Selon
Serafin Fanjul, cet érudit arabisant mondialement reconnu – mais évidemment contesté par certains - , les Espagnols balancent entre arrogance et autoflagellation. Après l'exaltation sous Franco d'une « nation de carton-pâte », « nous avons assisté à une renaissance du pessimisme hispanique ». le livre de Franjul se propose de démontrer que cette Espagne musulmane qui aurait été riche de la présence de trois cultures (musulmane, juive et chrétienne) cohabitant harmonieusement entre elles, n'est qu'une construction mythique édifiée à partir du XIXème siècle. Fanjul ne nie nullement que l'Espagne a été le produit d'apports divers, de pensées et d'influences multiples ; mais il assure que le pouvoir en place d'Al-Andalus assurait la prééminence de la culture musulmane en maintenant un régime proche de celui de l'apartheid, dans l'oppression des populations soumises (p. 432). On a bien compris que sur un sujet aussi brûlant tout doit être argumenté. Fanjul s'y efforce de façon souvent convaincante, car il ne glorifie rien. L'ouvrage a, paraît-il, été raccourci. Ouf !!! Et pourtant. Les longues discussions des thèses de ses détracteurs (principalement espagnols) alourdissent le livre et le rendent souvent indigeste. le chapitre sur l'origine du flamenco permet à notre auteur de dénoncer les stéréotypes propagés par des zélateurs incultes et pleins d'aplomb. Il le fait en polémiste, et néanmoins avec discernement. Ainsi à
Mahmoud Guettat, cet écrivain auquel il s'oppose pourtant, Fanjul reconnait le mérite d'avoir admis que « les influences arabes sont un problème de croyance et non d'analyse ».
Tout cela est bien beau, mais on voudrait arriver plus vite à l'essentiel. On y arrive dans le chapitre où Fanjul analyse l'idéalisation d'Al-Andalus. Il rappelle là par exemple que la condition de la femme d'Al-Andalus, très proche de celle des femmes d'orient était sévèrement limitée. Averroes, ce grand philosophe arabe du XIème siècle, admettait lui-même que « l'état de servitude des femmes a détruit en elles la faculté de parvenir à de grandes choses. »
L'arabisation et l'islamisation d'Al-Andalus se sont produits grâce aux moyens de coercition habituels à l'époque : la pression des impôts, les interdictions et persécutions sporadiques, la définition de normes qui rendaient la cohabitation très difficile aux minorités soumises ; processus renforcé jusqu'au XI siècle par l'immigration lente d'Arabes venus d'Orient. L'humiliation des dhimmis est admises comme normale par les maîtres d'al Andalus. La cruauté des razzias et des dévastations remplissent avec inconscience les chroniques arabes de l'époque.
Pessimiste Franjul, quand il estime que « les communautés, dès qu'elles ont la force suffisante pour le faire, tentent de s'imposer et d'éliminer les groupes concurrents » ? L'exemple récent des déchirements de la Yougoslavie semble confirmer ses doutes sur une harmonie naturelle. On a raison d'affirmer que la cohabitation des cultures et des religions est un idéal auquel il est difficile de renoncer ; mais qu'il faut prendre conscience de la longueur du processus qui y conduit.
En résumé, un livre intéressant, sans tabou, qui interroge et questionne tout autant qu'il affirme et dont les conclusions dépassent le cadre même d'Al-Andalus.