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EAN : 9782715235649
368 pages
Le Mercure de France (30/10/2014)
3.62/5   4 notes
Résumé :
A l’hiver 1665, une commission juridique extraordinaire venue de Paris se transporte à Clermont. Il s’agit aux lendemains de la Fronde de rétablir l’ordre dans une région écartée et d’y affirmer l’autorité du pouvoir central.
Un jeune abbé, réputé parmi les beaux esprits de Paris, se trouve par hasard faire partie de l’escorte des magistrats. C’est Esprit Fléchier (1632-1710), futur évêque de Nîmes. Le journal où il consigne les travaux de la cour des G... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (1) Ajouter une critique
le 25 septembre 1665, un long cortège de carrosses arrive aux portes de Clermont, en Auvergne, où se pressent tous les notables et la foule venus les accueillir. Ce sont des magistrats venus de Paris, avec leur suite, spécialement investis par des lettres patentes du 31 août 1665 signées du roi Louis XIV, avec mission de rendre la justice dans cette lointaine province. C'est une juridiction d'exception, "vulgairement appelée les Grands-Jours" selon les propres terme des lettres patentes qui fixent minutieusement le ressort de la compétence, les infractions à poursuivre et la manière de procéder.
C'est donc la foule des grands jours (l'expression vient-elle de là ?) qui accueillit ces prestigieux missi dominici, et les notables qui firent assaut de discours, "harangeurs qui ne voulurent rien perdre de leurs études passées, et qui prétendirent se mettre en réputation par une ostentation fort ennuyeuse de leur méchante éloquence"dit Fléchier (p. 84) qui accompagnait les magistrats et se fit le chroniqueur de leur session. Son récit est un véritable compte rendu judiciaire, vivant comme une chronique de Pascale Robert-Diard.

On a peu d'éléments sur la manière de rendre -ou plutôt de ne pas rendre ou de rendre mal- la justice sous l'Ancien régime. Le compte rendu des Grands-Jours en donne de nombreux exemples intéressants, avec des statistiques : douze mille affaires jugées, semant l'épouvante dans toute le région (p. 312). En effet les aristocrates qui ont abusés de leurs pouvoirs sont visés autant que les voleurs de poules. Beaucoup ont pris le maquis - à supposer qu'il existât en Auvergne ! -.

On voit défiler les justiciables. Beaucoup ressemblent à ceux d'aujourd'hui. D'autres sont de leur temps. Ce sont aussi toutes les sentences des juges locaux, royaux, seigneuriaux ou même ecclésiastiques qui peuvent être évoquée par ces "grands juges", et ce, sans appel.
La justice royale est égalitaire, efficace, insensible aux pressions. de ce fait elle n'est pas impopulaire. Les Parlements apportent la modernité dans un monde encore féodal, avant de finir crispés sur leurs privilèges, plus d'un siècle plus tard.

Au delà du récit, il y a la manière de le raconter, et la personnalité du chroniqueur.
Esprit Fléchier, le bien nommé, est un jeune ecclésiastique attaché au représentant du roi, le maître des requêtes M. de Caumartin. Il est devenu le précepteur de son fils, lorsque sa mère est morte. Sainte-Beuve, qui rêve un peu, veut croire qu'il est aussi l'amant de sa nouvelle et jeune épouse. C'est un abbé de cour et de salons. Il en a la vivacité et la sagacité. Mais c'est aussi un grand prédicateur, comme Bossuet. Il fait l'éloge funèbre de Turenne. Il a l'éloquence de la chaire. Il finira évêque de Nîmes, pays camisard, laissant un bon souvenir, même au duc de Saint Simon, qui en est avare.
Fléchier a un ton. Il manie l'humour noir. Il ironise, se moque, s'intéresse aux petites affaires de la cour et aux belles dames. Il ne fait pas que raconter les turpitudes et les manquements. On peut imaginer son scrupule à publier son manuscrit, lui qui donnait plutôt, et avec bonheur, dans l'épigramme, qui allait être élu, en même temps que Racine, à L' Académie Française, et qui entamait une très respectable carrière ecclésiastique.
La passionnante préface de Yves-Marie Bercé raconte comment le texte ne fut exhumé qu'au milieu du XIXème siècle, avec un préface de Sainte-Beuve, qui en fit la louange. Confronté aux notes du greffier Dongois, conservées aux archives du Parlement de Paris, il permet aux historiens de documenter chaque affaire. Pour quatre mois, du 26 septembre 1665 au 30 janvier 1666, les Grands-Jours ont examinés en réalité 1360 affaires criminelles, ont prononcé 692 condamnations, dont 450 prononcées par contumace (parmi lesquelles 347 condamnations à mort). Il y eu 23 condamnations à mort effectives, 22 envois aux galères et 21 condamnation au fouet. le total des amendes prononcées s'est monté à 607 064 livres.
Justice plus clémente que sa réputation ! En l'absence des condamnés, on brûle en public leur effigie. On rase leur château. Et le greffier Dongois note que les démolitions font plus d'effet que les exécutions : "les ruines d'une maison appartenant à des personnes de première qualité dans la province, font longtemps souvenir leurs semblables de leurs crimes et de leur punition." (p. 338)

Le texte de Fléchier est plein de trouvailles. Quelques années avant La Princesse de Clèves, il illustre le roman précieux dans une incise préliminaire. Il s'émerveille des paysages d'Auvergne "qui sont d'un vert bien plus frais et plus vif que celui des autres pays". Il décrit la société locale, remarque les jeunes et jolies femmes. Il s'amuse de la rage des gens de toutes conditions à danser à tout propos la bourrée, mais aussi la goignade, fort peu recommandable et qu'un évêque n'hésite pas à excommunier : barbara saltatio ? (p. 266-267).
Sainte-Beuve (p. XIX) dit justement : " Il considère les Grands-Jours comme une sorte de tragi-comédie, et il y dispose le touchant, l'horrible, le gai avec alternative et comme on assortit des nuances. "
Passionnante lecture !

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Citations et extraits (1) Ajouter une citation
Cependant que toutes ces choses se jugeaient, une troupe de comédiens de campagne était arrivée pour venir donner du divertissement à ceux qui donnaient de la terreur à tout le monde. Ils dressèrent d'abord leur théâtre, et furent prêts à jouer le lendemain […] Ils disaient tout rôle du mieux qu'ils pouvaient, changeant l'ordre des vers et des scènes, et implorant de temps en temps le secours d'un des leurs qui leur suggérait des vers entiers, et tâchait de soulager leur mémoire. [… ] Il y avait une de leurs femmes qui récitait assez bien, et il faut leur donner cette louange qu'ils représentaient assez bien le burlesque, parce qu'ils étaient assez burlesques eux-mêmes, et qu'ils étaient meilleurs farceurs que comédiens. Comme ils sont seuls dans la province, il faut bien se contenter d'eux. Cela fait qu'on y va presque pour y trouver compagnie plutôt que pour y entendre les comédiens, et qu'il s'y passe bien d'autres amours que ceux qu'on représente sur le théâtre. L'assemblée est composée de quelques dames de la ville qui sont de tous les divertissements, de quelques galants qui les suivent ou qui les mènent, et de quelques-uns de Messieurs des Grands-Jours qui jouent des personnages bien différents dans cette ville. Ils font dresser des échafauds pour les exécutions, ils font dresser des théâtres pour leurs divertissements ; ils font le matin les tragédies dans le palais, et viennent entendre l'après-dînée les farces dans le jeu de paume ; ils font pleurer bien des familles, et veulent après qu'on les fasse rire et comme si la judicature était attachée à leur robe, ils dépouillent toute leur sévérité en la dépouillant, et ne se font plus craindre lorsqu'ils sont habillés de court. Ils voient pourtant dans la représentation du théâtre une partie de ce qu'ils voient en instruisant les procès, c'est-à-dire des tyrans qui ont opprimé les faibles, des amants qui ont fait mourir leurs rivaux indignement, des femmes qui ont donné ou qui ont reçu du poison de leurs maris, et cent autres passions dont on se plaint dans la province et dont on se rit dans le tripot, qui peuvent pourtant servir pour exciter à la justice, parce qu'on les représente toujours punies. (p. 161)


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