Gatsby le magnifique est un roman qui m'avait déçu il y a plusieurs années et j'ai voulu lui redonner une nouvelle chance. Pour tout dire il me semble que je l'avais laissé tomber en cours de route, en plein milieu. Déjà qu'il n'est pas épais... Bien m'en a pris d'en reprendre la lecture, mais à partir du début...
C'est sans doute le milieu dans lequel se déroule l'histoire qui m'avait alors agacé.
Le milieu et ses personnages, un milieu mondain, snob, celui d'une Amérique riche, blanche, cynique, raciste, entre les deux guerres...
Mais ce décor ne doit pas nous empêcher d'apprécier la facture de ce roman, son ton, l'histoire qui en est dépeinte, tout cela à sa juste valeur.
Le personnage principal, - Gatsby donc, tarde à entrer en scène et pourtant on le connaît déjà.
Il est fascinant car il ressemble à une légende, on ne sait trop d'où il vient, chacun y va de sa petite musique, il est comme sorti de nulle part.
Il naît peu à peu par les allusions que font de lui les autres protagonistes, qui l'ont connu ou en ont entendu parler, en très bien ou assorti d'une mauvaise réputation. C'est ainsi que le narrateur découvre le personnage avant même d'en faire sa connaissance et s'en fait peut-être déjà une opinion, longtemps à l'avance, attente qui sans doute participe à la fascination que ressent déjà pour lui le narrateur, Nick Carraway, jeune homme de trente ans, pour ne pas dire sa déification. Gatsby semble tout droit descendu de l'Olympe, comme pour venir toucher le monde des humains avec grâce.
Nous sommes dans l'Amérique de l'entre-deux guerres, au temps de la prohibition. Pourtant ici l'alcool coule à flots chez ces jeunes riches, seuls ou en couple. Les hommes sont décrits comme des dandies, les femmes sont dépeintes en sottes. C'est un snobisme d'apparence agréable et joyeuse qui peuplent leur vies.
Ils appartiennent tous à peu de chose près au même monde. Ils se ruent vers l'est à la recherche d'un bonheur insaisissable. Ce sont des enfants gâtés, une génération perdue entre deux guerres.
Ils se livrent à des fêtes somptueuses, comme une farandole effrénée qui n'en finirait jamais. C'est comme un air de jazz qui traverserait leurs nuits.
Ils se sentent légers, beaux, gracieux le temps d'un bal et retombent comme des albatros privés d'ailes, quand les lumières s'éteignent après la fête.
Sont-ils heureux ? Les personnages de ce roman ressemblent à des phalènes agacées par la lumière d'une flamme dans le soir crépitant.
Derrière les fêtes splendides et les paillettes, c'est la fragilité d'une humanité qui est dépeinte.
Gatsby le magnifique, c'est avant tout un roman d'amour, une histoire autour de la désillusion, un rendez-vous manqué, un rêve brisé comme du verre.
Il y a ici comme un parfum de crépuscule, où les pages donnent l'impression de filer vers la mort. C'est comme une voiture lancée à tombeau ouvert sur une route vertigineuse.
C'est une histoire amère. C'est un livre fait de regrets, comme marcher dos au soleil, avec le sentiment d'avoir perdu une partie précieuse de sa vie, la meilleure à jamais...
C'est une fable cruelle, emplie de désenchantement, qui dit la fausseté des gens, qui dit aussi le désarroi et la solitude de l'âme dans ses plis les plus intimes.
Ici tout semble factice, les décors, les bulles de champagnes, les sentiments qui unissent les couples, tout est faux sauf peut-être les déchirures de l'âme.
Sans doute il y a dans le personnage de Gatsby en apparence désinvolte, quelqu'un qui ressemble étrangement à Scott Fitzgerald. Un être fragile, un amoureux transi qui cache ses blessures dans la fête...
L'ultime phrase qui scelle le roman est d'une cruauté implacable : « C'est ainsi que nous avançons, barques luttant contre un courant qui nous rejette sans cesse vers le passé. »
Voilà, il me semble pouvoir vous dire que j'ai sans doute bien fait de reprendre la lecture de ce roman, longtemps après l'avoir abandonnée.