Prenez un cadre légèrement dystopique (ou précurseur dirons les plus pessimistes), quelque chose que
Blandine le Callet avait admirablement posé dans
La Ballade de Lila K, un univers tout droit sorti des 21 leçons pour le XIXe siècle de
Yuval Noah Harari aussi : les nanotechnologies ont permis des greffes confinant à l'immortalité, les désordres climatiques ont conduit les plus nantis à s'abriter sous un dôme anti pluies toxiques, la financiarisation du monde a transformé les nations en produits rachetés par de grandes firmes privées.
Bon, puisque ce billet a essentiellement vocation à vous communiquer mes humeurs, autant être efficace et vous distiller au fur et à mesure les raisons de mon acrimonie contre ce bouquin. Ce qui a commencé à me chatouiller un peu à propos de ce cadre, c'est cette posture dogmatique qui consiste à inventer un monde (pas particulièrement réjouissant) et à ne pas se soucier une seconde de sa crédibilité : c'est le chaos, la pollution et le dérèglement climatique ont tout ruiné, les pluies ne sont plus acides mais huileuses mais y a encore des sandwichs au poulet, des litres et des litres de lait qui tombent dans l'appartement du héros. Des enfants et des femmes enceintes. Et cet arrière-plan normalisé n'est pas crédité de la moindre explication. C'est le fondement implicite minimal à partir duquel s'élabore la fresque des possibles dystopiques. Qu'il soit invraisemblable n'est pas la question.
Mais reprenons notre recette : Campez tout ça aux abords de la Grèce. Récupérez ainsi le fond de bazar exotique : bouzouki, dolma et huile d'olive. Avec cette carte postale bleue et blanche, vous avez aussi le berceau de notre civilisation, la philosophie et la tragédie. Important la tragédie.
Ajoutez un fond d'intrigue policière avec un duo déséquilibré homme femme. Consentez à ce que ce soit la femme qui soit la supérieure hiérarchique, ça fera des développements intéressants.
Bon. Vous y êtes. Et maintenant l'intrigue : un cadavre étrangement éventré dans une décharge. Des intérêts politiques forts sur fond de campagne électorale. Un autre cadavre. Et les souvenirs traumatiques de notre héros Zem Sparak quant à cette sombre période où tout l'élan démocratique d'un peuple a plié sous la force conjuguée des armes, de l'ultra capitalisme et de l'habituelle lâcheté humaine.
Vous l'avez bien senti, j'ai une dent contre certains romans français. de ceux qui planifient tout, le déploient au cordeau et écrivent comme ils résoudraient une équation chimique. Mais voilà,
Chien 51 m'a paru tellement démonstratif ! Et tellement vain !
Car tout cet attirail dystopico policier ne sert finalement qu'à interroger le rapport d'un homme à son destin, la place d'une individualité dans le cours de l'Histoire. Et à montrer que, mutatis mutandis, eh ben y a pas grand-chose de nouveau sous le soleil et qu'on est bien peu de choses face aux forces politiques et idéologiques qui nous broient. Breaking news : l'hybris ne peut rien contre l'Olympe.
Et c'est là où ça a fini de m'énerver. Parce que bon, justement, depuis ce constat antique, on en a accumulé de la philosophie pour construire quelque chose ! de l'épicurisme, du stoïcisme, de l'utilitarisme, du comportementalisme, du tout ce qu'on veut mais autre chose que d'en rester là.
Et on a montré aussi tout ce que cette manière de cadrer le problème avait de biaisé et de réducteur : L'homme face à son destin ? L'individu mâle dans la force de l'âge qui ne peut rien contre le monde de violence dans lequel ses paires l'ont jeté et qui esquisse un rictus avant de sombrer ?
Ca vous a un petit côté phallocentré tellement patriarcal. Et complètement daté. Et ce n'est pas le traitement lamentable que reçoit le personnage féminin qui pourra relever le niveau...
Résumons-nous : des procédés fictionnels éculés, une intrigue usée jusqu'à la trame pour un propos impropre à éclairer notre pensée… ne reste peut-être que le plaisir d'une narration qui se déroule de manière plutôt fluide. Maigre consolation.
Et puis, au-delà de toutes ces considérations stylistico politiques, il y avait encore quelque chose autour de ce titre qui m'a tarabusquée…
Chien 51… Je comprends bien la nécessité interne à ce choix mais il y a autre chose…
Allons, au diable l'éthos du critique corseté, à l'heure des canicules et des chemisettes, faisons fi des élégances littéraires, libérons les associations de pensées les plus triviales ! « 51 », « 51 » ? le pastis bien sûr !…, avec notre cadre romanesque, ça colle : la Grèce, la Méditerranée, l'ouzo, tout ça !
Et « chien » alors ? Chien + Grèce = paysages escarpées, chèvres, troupeaux,… troupeaux = berger. Berger ! Une autre sorte d'anisette !
Ah ! Mais alors ? et si finalement ce roman n'était qu'une vaste blague ? Un délire vespéral après de trop longues heures à téter du petit jaune près du terrain de pétanque ?
Chien 51 ou la quadrature de l'apéro. Qui l'eût cru ?