Une histoire étonnante, dérangeante, inclassable .
Pas vraiment un roman- trop court; pas vraiment une nouvelle -trop long; pas vraiment un essai -il y a quand même une intrigue. Mais un peu tout cela à la fois.
Comme en poésie, on se trouve devant un matériau brut - les durs pépins de la réalité- assailli(e) de sensations fortes, violentes- parfois déplaisantes, parfois enivrantes - mais sans qu'aucune main secourable ne nous guide, sans qu'une analyse rationnelle ne mette tout ce magma à distance en le domestiquant un peu.
Une sorte de petite bombe à fragmentation, de mine anti-personnelle...qui envoie les bons sentiments, les bonnes manières, la morale et le conformisme se faire lanlaire vite fait, bien fait.
Jamais vu, ni lu une chose pareille - si peut-être, en très policé et édulcoré dans Doris Lessing ou Virginia Woolf...
Leda a presque cinquante ans, divorcée, deux filles adultes qui vivent à l'étranger, universitaire,seule, en vacances sur la côté ionienne. Elle va, tous les jours, lire et travailler sur une plage aménagée près d'une pinède et bientôt son attention va être monopolisée par une mère très jeune, sa fille et la poupée qui sert de trait d'union à leurs jeux. La famille, napolitaine, bruyante, envahissante est toujours dans les parages et, le weekend, le mari vient ajouter son ombre massive, mi-menaçante, mi-protectrice, au tableau de groupe.
Fascinée, captivée, jalouse et désireuse de précipiter les conflits ou les tentations qu'elle sent poindre, Leda, prise d'une impulsion irrépressible et qu'elle ne s'explique pas, vole la poupée de l'enfant, provoquant un drame.
Rien de pervers pourtant dans ce geste: juste un grand désarroi.
Celui d'une femme qui vit toujours la culpabilité d'avoir pendant trois ans abandonné ses filles pour tenter de se réaliser elle-même, qui, à l'aube de la cinquantaine, sent s'effriter sa séduction devant celle de ses filles, devant celle de cette toute jeune femme, aimée et convoitée, elle dont les aventures ne se vivront bientôt plus que par procuration...
Dans ce monde de forces obscures les objets se chargent d'une puissance maléfique: les chapeaux de paille voyagent d'une tête à l'autre, s'envolent, décoiffent, servent de signal, de balise; les poupées sont un truchement dérangeant à l'amour maternel, la maternité, la sexualité; et les épingles à chapeau n'ont pas toujours pour fonction de maintenir les chapeaux sur les têtes mais deviennent menaçantes, perfides, presque mortelles...
On ne sort pas indemne de ce voyage dans le corps et l'âme féminins, dans ce grand chamboule-tout des relations mère-fille.
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Leda, quadragénaire en vacances, assiste à une scène idyllique sur la plage : une jeune et jolie maman et sa petite fille de trois ans jouent à la poupée ensemble. Elles sont charmantes.
Leda les observe de loin, à la fois fascinée et agacée par la mère et l'enfant parfaites. Ce spectacle et l'agitation vulgaire de la famille qui accompagne (belle-soeur, beaux-frères, grands-parents, et toute une marmaille mal élevée), la replongent dans sa jeunesse, la confrontent à ses faiblesses de mère, elle dont les filles adultes ont pris leur envol.
Universitaire issue d'un milieu populaire, Leda souffre toujours de ses origines. Elle est devenue épouse et mère trop jeune, alors qu'elle était encore étudiante et espérait échapper à la 'médiocrité' familiale. Elle a étouffé, voulu respirer ; son couple et ses filles en ont pâti...
Cette femme rappelle beaucoup la Lena de 'L'amie prodigieuse' (même auteur) : trajectoire sociale, dureté et éternelle insatisfaction identiques.
Mais, tandis que Lena m'agace crescendo au fil des épisodes de la série (3/4), cette Leda me touche. Elle paraît complètement dingue, perverse, malveillante et dangereuse, mais on peut se retrouver dans certains de ses sentiments ambivalents et mesquins, de ses comportements les plus vils de 'mauvaise mère' :
« Je voulais être une bonne mère, une mère irréprochable, mais mon corps s'y refusait. Je pensais parfois aux femmes du passé, écrasées par leurs enfants trop nombreux, aux rites qui les aidaient à guérir ou à supprimer les petits les plus démoniaques : les abandonner une nuit seuls dans les bois, par exemple, ou les immerger dans une source d'eau glacée. »
Beaucoup d'idées terribles comme celles-là donnent l'impression d'entendre un cri. Un long cri sur deux cents pages troublantes, envoûtantes, et dérangeantes, parce que les aveux de Leda nous tendent un miroir à peine déformant, un condensé de nos erreurs, de nos faux-pas.
La voix de femme de Leda m'a souvent fait penser à Annie Ernaux ; sa voix de femme, d'universitaire, de mère et de fille à Catherine Cusset.
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Bien curieuse lecture! Un livre que l'on referme avec une impression de malaise, de perplexité...
Leda, universitaire italienne de presque cinquante ans se réveille à l'hôpital : elle semble avoir perdu le contrôle de sa voiture contre le rail de sécurité .Et elle a une inexplicable blessure au côté gauche...
Retour en arrière : elle décide d'aller passer ses vacances au bord de la mer. Ses filles, jeunes femmes maintenant, vivent au Canada avec leur père, dont Leda est séparée .
Sur la plage, elle remarque Nina, jolie maman d'Elena, qui a trois ans. Et à partir de là, tout déraille dans l'histoire et surtout dans la tête de Leda. Elle vole de façon instinctive et sans vraiment d'idée arrêtée la poupée de la petite fille. La famille napolitaine ( on retrouve cette ville chère à l'auteure dans "L'amie prodigieuse") d'Elena recherche bruyamment et avec acharnement cette fameuse poupée.
Le texte plonge ensuite dans les pensées folles, les souvenirs tourmentés de Leda. J'ai pensé alors aux livres ( la poésie en moins, l'écriture est plus abrupte, plus nerveuse) de Laura Kasischke , où la folie rôde, où les obsessions se multiplient.
Le livre offre une réflexion sur la maternité, les rapports mère-fille, la difficulté à concilier rôle maternel et vie professionnelle, la poupée symbolisant tout cela. Cependant, l'esprit tordu, les névroses de Leda m'ont assez agacée, je ne comprenais pas toujours son comportement.
Un livre, en tout cas, qui ne laisse pas indifférent. Et c'est ce que l'on demande avant tout à une lecture, n'est-ce pas?
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Seule sur la plage ..............
Leda s'isole sous son parasol et observe autour d'elle.
Elle se rappelle ses deux filles qui vivent maintenant au Canada et qui l'appelle de temps en temps.
Ses filles qu'elle a abandonné un temps , pour vivre sa vie, se retrouvée et avec qui c'est le non-amour incompris.
"Mes deux filles se sont éloignées pour de bon. Je les ai perdues dans le futur !"
Quand il fait vraiment trop chaud et que le corps n'en peux plus de chaleur, elle laisse couler l'eau de la douche sur son corps pour enlever l'impression de chaleur.
Elle dit : "The chill of the crocked wing" -(le froid de l'aile tordue). -
L'existence a parfois une géométrie ironique !
La fin m'a laissé sans voix.
Un froid glacial m'a transpercé comme une longue épingle à chapeaux !
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