Bâti en 1934 par un millionnaire,
l'immeuble Yacoubian situé dans la rue Soliman Pacha du Caire est à la fois un vestige de l'influence occidentale passée et l'image de la société égyptienne des années 90 marquée par la corruption, l'injustice sociale et la montée de l'emprise des religieux.
Les beaux appartements logent une population riche pendant que les pauvres s'entassent sur la terrasse, dans des cabanes, autrefois débarras transformés en pièces minuscules. Riches comme pauvres sont soumis aux règles d'un pays qui n'en a plus et se laisse peu à peu submerger par la vague islamiste qui dénonce la démocratie corrompue, impose le voile aux femmes, ferme les bars, traque les homosexuels, impose la charia comme avenir unique.
Zaki Dessouki, homme à femmes et porté sur l'alcool, y a son bureau au rez-de-chaussée où il reçoit ses rendez-vous galants à l'abri de sa redoutable soeur, Daoulet, qui partage avec lui l'appartement que leur a légué leur père. Victime d'une de ses conquêtes pulpeuse mais pilleuse, il est jeté dehors et dépossédé par sa soeur courroucée. Quelques étages plus haut, Hatem, homosexuel aisé, y accueille son bel amant Abdou qu'il aide financièrement à nourrir femme et enfant. Relation compliquée, entachée de culpabilité, à l'avenir incertain…
Hadj Azzam qui a retrouvé sa vigueur sexuelle à l'âge de 60 ans, y loge une deuxième femme, épousée mais cachée, qu'il visite deux heures par jour. Soad, veuve démunie chargée d'un enfant, a accepté mais à condition qu'elle ne voit plus son fils et qu'elle ne tombe pas enceinte…
Taha, brillant jeune homme, rêvant de rentrer dans la police, est recalé au concours car fils de concierge…Écoeuré il s'inscrit à la fac puis se laisse entraîner vers les frères musulmans. Arrêté, violé et torturé par les policiers, il décide de se venger…et s'engage dans le djihad. Sa petite amie, Boussaïna, habitante de la terrasse, contrainte de nourrir sa famille suite au décès de son père, est la proie d'un harcèlement sexuel impuni de la part de ses employeurs. Elle doit son salut à sa rencontre avec le vieux Zaki…
Quelques personnages au service de l'Etat corrompu comme El-Fawli font la pluie et le beau temps dans un pays, gouverné par le Grand Homme, où tout s'achète. Avec beaucoup d'humour mais également de colère,
Alaa El Aswany nous dépeint un pays où tout est possible pour celui qui en a les moyens, acheter une femme, une élection, un contrat, des diplômes, un poste, des juges, des médecins…Même si l'on sourit parfois, le constat est amer et le sentiment d'un immense gâchis s'impose. Celui d'une société particulièrement violente, inégalitaire et phallocrate basée sur la loi du plus fort qui laisse aux plus faibles le choix de se soumettre ou de se tourner vers les prêcheurs d'arrière-mondes…