue gynécologue, qui mange aux frottis et au doigter vaginal comme on mange du chocolat, ne fait l'amour qu'entre 7h et 7h08. Boum.

Vous avez ici un kaléidoscope sous forme de puzzle qui nous dévoile toute la diversité humaine, dans sa perversité la plus macabre et surtout très jubilatoire. Car le phrasé d'Adeline est à présent reconnaissable parmi tous. Ce qui la place en rang d'honneur parmi ces auteurs singuliers tels une Amélie Nothomb.

Dans Kerozene, Adeline Dieudonné continue sa perfusion féroce à l'intérieur des mots. Les mots exultent et explosent pour former une image qui accroche, ricoche et fait mouche. « Un tête à tête avec un cadavre de phoque en décomposition. » «L'effet d'une injection de jus de purin dans l'artère fémorale. ». Ça cogne, ça envoie. C'est une écriture instinctive, spontanée, viscérale.
On retrouve une forme de fascination, déjà présente dans La vraie vie pour le monde animal. Les animaux sont partout, dauphins, truie, cheval, acariens, ils grouillent de toute part comme l'oeil qui vous regarde où que vous soyez.
Étonnant ici, une certaine obsession pour le sexe, souvent trivial, bestial. le passage du couple sur le parking en plein débat pendant que la vieille mange ses cerises est incroyable. C'est d'un voyeurisme poussé à son paroxysme. Je te vois semble être le créneau de ces 258 pages.

Ce roman aurait pu me dérouter pour son côté « nouvelles » mais c'est sans compter la grandiloquence de la plume de l'auteure qui marie avec maestro humour, lubricité et émotions. C'est brut au décoffrage, c'est du neuf dans la littérature. Et c'est un régal de se rouler et se laisser rouler dans un style aussi frais et abouti.
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Le coup de la panne.
Après la vraie vie, Adeline Dieudonné autopsie une dizaine de solitudes qui fuient leur existence et se retrouvent par une nuit d'été dans une station-service.
Lieu impersonnel qui brasse toutes les classes sociales qui ne se distinguent que par les cylindrées, croisée des chemins de transhumance et point de transit pour faire le plein et le vide, cet espace hors du temps ne manque pas de romanesque. Un tableau à la Hopper.
D'un livre à l'autre, Adeline Dieudonné n'a pas perdu son goût pour la férocité, sorbet deux boules parfumées au macabre et à l'humour, cornet planté au milieu du front. Ce n'est pas un roman Diesel, Ségolène !
Comment ne pas succomber à un quelqu'un qui déteste les dauphins ? Ne pas aimer les cétacés, c'est comme ne pas aimer Thomas Pesquet. Amoral et jubilatoire. Comment ne pas devenir complice de cette prof de Lap-dance qui transporte le corps de son mec dans le coffre de sa voiture parce qu'elle ne supporte plus de l'entendre geindre et bouffer des chips dans le paquet ?
Et puis, il y a aussi un cheval, Red Apple, le plus humain de la bande, Joseph, le représentant en acariens et à pas grand-chose d'autre, Alika, la bonne qui vient des Philippines que des familles bourgeoises se prêtent via Facebook comme une esclave 2.0. Et il y a les autres. Que des farfelus qui trainent une caravane de traumas et que la station-service va réunir le temps d'un mauvais café, d'une pause pipi ou d'un coup de pompe.
Derrière cette galerie de portraits de dominants et de dominés, la romancière décrit l'humanité comme une brousse où les lions dévorent les gazelles. La loi du plus fort. Adeline Dieudonné a la prose impitoyable. La liberté se gagne à coups de griffe et l'égalité n'a rien de génétique. Juste une déclaration.
De ce recensement d'azimutés si bien esquissé, j'attendais un dénouement à la hauteur de cette concentration de folie et je dois avouer qu'il m'a manqué une apothéose dans le récit. Un 14 juillet sans feu d'artifices. Un peu frustré d'en rester aux préliminaires. Je pense que c'est ce petit goût d'inachevé qui modèrent certains billets comme le mien et qui m'a donné parfois l'impression de lire plus un recueil d'histoires courtes réunies opportunément dans un lieu unique qu'un roman. Stationnement gênant.
Il reste un vrai talent d'écriture, une imagination débridée et des personnages qui sortent de mon ordinaire de lecture.
En résume : Essence avec plomb, Aisance avec aplomb.
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Une station-service sur une aire d'autoroute : pas de quoi faire rêver, non ? Et pourtant, s'y installer pour observer ses congénères comme un éthologue scrute l'activité d'une fourmilière est une occupation riche d'enseignement. Et pour peu que l'observateur soit doté d'une imagination efficace, il y a là de quoi alimenter la trame d'histoires diverses et variées dont le point commun est la présence, à un moment donné de l'ensemble des protagonistes sur la dite aire.

De la jeune femme lassée de l'apathie de son compagnon, au gendre chargé de déménager sa belle-mère menacée d'expulsion, en passant par le cheval en transit et le dauphin lubrique, tous ces personnages auront ce soir là une fraction de leur histoire en commun.

L'écriture est addictive, et Adeline Dieudonné a le sens de la formule, ce qui ponctue le récit d'éclats de mots qui touchent. Humour plus ou moins sombre, traits d'ironie, l'art d'appuyer là où ça fait mal.

A mi-chemin entre le roman et le recueil de nouvelles, Kérozène est une très agréable moment de lecture qui confirme le talent de la jeune autrice.

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Le titre, déjà, avec son odeur puissante, m'a intriguée. Puis vient l'histoire, une comédie humaine sans concessions. Dès les premières pages, le décor est planté - une station-service d'autoroute la nuit - et les personnages sont là « Si on compte le cheval mais qu'on exclut le cadavre, quatorze personnes sont présentes à cette heure précise. »
L'histoire peut commencer et il faudra s'accrocher car c'est trash, décalé, cruel et d'un humour noir.
Dans un style cinglant qui va droit au but, l'autrice belge dissèque une à une les petites vies avec leurs névroses, leurs pulsions et leurs mesquineries de ses personnages. Chacun a droit à un chapitre, un concentré de vie avec leurs rêves, leurs frustrations et leurs échecs. Ça sent fort, nous écoeure même parfois, comme l'odeur du kérosène dans la chaleur d'une nuit d'été.
On entre dans des mondes très différents et certains personnages m'ont marquée plus que d'autre, comme l'héroïne musclée à la pole-dance du premier récit, Chelly, qui a des pulsions de mec et ne supporte plus son mari trop mou. La nounou Philippine qui a laissé mari et enfants pour venir élever les enfants de couples riches qui l'humilient. Victoire, la mannequin torturée par sa phobie de l'eau et des dauphins à tel point que ce dégoût rétrécit considérablement sa vie. On découvre aussi les curieuses relations de Julie avec un mari gynécologue comme ses parents, et hygiéniste jusqu'au bout des ongles et du ridicule. Loïc le dépanneur qui ne pense qu'au sexe et qui trouve son bonheur sur l'aire. Il y a aussi le destin tragique d'Antoine après un accident survenu pendant son enfance. On croise aussi ce vieux couple d'une pocharde et de son gigolo soumis à son mépris. Et puis, il y a Monica comme une pièce de puzzle qui la réunit à d‘autres personnages. L'histoire n'est pas linéaire, on comprend certaines situations après coup comme cette infection urinaire qui tourmente Olivier. Au milieu de toutes ces vies éreintées caracole Red Apple, petit cheval de compétition dont l'humanité nous touche.
Il est 23h12 lorsque débute l'histoire et 23h14 lorsque sonne le glas de la fin, abrupte, brutale comme ces vies ramassées en quelques pages vibrantes dont on sort quelque peu sonné.
Un roman fort, plus complexe qu'il n'y paraît.


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Comme pour "La vraie vie", de la même auteure, il m'a fallu quelques jours de "digestion" pour m'attaquer à la critique de ce...ce quoi au fait ? Est-ce un roman, un recueil de nouvelles, ou plutôt une suite de chapitres dont chacun offre la vedette à un personnage différent, et dont le seul lien est une station-service où ils vont transiter à 23H12, une nuit d'été ? A bien y réfléchir, un des personnages va se trouver connecté d'une façon ou d'une autre à chacun des protagonistes : une certaine Monica, nonagénaire, que son petit-fils et la femme de celui-ci sont chargés de convoyer à la maison de retraite...
Ils ne sont pas vraiment ordinaires, tous ces gens que le hasard a réuni là : sans vouloir trop en dire, on va retrouver parmi eux une prof de pole-dance instagrammeuse déçue par son mari, une mannequin phobique des dauphins, un dépanneur-pirate-de-la-drague qui va se faire prendre à son propre jeu, une nounou-esclave philippine, un couple gay invité chez la collègue de l'un des deux à une soirée plutôt étrange incluant une truie ; pour poursuivre cet inventaire à la Prévert, on fera également connaissance avec la "famille" de Monica, dont plusieurs membres ont la passion de la gynécologie poussée à l'extrême, avec l'unique rescapée d'un massacre, ainsi qu'avec une autre vieille dame "indigne" qui cherche sa Pupute, et un ex-enfant harcelé. N'oublions surtout pas le cheval, mon préféré dans cette galerie de monstres, le seul qui a éveillé en moi une réelle sympathie. Enfin bon, certains sont presque normaux, n'exagérons pas tout de même !

L'entrée dans ce livre n'est pas évidente, j'ai mis un certain temps à m'immerger dans cette atmosphère glauque, où chaque nouveau chapitre dévoile des turpitudes et des travers parfois difficiles à intégrer pour quelqu'un d'aussi banalement "normal" que moi (enfin ça c'est l'image que je veux donner, hein !). Je me faisais l'effet par moment d'être une voyeuse, un peu comme Monica, tiens ! Mais je ne mangeais pas de cerises, plutôt des raisins... Mais une fois prise dans l'étau de l'écriture tranchante d'Adeline Dieudonné, impossible de m'arrêter avant la fin.
La fin, justement, parlons-en. J'ai lu dans certains commentaires qu'elle était difficile à comprendre. Pour ma part, je l'ai trouvée limpide, et logique. Per contre, je n'ai pas compris le rôle de certains personnages, ni comment ils s'étaient retrouvés là. J'ai du louper un truc...
Je m'aperçois que j'ai donné la même note à "La vraie vie" qu'à celui-ci. Il faut croire que j'ai aimé autant l'un que l'autre, mais sur la forme, j'ai préféré le premier, plus fluide à lire. Par contre, j'ai trouvé les personnages de "Kérozène" plus percutants dans l'ensemble (bien que, dans "La vraie vie, la narratrice m'ait fortement et durablement marquée). En tout cas, Adeline Dieudonné fait partie de ces jeunes auteurs que j'ai envie de suivre après des débuts si prometteurs !
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Les gens de la station-service

Adeline Dieudonné confirme brillamment sa place de tête parmi les romancières francophones. Après La vraie vie, voici quelques portraits au vitriol de personnages qui se croisent dans une station-service. Kérozène est un nouveau bijou!

Comme dans toutes les stations-service d'autoroute, les gens se croisent et ne prêtent guère attention les uns aux autres. Surtout dans la nuit. Chacun vaque à ses occupations. À 23h 12, lors de cette soirée d'été, on compte quatorze personnes. Julianne, Alika, Victoire, Joseph, Gigi, Monica et les autres. Autant de vies à explorer, autant d'histoires à raconter.
Adeline Dieudonné va commencer par celle de Chelly, qui donne bien le ton du livre. Si elle se retrouve là ce soir, c'est qu'elle a fui son domicile avec le cadavre de son mari dans son Hummer. La prof de pole dance qui s'est construite une belle réputation via les réseaux sociaux ne supporte la vie qu'elle mène avec Nicolas dans leur «petite maison grise dans une rue grise d'un quartier gris». Elle ne supporte surtout plus le bruit que fait sa bouche en grignotant des chips aux pickles. Alors pour arrêter ces petits «schaff schaff», elle lui a planté un couteau dans l'omoplate. En fait, elle visait le cou. Mais quelques secondes plus tard, elle parviendra à la carotide, mettant un terme à la vie de son mari dans un bain de sang.
Le sang, il en sera aussi question dans l'histoire de Victoire, mannequin de 25 ans, qui après un shooting à New York veut rejoindre les îles Féroé pour assister à un grindadráp, cette chasse aux cétacés – et plus particulièrement les dauphins qu'elle déteste – qui consiste à pousser les bêtes vers la plage où des hommes les attendent pour les égorger. Mais il n'y a plus de place sur les vols pour Sandavágur, alors Victoire décide de prendre la route.
Le troisième personnage à entrer en scène est Loïc, le dépanneur. Son truc à lui, ce sont les techniques de drague qu'il partage avec la communauté des pirates. Mais cette nuit, coup de chance, la superbe femme en panne sèche ne veut pas entendre son baratin et accepte de baiser sur l'aire d'arrêt une fois son réservoir rempli.
On est bien sûr tenté de raconter ici toutes ces histoires, tant elles sont prenantes, tant elles sont grinçantes, sanglantes. Mais ce serait refuser au lecteur le plaisir de les découvrir. Disons simplement qu'ils recroiseront Victoire et un cheval, qui lui aussi a beaucoup à dire, sans oublier Monica qui s'est échappée de la vraie vie.
Après le formidable succès de la vraie Vie, Adeline a commencé un second roman, mais avec l'arrivée de la pandémie, elle a voulu passer à des textes plus courts, à des nouvelles. Ce sont ces nouvelles, retravaillées pour créer des ponts entre elles, qui ont permis de construire ce livre, entourées d'un chapitre introductif et conclusif. Un habile montage, mais surtout une plume toujours aussi incisive, plongeant souvent de l'encre la plus noire pour raconter ces vies qui ne laissent guère de place au romantisme. C'est dur, violent, sans concessions. Mais c'est aussi drôle, avec une touche d'absurdité dont la Belgique s'est fait une spécialité. En bref, c'est formidable!
Lien : https://collectiondelivres.w..
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Après avoir adoré son premier roman « La vraie vie » et son dernier « Reste », je n'avais qu'une hâte, lire « Kérozène ». Je dois dire que je suis partie totalement à l'aventure, sans lire, ni la quatrième de couverture, ni aucune critique.

Ce roman se présente sous la forme de courts récits juxtaposés qui forment dans la toute dernière page un ensemble.

*
L'histoire se déroule une nuit d'été, dans les Ardennes.
Sans compter un cheval et un cadavre, ils sont douze à se trouver au même moment dans une station-service, le long d'une autoroute.

Il est 23h12, il fait encore chaud. Et tout va basculer d'un instant à l'autre.

*
J'aime beaucoup l'écriture franche d'Adeline Dieudonné : elle est mordante et agressive, acerbe et cruelle, colorée et vive, fragile mais assez crue aussi. Comme dans « Reste », l'autrice a réussi à rendre le récit intrigant et addictif par un incipit dynamique surprenant. J'ai aussi ressenti une froideur dans l'écriture compensée par un humour ironique, une mise à distance qui m'a paru nécessaire au regard des souvenirs douloureux évoqués, parce qu'il faut bien avouer que certaines scènes sont un peu brutales, voire « trash ».
Ses descriptions sont précises, les mots font mouche et en seulement quelques pages, l'autrice dresse des portraits très différents, vivants, réalistes ou totalement déjantés. Chaque histoire est souvent déroutante, sombre et triste, parfois absurde et un peu forcée, mais elles ne sont pas dénuées d'un humour noir grinçant qui m'a beaucoup plu.

« Elle se voyait comme un animal évoluant dans un écosystème soumis à la loi du plus fort. Les gagnants, les perdants. C'était simple à comprendre. Même un gosse de quatre ans était capable de palper cette réalité : tu bosses, tu survis, tu bosses pas, tu crèves. La sélection naturelle, les plus forts s'en sortent, tant pis pour les autres. C'est la loi de la nature. Limpide, nette et implacable. C'est si simple à comprendre. »

Chaque chapitre introduit un des personnages présents au moment où tout bascule. Certains protagonistes ont des attaches et sont liés, d'autres sont des inconnus, des gens de passage. Pourtant, l'autrice tisse avec finesse des liens entre eux sans qu'ils ne s'en rendent compte. Ces attaches sont ténues mais leurs destins sont imbriqués.
A tour de rôle, de manière fugace mais détaillée, on entre dans leur vie personnelle, leur intimité, et on découvre les évènements qui les ont conduits à se retrouver dans cette station-service au moment du drame. Si certains nous apparaissent sympathiques, touchants, abimés par la vie, d'autres apparaissent plutôt égoïstes, décalés, excentriques, sans filtre, vulgaires, voire dérangés.
L'autrice a réussi à m'emporter dans chacune d'entre elles, en croquant ses personnages avec dureté, espièglerie, humanité ou tendresse.

Ainsi, « Kérozène » est une véritable mosaïque de voix, de personnalités, des pensées, de souvenirs qui amène un flot d'images, de sensations, d'émotions, d'horreur.

« Je crois qu'elle s'était prise d'affection pour moi. Au moment de payer, elle disait toujours à ma patronne : « Vous avez de la chance de l'avoir, c'est une gentille fille, bien propre. » Je me sentais comme un épagneul breton qu'on caresse entre les oreilles. »

Même si ces histoires qui s'ajoutent les unes aux autres composent au final un tableau visuel global, je me suis tout de même demandée à plusieurs reprises où m'emmenait l'autrice, comment elle allait raccrocher tous ces récits. En effet, aucun des personnages n'a de rôle central dans les évènements qui se jouent. Ils défilent, se croisent, souvent de manière fortuite.

L'épilogue, très court de moins d'une page, m'a fortement surprise et m'a demandé une relecture moins empressée pour comprendre sa finalité. Elle pourrait se résumer dans la dernière phrase du roman :

« Ici on ne fait que passer. »

*
Avec sensibilité et profondeur, « Kérozène » nous parle du sens de l'existence et de la quête d'identité, de la fragilité de l'enfance et de l'innocence perdue, des relations au sein de la famille et de la violence domestique, de leurs conséquences dévastatrices et de la capacité de résilience face à la brutalité de la vie.

« L'idée de rejoindre Nicolas dans la cuisine la séduisait autant que la perspective d'un tête-à-tête avec un cadavre de phoque en décomposition. »

Il est aussi question de domination dans sa relation avec les autres, mais aussi avec les animaux.
Un chapitre est en effet consacré au cheval Red Apple, il nous est livré de son point de vue. C'est étonnant, déroutant, choquant, touchant, émouvant et j'ai adoré.
Par ailleurs, d'autres animaux sont mis en scène : un cochon, un chien, un loup, un dauphin, l'occasion de montrer la violence que les hommes leur font subir.

*
Pour conclure, Adeline Dieudonné relate des tranches de vie dérangeantes, provocantes, sordides, malsaines et satiriques. La galerie des personnages est incroyable, surréaliste.
Il y a de l'humour, du sexe, de la férocité.
Un roman original, une écriture étonnante qui fuse, une autrice que je continuerai à lire.
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C'est un moche roman, c'est une triste histoire
C'est une romance d'aujourd'hui
Ils rentraient chez eux, là-haut vers le brouillard
Elles descendaient dans l'ennui, l'ennui
Ils se sont trouvés au bord du chemin
Sur l'autoroute de la déchéance
C'était sans doute de la malchance
Ils avaient l'enfer à portée de main
Un avatar de la souffrance
Alors pourquoi penser au lendemain

Ils se sont rencontrés dans des récits croisés
Se laissant porter par les courants
Se sont racontés leurs vies qui finissaient
Ils étaient encore innocents, pas pour longtemps
Qui s'étaient trouvés au bord du chemin
Sur la station-service de la souffrance
C'était peut-être une renaissance
Qui ramassèrent la merde au creux de leurs mains
Comme on cherche une maigre pitance
Refusant de penser au lendemain
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Ubuesque, perché, marrant : ce sont bien les mots qui pourraient coller parfaitement à ce roman ! Je ne savais pas à quoi m'attendre eh bien je peux vous dire que j'ai pris un sacré coup de froid dans le bas des reins et limite j'en redemande !

Adeline Dieudonné met encore une fois la barre très haut avec cette histoire et elle ne laisse pas son lectorat indifférent. C'est tout ou rien, soit on embarque avec elle pour suivre le destin tragique de ces quinze personnes soit on reste en rade sur l'aire d'autoroute et rien ne décolle… Pour ma part, l'auteure a réussi à me prendre par la main et à m'emmener précisément là où elle voulait. J'ai carrément dévoré son nouveau roman le temps d'un trajet en TGV entre Paris et Nancy, avec le monde qui ne tournait plus autour de moi.

J'ai ri, j'ai halluciné, j'ai eu de la peine et surtout j'ai accroché à ce roman même si, longtemps, il paraît être totalement décousu de sens. En effet, dans ce roman chorale, nous croisons chacun des personnages une seule fois – exception faite de la belle Victoire -. Ils semblent avoir un seul point commun, cette fameuse station d'autoroute. Il faut attendre la dernière page – et même le dernier paragraphe – pour que les pierres s'imbriquent et que tout prenne sens, je trouve ça explosif comme façon de faire.

C'est complètement perché comme roman. Parfois, j'ai eu l'impression qu'Adeline Dieudonné pouvait être une digne héritière de Tarantino. La plume est cinglante, tranchante, au scalpel. C'est acéré, on ne ressort pas indemne de ce roman qui explore la complexité et la noirceur de la nature humaine. Il y a un petit côté voyeurisme dans cette histoire, une phrase du type « je te vois » qui ressort de toutes les pages du roman. C'est glauque !

Ce livre à mi-chemin entre le roman et le recueil de nouvelles prouve encore une fois le talent d'Adeline Dieudonné et me laisse imaginer qu'elle nous promet de grandes et belles choses pour l'avenir !

On a tous nos petits secrets mais, rassurez-moi, vous ne planquez pas un cadavre dans votre coffre ?
Lien : https://ogrimoire.com
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