Si le gouvernement a le droit absolu d’empêcher tout ce qui lui déplaît, il devient, par cela même responsable de tout ce qu’il laisse publier… Il n’en est plus ainsi, avec une censure toute-puissante, lorsque rien ne peut être publié sans l’agrément formel du gouvernement. C’est lui qui devient alors responsable de ces articles puisque, s’arrogeant le droit de les supprimer, il en a pourtant autorisé la publication. Puis, si la censure a des droits illimités, si elle peut tout supprimer à sa guise, voici toutes les administrations de l’État, tous les services publics à l’abri, désormais de toute critique, de tout contrôle. Les journaux devront reconnaître au moins par leur silence que tout est pour le mieux sous le plus infaillible des gouvernements, puisqu’il n’y a aucune faute commise, aucun abus à déplorer, aucune doléance à exprimer, aucun vœu à formu
La censure est assurément l’une des questions les plus originales de cette époque. Elle suspend des processus historiques de démocratisation des systèmes politiques à l’œuvre dans les pays européens, notamment en France. L’enjeu réside dans une tentative de contrôle et d’encadrement des opinions publiques le temps d’une guerre appelée à durer au-delà de ce que les responsables politiques et les chefs militaires croyaient. Cette situation conduit les gouvernements à adapter le fonctionnement des institutions à un temps inédit de restriction des libertés publiques alors que la Troisième République avait parachevé, dans l’esprit des contemporains, la conquête de ces dernières commencée avec la Révolution française.
La guerre est un choc mental. Aussi le contrôle de l’information s’est-il étendu à tous les signes et images sensibles disant aux Français la guerre qui se jouait. La censure s’insinue dans tous les pans de la société, dans tous les espaces de la pensée et des sensibilités. Elle frappe directement, irrémédiablement, à travers les revues et les livres, la pensée. Loin de se lancer dans un combat contre la censure, les écrivains et les intellectuels ont, par deux positions alternatives, justifié puis accommodé la censure à la création et à la diffusion des idées
Il nous est apparu enfin que le meilleur moyen d’éviter, de la part des journaux français, même de la meilleure foi, la publication dangereuse de renseignements pouvant servir aux états-majors ou aux gouvernements ennemis, serait d’assurer, à tous ces journaux indistinctement et simultanément la communication périodique des mêmes renseignements officiels dans la mesure que votre gouvernement jugera possible. Sous le bénéfice de ces observations, votre commission de l’armée, à l’unanimité, vous propose d’adopter le projet de loi.
Le Censeur. C’est déjà quelque chose si le silence est d’or, la parole est d’argent comme disait Sacha Guitry à Charles le Chauve. Du reste, pour vous éviter des ennuis […]