Battlefields, tome 6 : Motherland

Ce tome regroupe les 3 épisodes de la minisérie du même nom. le lecteur retrouve Anna Kharkova, déjà apparue dans The Night Witches, mais cette histoire peut être lue indépendamment.

Le lieutenant Anna Borisnova Kharkova passe son entretien d'accueil auprès du colonel Golovyachev lors de son arrivée à la base où elle est nouvellement affectée. le colonel lit son dossier et il apparaît que cette femme a décidé de piloter seule son avion, de ne plus se lier avec les pilotes de son unité et qu'elle fait preuve d'un comportement agressif et asocial. Il lui rappelle que voler en formation est un travail d'équipe et qu'il est hors de question qu'elle joue à la louve solitaire. Depuis la base, les pilotes effectuent des missions de reconnaissance et de destruction des installations ennemies allemandes proches de Koursk. Kharkova doit de nouveau affronter la mort de ses camarades pendant les combats aériens, le retour des blessés, l'arrivée de bleus ayant à peine l'âge de se raser, etc.

Comme dans toutes les histoires de la série Battlefields, Garth Ennis raconte d'abord l'histoire d'individus plongés dans le conflit de la seconde guerre mondiale, tout en situant explicitement son récit en termes de date et de lieu. L'unité de Kharkova est basée non loin de Koursk et elle doit commencer à pilonner l'armée allemande peu de temps avant la bataille de Koursk. Cette dernière va opposer les forces allemandes aux forces soviétiques au sud-ouest de la Russie, à la limite de l'Ukraine, entre Orel au nord et Belgorod au sud, du 5 juillet au 23 août 1943. Il s'agit d'une des plus importantes batailles de la seconde guerre mondiale en termes de combattants et d'engins de guerre (plus de 2 millions de soldats, de 6.000 chars et de 4.000 avions).

Le personnage de Kharkova n'éprouve aucun doute sur la nécessité et l'obligation de se battre, de tuer l'ennemi. L'histoire est uniquement racontée de son point de vue et de celle de son supérieur ; Ennis n'évoque jamais le coté allemand. Au travers de Kharkova, il évoque la culpabilité du survivant, à savoir qu'elle fait tout pour ne pas être responsable d'un autre individu et de son éventuelle mort au combat. Il évoque également la responsabilité des premiers échelons du commandement de l'armée. Il s'agit d'individus ayant acquis de l'expérience au combat dans un laps de temps plus ou moins court et qui voient arriver des jeunes gens inexpérimentés, plus jeunes qu'eux-mêmes à leur début, au fur et à mesure que la guerre dure et que l'âge du recrutement s'abaisse. Ennis sait exprimer tout le malaise et la culpabilité de Kharkova qui doit mener ces tout jeunes adultes au combat.

Il aborde également la question du patriotisme des combattants. Il ne s'agit pas d'un patriotisme idéologique, mais du mode de vie que chacun défend : sa famille, sa maison, ses voisins. Il oppose ces motivations à la réalité de ce qui est gagné et perdu : les centaines de mètres de terrain ravagé et défoncé pris à l'ennemi, les dizaines d'êtres humains qui ne reviennent pas du combat. Garth Ennis a l'art et la manière d'évoquer les questions fondamentales de la motivation du soldat par le biais de conversations ordinaires qui ne ressemblent pas à un débat philosophique artificiel.

Il revient à Russ Braun d'illustrer ce récit. Il effectue un travail remarquable sur les visages et les expressions. Chaque individu paraît son âge ce qui établit les contrastes entre la jeune mécanicienne qui a peut être moins de 18 ans et Kharkova dont les traits sont déjà durcis. Il renforce le contraste entre les scènes de combats aériens et la les moments de la vie quotidienne à la base. Ces derniers mettent en scène la solitude des individus, leur fragilité et leur normalité entre 2 missions. Il n'y a pas de surhomme ou de soldat de métier insensible, il y a des êtres humains qui attendent la prochaine sortie en vol, qui ont des réactions et des comportements différents et ordinaires. Par contre, j'ai trouvé qu'il s'en sortait moins bien pour décrire les combats aériens. L'agencement des avions les uns par rapport aux autres ne donne pas une bonne idée de leurs mouvements et de leurs positions. Effectivement le défi est difficile puisqu'il faut traduire des mouvements rapides dans les 3 dimensions sur une feuille de papier. Les trajectoires des avions ne se lisent pas facilement.

Au fur et à mesure des récits Battlefields, Garth Ennis fait vivre des individus de plus en plus humains, et développe des propos nuancés et complexes sur la situation et la motivation des protagonistes.