Ce tome est un récit indépendant paru en août 2009, dans la branche Apparat de la maison d'édition Avatar Press.
L'action se situe en 1816. La première scène s'ouvre sur l'image d'une demeure abandonnée sous un ciel rempli de nuages qui occultent la lumiè
re du soleil, avec une nuée de corbeaux. le texte indique que cet été là fut tellement particulier que cette année fut surnommée "l'année sans été". le volcan Tambora situé en Indonésie avait craché une quantité extraordinai
re de poussières qui firent le tour du globe et masquèrent une partie des rayons du soleil, assez pour avoir une incidence sur les récoltes en Europe et en Amérique. le récit raconte une halte lors du voyage entrepris par Mary Wollestonecraft Godwin, Percy Shelley (son futur mari) et Clair Clairmont (sa demi soeur qui est enceinte). Ils se rendent en Suisse pour rejoindre
Lord Byron.
Au cours du voyage en carrosse, ils passent devant le château de Frankenstein (situé sur la commune de Mühltal en Allemagne). Devant cet édifice sortant de l'ordinaire, Mary Godwin demande de s'arrêter et elle pénètre seule dans le château pour saisir son atmosphère. Elle y trouve un être étrange au visage rapiécé qui lui parle de Johann Konrad Dippel (1673-1734, un alchimiste qui aurait tenté de créer un être artificiel) et qui lui prédit son avenir.
Warren Ellis est un créateur dans le sens noble du terme. Il ne se limite pas à écri
re des histoires inspirées, il essaye également de remettre en cause les habitudes de l'industrie des comics en expérimentant. En 2004, il crée une branche éditoriale spécifique pour développer des comics tels qu'ils auraient pu exister si les superhéros n'étaient jamais apparus. À ce jour, sont parus un recueil d'histoires courtes (Apparat : The Singles Collection), une histoire alternative se déroulant en 1907 (Aetheric Mechanics) et un récit sur la bataille
De Crécy en 1346.
Warren Ellis est un créateur ambitieux et exigeant. Avec ce récit il entremêle 2 thèmes : l'inspiration potentielle de Mary Godwin (bientôt
Mary Shelley) pour son roman et l'avènement proche de l'ère industrielle. le récit se décompose en 2 grandes parties : un dialogue dans le carrosse, et un dialogue dans le château de Frankenstein entre
Mary Shelley et l'inconnu. À la lectu
re de certains passages, le lecteur peut se demander si Ellis n'aurait pas dû choisir l forme d'une nouvelle plutôt que d'une bande dessinée. À d'autres, le recours à des illustrations permet que l'évocation du passé ou du futur se mêle harmonieusement au temps présent du récit uniquement par les images. La dialectique développée est assez complexe et certains passages sont durs à suivre, en particulier la raison pour laquelle l'inconnu souhaite décrire l'avenir à
Mary Shelley.
Par contre cette vision du futur illustre le thème de l'électricité comme source de vie avec une perspicacité géniale. Il faut ajouter qu'Ellis ne se contente pas de connaissances superficielles sur cette auteure ; il évoque l'influence des parents de Mary Shelley : son père écrivain politique et sa mère philosophe féministe. Il est évident qu'Ellis s'est interrogé sur les éléments qui ont pu amener
Mary Shelley à écrire
Frankenstein ou le Prométhée moderne, qui ont donné naissance à un mythe qui a marqué à jamais l'imaginaire collectif du vingtième siècle.
Warren Ellis a confié le soin d'illustrer les 44 pages de cette histoire sortant de l'ordinaire à un inconnu :
Marek Oleksicki. Il réalise ses dessins en noir et blanc, sans nuances de gris. Il a recourt à un encrage tantôt appuyé (visages mangés d'ombres par exemple), tantôt plus léger. Il inclut 2 doubles pages et 4 pleines pages. Pour les doubles pages, il effectue une mise en scène très dramatique qui apparaît plus comme un cliché que comme utile à l'histoire (le carrosse en contreplongée pour montrer la force et la vitesse du déplacement, alors qu'en réalité il s'agit d'un déplacement long à une vitesse réduite pour tenir la distance). Les pleines pages sont un peu mieux réussies. Pour le reste, Oleksicki prend grand soin de mett
re des décors détaillés (il est évident qu'il a effectué des recherches photographiques pour le château Frankenstein) pour faire évoluer les personnages.
Il n'y a que lorsque les scènes de dialogues s'étirent que les décors disparaissent vers la fin de la séquence. de ce fait, il devient facile pour le lecteur de percevoir l'ambiance du lieu et d'éprouver de l'empathie pour les personnages ; je pense en particulier au moment où le carrosse s'arrête pour que Clair Clairmont puissent apaiser ses nausées liées à la grossesse.
Malgré quelques maladresses de mises en scène dans les illustrations et quelques passages difficiles à suivre, Ellis propose une réflexion intéressante sur
Mary Shelley qui va au-delà des lieux communs de l'épouse dont la réputation a dépassé celle de son mari. Il parle d'une personne façonnée par son époque et ses parents, et des réussites prométhéennes de l'humanité.