Cette publication de Presses Universitaire de Rouen et du Havre réunit les actes d'un colloque international qui s'est tenu en juin 2017.
Imaginée comme un premier volet visant à « interroger les représentations contrastées de la force des femmes dans la littérature et les arts, du Moyen Âge à la période contemporaine », elle met en lumière de manière plus ou moins flagrante la position contrastée qu'occupe la femme dans les récits.
En s'intéressant particulièrement à la criminalité, à la « violence des femmes » à l'aide de récits variés en terme d'époque mais aussi de genre, les chercheurs tentent de dégager de principaux axes permettant ainsi de dresser un panorama chronologique de la représentation, ou plutôt, de la mise en récit de la violence féminine.
Il y a un lien étroit avec la criminologie. L'introduction met en avant l'importance de la loi et de ses changements ; dès cette introduction il nous est précisé la « place particulière » des avortements et infanticides et leur évolution légale.
Suivant un schéma chronologique, la première partie se consacre aux canards du 16e siècle. Ces affaires criminelles sont ensuite réutilisées dans les histoires tragiques. de même, les préjugés sous la plume des chroniqueurs de la fin du 19e inspirent la production littéraire et les faits divers eux-mêmes continuent d'être repris bien après les canards (bien que
Genet ait déclaré ne pas s'en être inspiré pour "
Les Bonnes", sa pièce de théâtre ressemble à bien des égards à l'affaire des soeurs Papin).
Mais l'ouvrage se propose aussi de creuser du côté des mythes et de l'image véhiculée par ceux-ci à travers l'analyse du personnage de Clytemnestre notamment sous la plume de
Simone Bertière ("
Apologie pour Clytemnestre").
Ou encore du côté du roman policier et de ses multiples facettes en s'intéressant au personnage de la femme fatale ou de la mère infanticide. Et, plus récemment, en mettant en scène des personnages féminins principaux forts et capables d'en découdre.
Cette lecture m'aura occupé plusieurs semaines. J'ai particulièrement aimé la diversité des sujets. On y trouve de la mythologie avec les figures de Médée (infanticide) Circé (sorcière) et d'autres, des personnages historiques (Charlotte Corday, la comtesse de Báthory AKA "Carmilla" en chair et en os).
et des personnages stéréotypes comme la mère maquerelle et ses « filles » ou les servantes.
Chaque personnage évolue au fil des siècles, par exemple, la servante sous la plume
De Maupassant est une femme abusée, généralement par son employeur, qui se retrouve enceinte et, par dépit, se débarrasse de
l'enfant ; tandis qu'elle devient une figure criminelle autre par la suite, lorsque la servante se rebelle contre son employeur et le tue.
À la fois historique et littéraire,
Figures et personnages de criminelles est un ouvrage passionnant qui donne à voir les évolutions à la fois des crimes féminins mais aussi de leur réception.
La façon dont les écrivains s'en sont inspirés donne une image exagérée ou parfois fausse, mais qui interroge sur l'idéologie, la vision dont on considère les femmes dans la société (incapable d'être à l'origine d'un crime politique par exemple) et dans l'intimité (cruauté sans nom puisqu'infanticide — les violences conjugales, qui ont elles aussi évolué d'un point de vue légal au fil des siècles, sont absentes car il ne s'agit pas des violences reçues mais des violences commises.
Délicate par excellence, l'image d'une femme tueuse est inconcevable, inexplicable d'un point de vue autre que ce
lui des « nerfs », à comprendre qu'une femme ne peut tuer que par excès de sentiments.
Charlotte Corday n'a pas tué Marat pour une raison politique mais par exaltation, aveuglement amoureux.
C'est notamment cette image d'une femme à la fois capable du pire (toujours l'infanticide !) mais incapable du reste qui est déconstruite.
Ce premier volet est une réussite. À voir quel sera le deuxième, mais il est possible que j'essaie de me le procurer !
À savoir : ce livre est un ouvrage de théorie universitaire. Il est donc composé de diverses parties, elles-mêmes composées de sous-parties traitant de perspective différente allant d'une étude générale d'un genre en particulier (ex : histoire tragique) à une étude précisément concentrée sur le personnage d'un roman (ex : Circé de
Julio Cortázar).
Il vous donnera sans aucun doute envie de découvrir de nombreux titres analysées mais le fait de ne pas connaître ces oeuvres en question ne pénalise en rien la lecture.
Merci à Babelio pour cette masse critique.
Merci aux vingt-huit contributeurs.rices pour leur travail minutieux et nécessaire.