Il s'agit du premier tome d'une série consacrée à Steve Rogers, mais il vaut mieux avoir lu Captain America: Sam Wilson Vol. 2: Standoff avant. Il comprend les épisodes 1 à 6, ainsi que les 10 pages du Free Comic Book Day 2016, initialement parus en 2016, tous écrits par
Nick Spencer qui est également le scénariste de la série concomitante consacrée à Sam Wilson. le Free Comic Book Day et les épisodes 1 à 3 sont dessinés, encrés et mis en couleurs par
Jesús Saiz. Les épisodes 4 à 6 sont dessinés et encrés par
Javier Pina, avec l'aide de
Miguel Sepulveda pour l'épisode 4. La mise en couleurs des épisodes 4 à 6 est réalisée par Rachelle Rosenberg. le tome comprend également les couvertures variantes réalisées par John Tyler Christopher,
Paul Renaud,
Steve Epting,
Jim Steranko,
Skottie Young,
Greg Hildebrandt (*2), Jeffrey Veregge,
Mark Bagley,
Aaron Kuder,
Joe Madureira, Kevin Wada, Helen Chen,
Gerald Parel.
Sharon Carter, responsable par intérim de l'organisation de contre-espionnage du SHIELD, rend compte devant un comité spécial de la dernière intervention de Captain America (Steve Rogers) à Graz en Autriche, pour déterminer le site d'une attaque terroriste perpétrée par l'organisation criminelle HYDRA. Ailleurs, Red Skull (Johann Schmidt) suit l'intervention de Captain America à la télé, en compagnie de sa fille Synthia Schmidt (Sin). Puis le récit revient en 1926, pour un passage méconnu de la vie du petit Steve Rogers. Alors que son père Joseph Rogers vient d'en retourner une à Sarah (sa femme) en pleine rue, Elisa Sinclair (une jeune femme de la haute société) est intervenue, a projeté Joseph Rogers à terre et a aidé Sarah à se relever, tout ça sous les yeux du petit Steve.
De nos jours, Captain America (Steve Rogers) intervient à bord d'un train pour désarmer le terroriste (Robbie Dean Tomlin) qui s'apprête à le faire exploser. En même temps, Jack Flag (Jack Harrison) et Free Spirit (Catherine Webster) interviennent dans la base d'HYDRA pour neutraliser la cellule responsable de l'organisation de ce sabotage. Après la mission, Jack Harrison et Catherine Webster descendent quelques bières, en échangeant des anecdotes sur Steve Rogers, avec Rick Jones, maintenant expert en piratage informatique pour le SHIELD. Par la suite, sur les conseils de Maria Hill, Sharon Carter envoie Captain America (Steve Rogers), Jack Flag et Free Spirit dans la ville nation de Bagalia (tenue par des supercriminels) pour récupérer Kobik et arrêter Baron Zemo (Heinrich Zemo). Il apparaît au cours de cette mission que Steve Rogers travaille pour HYDRA.
En 2014,
Rick Remender met Steve Rogers sur la touche, dans The Tomorrow Soldier. Les responsables éditoriaux de Marvel décident de mettre à sa place un noir, en cela très en retard sur l'élection de
Barack Obama en 2008. Ils réussissent à trouver un scénariste capable de transmettre la bonne sensibilité pour cette nouvelle itération, Sam Wilson étant légitime, sans être une pâle copie. Néanmoins l'anniversaire des 75 ans d'existence du personnage Steve Rogers survenant en 2016, il fallait le réinstituer dans son costume de superhéros. Fort heureusement, la série Ant-Man s'étant arrêtée au tome 3 The trial of Ant-Man,
Nick Spencer dispose du temps nécessaire pour s'occuper de cette série dédiée à Steve Rogers, et ainsi assurer une bonne coordination avec celle dédiée à Sam Wilson qu'il écrit également.
Lors de la parution initiale du premier épisode, les lecteurs de comics se sont insurgés contre le fait que Steve Rogers y dévoile son allégeance à HYDRA, comme si c'était la première fois qu'un superhéros passait du côté obscur, où qu'une intrigue y fasse croire avec une plus ou moins bonne explication à la clé. Effectivement,
Nick Spencer montre dès le premier épisode qu'il a des idées originales pour donner un ton particulier à cette nouvelle itération de ce personnage ayant 75 ans d'aventures derrière lui. Lecteur retrouve bien les caractéristiques d'écriture de
Nick Spencer. Il pioche dans la riche mythologie de l'univers partagé Marvel pour alimenter son récit, tout en en y intégrant les éléments attendus. Il y a donc Sharon Carter, mais elle se retrouve à être physiquement plus vieille que Steve Rogers, une situation vaguement perverse et inversée par rapport à l'habitude. Il y a bien Red Skull (Johann Schmidt), mais il se retrouve dans une position véritablement dominante, à nouveau un peu perverse, et inversée par rapport à d'habitude. le lecteur sourit en voyant que ce supercriminel a la main sur les événements (il a d'ailleurs conservé ses capacités télépathiques acquises dans The Red Shadow, d'une manière assez capilotractée) et qu'il doit faire un effort pour trouver comment passer sur le gril son ennemi de toujours.
Nick Spencer rapatrie également la fille de Red Skull, et en profite pour lui faire un lifting bien pratique, assez artificiel. Mais il continue plein d'entrain à innover avec les ingrédients classiques de la série, avec par exemple un cube cosmique sous une forme inattendue, avec des effets inattendus. Il intègre aussi quelques questionnements sur la démocratie, la liberté et le gouvernement. Il ne le fait pas de la même manière que dans la série consacrée à Sam Wilson, et il le fait avec plus de légèreté et une pointe d'humour concernant l'absence de loi et d'autorité à Bagalia (une île-état) gérée par et pour des supercriminels. Il sous-entend en particulier que l'absence de loi est relative et que ces individus sont aussi prisonniers du système capitaliste que le commun des mortels dans un pays réel. D'un point politique, la partie la plus subversive se trouve dans les souvenirs du passé, dans les années 1920 où Sarah Rogers (la mère de Steve Rogers) participe à une association de citoyens d'un genre un peu particulier. En jouant avec le cube cosmique,
Nick Spencer met en avant la possibilité pour les citoyens d'être actifs dans leur démocratie (surtout aux États-Unis), tout en rappelant que cette possibilité d'action peut être pervertie comme toutes les autres.
Ce scénariste n'est pas adepte de la narration décompressée et l'intrigue est dense, avec quelques dialogues bien fournis, sans en devenir artificiels ou indigestes. Il sait s'arranger avec le crossover du moment pour que les interférences avec
Civil War II de
Brian Michael Bendis &
David Marquez restent minimes. Cette histoire à l'échelle de l'univers partagé vient même nourrir sa propre intrigue plutôt qu'elle ne s'en retrouve phagocytée, ce qui atteste de la dextérité du scénariste. le lecteur plonge donc dans une intrigue bien fournie, avec des retournements de situation bien agencés, un parfum d'espionnage discret, surtout du fait d'agents doubles ou triples, et des hommages sympathiques aux grands moments de la vie de Captain America comme sa mort sur les marches du Capitol à Washington, rappelant The death of Captain America d'
Ed Brubaker &
Steve Epting.
Comme à son habitude,
Nick Spencer sait raconter tout ça, en conservant la personnalité de ses protagonistes. Les séquences dans les années 1920 fournissent un éclairage édifiant sur la formation des convictions de Steve Rogers à partir de l'exemple donné par sa mère, et le mauvais exemple donné par d'autres adultes. Il ne se contente pas dérouler le cliché relatif au père brutal, car il montre en plus les actions de la mère et l'oeil observateur de l'enfant. Il sait apporter un peu plus qu'un minimum de personnalité à Sharon Carter (avec un face-à-face savoureux entre elle et Maria Hill), ainsi qu'à l'enfant Kobik. Ces personnages sont d'autant plus convaincants que
Jesús Saiz est très fortement investi dans ses planches. Il dessine de manière descriptive et détaillée, tout en restant facilement lisible. Sa mise en couleurs est naturaliste, avec de légers dégradés pour ajouter du volume aux formes, et quelques éclairages colorés quand l'environnement le justifie, ce qui a pour effet d'accentuer la dramatisation au bon moment (par exemple avec du rouge pour souligner le danger ou la colère). Il se sert également de la couleur pour représenter les bandes et les motifs sur le costume de Captain America. Il réalise des traits de contours très légèrement arrondis pour rendre ses dessins plus agréables à l'oeil. Les personnages disposent de postures naturelles pendant les moments de dialogues ou de déplacement. Dans les années 1920, Steve Rogers a vraiment une morphologie d'enfant, et Sharon carter a vraiment un visage marqué par les rides. Les superhéros et les supercriminels disposent d'une musculature parfaite d'individus qui l'entretiennent, les civils disposent d'une morphologie normale.
Jesús Saiz utilise également la couleur pour montrer que les scènes de 1920 se déroulent dans le passé, avec des teintes plus foncées essentiellement brunes et grises, avec quelques objets rouges pour insister sur leur symbolisme. Il prend soin de montrer régulièrement les lieux où se déroule l'action, un peu plus que dans un comics ordinaire, avec un niveau de détails qui les rend uniques et crédibles. Son approche minutieuse donne corps à ces aventures et les ancre dans une réalité concrète permettant au lecteur de pouvoir y croire.
Javier Pina s'applique à reproduire l'apparence des dessins de
Jesús Saiz. Il y est bien aidé par Rachelle Rosenberg qui reproduit à l'identique la palette de couleurs utilisées par Saiz. Les pages de Pina présentent une densité d'informations visuelles un peu inférieure à celle de Saiz, avec moins de cases par page et des dessins avec moins d'éléments. Pour le reste il conserve l'apparence des séquences des années 1920, les morphologies des personnages. Il transcrit dans le détail le costume de chaque superhéros qui apparaît, et il y en a beaucoup à l'occasion de
Civil War II. le lecteur peut donc ressentir la baisse de densité dans les dessins, mais cela n'engendre pas un hiatus propre à le faire sortir de son immersion.
Ce premier tome est dans la droite lignée de la série Captain America: Sam Wilson, avec autant d'action, de personnages attachants, et des réflexions inattendues sur l'exemple et l'action citoyenne.
Jesús Saiz réalise 3 épisodes aux dessins léchés et denses, suivis par
Javier Pina dont les planches sont en phase avec l'approche graphique de Saiz, mais moins peaufinées.
Nick Spencer raconte une histoire prenante, sur la base d'une intrigue retorse, avec l'art et la manière d'utiliser les éléments iconiques de la série, en les regardant sous un angle original. Il sait utiliser les ressources infinies de l'univers partagé Marvel pour nourrir son récit, sans en être l'esclave. le lecteur apprécie qu'il sache utiliser
Civil War II à bon escient, sans s'y soumettre. le lecteur occasionnel pourra se sentir un peu largué à une ou deux reprises. Par exemple la page consacrée à Avril Kincaid lui semblera arriver comme un cheveu sur la soupe s'il n'a pas lu Stand Off. Ce premier tome prouve sans conteste que l'univers Marvel peut supporter 2 séries concomitantes consacrées à Captain America, et que
Nick Spencer est un scénariste de talent.