C’est du moins ainsi qu’Abhinavagupta interprète la célèbre phrase de l’ancienne Upaniṣad : le Soi « n’est pas ainsi, pas ainsi ! ». Cependant, ce vidage n’est pour le śivaïsme qu’une étape vers la souveraineté. Abhinava ne mentionne pas Śaṅkara. Par contre, il critique une position tout à fait semblable dans ses commentaires sur la Reconnaissance, celle de Maṇḍanamiśra. Cet examen porte sur deux points en particulier : d’une part, le Vedānta affirme que les phénomènes sont irréels et sans fondement rationnel. Mais alors, d’où proviennent ces apparences ? Et qui est ignorant, si seul existe l’absolu ? D’autre part, le Vedānta soutient que l’absolu est sans désir ni activité. Mais du coup, il devient impossible d’agir librement. L’adepte du Vedānta semble condamné à craindre la vie, se réfugiant dans une liberté abstraite, retranchée de tout. Or, que vaut une liberté si elle n’autorise pas à agir ?
Le rituel et le yoga ne sont que des moyens de purification pour se préparer à la connaissance de l’absolu par le moyen des paroles des Upaṇiṣads. Ils font partie de l’illusion. Dès lors, ils ne peuvent nous en délivrer. Abhinavagupta se montre plus nuancé. La connaissance n’est pas le moyen suprême de se délivrer. Il y a, audessus d’elle, le pur désir. De plus, l’action rituelle est une forme de langage. Dès lors, pourquoi ne pourrait-elle mener à la prise de conscience de soi au même titre que la connaissance ?
Mais le toucher,
est ineffable, subtil...
Il existe, quant à lui,
au sommet du plan de la Shakti
(et donc au-delà de la dualité,
de l'illusion).
Voilà pourquoi les yogis
aspirent sans cesse
à ce toucher ineffable.
(...)
Mais à la fin de ce toucher,
de cette sensation,
il y a la conscience,
l'espace limpide de la Présence.
Quand on s'élève jusqu'à lui,
on atteint la (Shakti) suprême,
autolumineuse,
(identique à Shiva).