Ce tome fait suite à Immortal Hulk Vol. 5: Breaker of Worlds (épisodes 21 à 25) qu'il vaut mieux avoir lu avant. Il comprend les épisodes 26 à 30, publiés en initialement en 2019, écrits par
Al Ewing, dessinés par
Joe Bennett (épisodes 26, 27, 29, 30), et par
Tom Reilly &
Matías Bergara (épisode 28), encrés par Ruy José (é26, é27, é29, é30), Belardino Brabo (é27, é29, é30), Marc Deering (é27),
Sean Parsons (é27),
Tom Reilly (é28),
Matías Bergara (é28),
Cam Smith (é29, é30). La mise en couleurs a été réalisée par
Paul Mounts (épisodes 26, 27, 29, 30) et Chris O'Halloran (é28). Les couvertures ont été réalisées par
Alex Ross. le recueil comprend également les couvertures alternatives réalisées par
Tom Raney,
Dale Keown,
Mike del Mundo. Comme pour tous les numéros précédents, chaque épisode s'ouvre avec une citation : de
William Blake (é26),
Bram Stoker (é27), Ministère américain de l'énergie (é28), Erasmus Darwin (é29), l'apôtre Matthieu (é30).
Bruce Banner est tranquillement assis sur une énorme machine dans la base qu'il a récupérée avec son équipe, du projet Shadow Base. Il s'enregistre, en vue de diffuser son message sur les réseaux sociaux. Il se présente et évoque le budget de Shadow Base : 1,2 milliards de dollars qui auraient pu être utilisés à la recherche d'énergie renouvelable, même s'il sait bien qu'ils auraient plutôt été utilisés à construire plus de bombes et d'armes. Après son enregistrement et sa diffusion, il va déjeuner dans un diner d'une petite bourgade du Massachusetts : il prend une chaudrée de mer. Il estime qu'il s'agit d'une des meilleures qu'il n'ait jamais mangé, ce qu'il dit au cuistot. Un jeune homme à la peau verte fait son entrée dans le diner, en s'excusant d'être en retard. Il s'assoit en face de Bruce : il s'agit d'Amadeus Cho (Brawn). Ce dernier attaque bille en tête en indiquant à Bruce qu'il a trouvé son discours un peu trop gentillet. Une journaliste télé commente le manifeste vidéo de Bruce Banner comme s'apparentant à une déclaration de guerre contre le genre humain. Au fil du zapping, 2 commentateurs estiment que Banner veut anéantir le genre humain, il est question d'un monstre non identifié, à la peau rouge avec des ailes libérant des détenus d'une prison avec un fort taux de radiation gamma. Iron Man fait une déclaration indiquant que les Avengers enquêtent sur le sujet. Il apparaît un graffiti Hulk Smash sur le mur d'un commissariat. L'entreprise Roxxon fait passer un spot publicitaire pour un produit calmant les jeunes enfants manifestant des syndromes Hulk.
En regardant ce spot publicitaire, Leonard Samson se demande s'il parle des conséquences d'une exposition aux rayons gamma, ou des troubles dissociatifs de l'identité qu'elle occasionne. Pas très sûre d'avoir bien compris, Charlene
McGowan demande si Samson sous-entend que le transfert Gamma reflète l'état mental du donneur Gamma : il répond qu'il s'agit d'une hypothèse probable. Il interroge ensuite
McGowan sur le fait qu'elle soit passée de travailler pour le général Fortean qui voulait capturer Hulk pour le détruire, à travailler pour Bruce Banner afin de l'aider. Elle répond que le manifeste de Bruce Banner fait sens et qu'elle croit en lui. Rick Jones fait une démonstration de son pouvoir à l'occasion d'un concert d'un groupe punk. le sénateur Geoffrey Patrick déclare qu'avec ses déclarations, Bruce Banner s'avère plus dangereux que Hulk. Des jeunes commencent à s'habiller avec des pantalons violets et des sweatshirts verts, avec un masque de Hulk et à manifester sur la voie publique, en lançant des lacrymogènes et en laissant des graffitis Hulk Smash. Jackie McGee est réunion de rédaction pour le quotidien Arizona Herald.
Après la virée à la fin des temps immergée dans la science-fiction, le lecteur se demande quelle direction va prendre la série.
Al Ewing conserve la même recette : un mélange de superhéros et d'horreur. Superhéros un peu particulier puisque Hulk est avant tout vu comme un agent du chaos, un destructeur. Horreur un peu différente : la transformation de Banner en Hulk reste toujours aussi contre nature, mais l'horreur s'enrichit d'une fibre sociale ou politique. Il faut un peu de temps pour que le lecteur découvre le manifeste de Bruce Banner dans son entier, mais ça en vaut l'attente. le scénariste est allé piocher dans l'air du temps pour dresser un tableau atterrant de l'état des démocraties occidentales. Il est tout d'abord question des milliards investis dans la défense, ou plutôt dans l'armée, ou plutôt dans la conception et le développement d'armement toujours plus destructeur, au lieu de les consacrer à la recherche. C'est peut-être une évidence, mais cela sonne juste. La suite devient plus construite : il développe un argumentaire sur la stratégie du désastre, telle que conceptualisée par
Naomi Klein. Les désastres et les catastrophes génèrent à la fois un besoin de reconstruction, à la fois une libéralisation, en particulier un assouplissement des lois pour faire face à l'urgence, condition propice à faire des affaires sur le dos des travailleurs sans avoir à se soucier de leur protection sociale. Dans ces conditions, le système capitaliste a tout intérêt à la survenance de catastrophes, ce qui ne peut que l'inciter à en créer. le peuple est alors atteint de plein fouet par les répercussions, ce qui crée un cercle vicieux qui ne profitent qu'à quelques individus déjà fortunés. L'individu se sent totalement désarmé face à ces multinationales bardées d'avocats qui broient les individus, sans jamais craindre de retour de bâton, ou de devoir supporter les conséquences de leurs destructions.
Ce discours est en prise directe avec la sensibilité du moment inscrite dans l'inconscient collectif mondial. Quand Dario Agger (Minotaur) se vante qu'il a combattu du côté des elfes noirs, contre les humains (au cours de War of the Realms -2019- de
Jason Aaron &
Russell Dauterman) et qu'il est toujours le PDG reconnu et encore plus estimé d'une multinationale, le lecteur a l'impression d'entendre le cinquantième président des États-Unis se vanter de pouvoir sortir dans la rue et tuer quelqu'un sans que personne ne l'arrête. Quand Banner évoque des entreprises capables de faire provoquer des catastrophes pour mieux fourguer leurs produits ensuite, cela évoque des entreprises de sécurité fomentant des troubles pour mieux fourguer leurs services. le scénariste ajoute encore des degrés de résonance avec les citations mises en exergue de chaque épisode. Celle de
William Blake évoque la puissance de la croyance religieuse par opposition à la Loi : une remarque directe sur le nouveau positionnement de Bruce Banner avec la ferveur que suscite son manifeste. Celle
Bram Stoker rappelle qu'on est plus fort ensemble : elle a pour application directe les mouvements sociaux des jeunes habillés en Hulk. Celle du ministère de l'énergie attire l'attention sur l'image que le peuple américain se fait de lui-même, celle de Darwin sur manger ou être mangés. Il n'y a que la dernière qui joue plus sur l'ironie.
Pour cette histoire, le lecteur a le plaisir de retrouver les dessins précis et descriptifs de
Joe Bennett pour 4 épisodes sur 5, sachant qu'il s'agissait d'une série avec un rythme de parution bimensuel. Comme dans le tome précédent, plusieurs encreurs se sont attelés à la tâche : ici ils sont au nombre de 6. Il ne se produit pour autant pas d'écart de rendu significatif, le lecteur serait même en mal de pointer précisément à quel moment un encreur cède la place à un autre, et les pages présentent un degré de finition impressionnant en termes de détails et d'informations visuelles. Comme à son habitude, Bennett réussit aussi bien les pages de personnages en civil que les affrontements. Hulk conserve sa silhouette massive, son regard mauvais sous ses arcades sourcilières proéminentes et sa force colossale. Les ennemis sont toujours aussi monstrueux, y compris Dario Agger, dans un mélange réussi de superhéros (ou plutôt supercriminels) et d'horreur. le lecteur se sent aussi porche des personnages en civil qu'il ressent la puissance dévastatrice des monstres en train de s'affronter. L'artiste s'en donne à coeur joie car plus le récit progresse, plus les conflits physiques reprennent le dessus. Les dessins de
Tom Reilly &
Matías Bergara sont sensiblement différents pour l'épisode 28, ce qui fait sens au niveau du récit, car le point de vue n'est plus celui de Bruce Banner, mais celui d'un policier et de son fils.
Après l'épisode 25 qui marquait la fin d'une phase pour cet Hulk immortel,
Al Ewing entame une deuxième phase en renouvelant la thématique de l'horreur qui prend une dimension sociale d'autant plus terrifiante qu'elle repose sur la puissance d'une multinationale maîtrisant parfaitement les possibilités du système capitaliste, ce qui ne laisse aucune chance à l'individu. Petit à petit le récit revient dans un territoire plus superhéros avec de l'horreur, sans rien perdre de sa pertinence.
Al Ewing a parfaitement dosé ses ingrédients, donnant une rare plausibilité aux méthodes de l'ennemi de Hulk. Comme d'habitude, il est bien épaulé par
Joe Bennett, présent dès le premier épisode de la saison et qui lui a donné son apparence spécifique. S'il cherche un peu de substance dans ses comics, le lecteur est aux anges avec le manifeste de Bruce Banner, qu'il partage ses points de vue ou non. S'il recherche du spectaculaire et de l'action, il est tout aussi contenté dès que Hulk se lâche car son ennemi lui a trié des opposants sur le volet.