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sur 1669 notes

Critiques filtrées sur 4 étoiles  
Les auteurs qui osent se renouveler en abordant des styles dans lesquels on ne les attend pas forcent le respect. Ces auteurs prennent le risque de déstabiliser leur lectorat habituel et de s'attirer les fourches caudines des aficionados du style abordé, c'est d'autant plus vrai lorsqu'il s'agit d'un style clivant comme peut l'être la science-fiction. Mais c'est en même temps pour un écrivain c'est une façon de se remettre en cause, de relever un défi, de trouver de nouvelles sources de motivation et de créativité.

Laurent Gaudé a osé, « Chien 51 » est en effet un livre de science-fiction, sa première dystopie dans laquelle, une fois le décor planté, il fait vivre avec efficacité une enquête policière. Je trouve le pari totalement réussi tant le livre est bien construit, intéressant et prenant. Il faut dire que Laurent Gaudé n'a pas fait preuve d'une imagination totalement farfelue pour planter le décor de son livre, il s'est appuyé sur notre réalité et a poussé le curseur juste un peu plus loin.

Imaginez un peu…

Imaginez qu'un pays en faillite, comme la Grèce il y a quelques années, soit purement et simplement racheté par une grosse firme multinationale en contrepartie d'en assurer la gestion, de faire travailler ses habitants, devenus des « cilariés », mélange de citoyens et de salariés. Une privatisation au cours de laquelle l'État disparaitrait. Farfelu ? Pas tant que ça lorsque nous voyons le pouvoir croissant que certaines grosses entreprises planétaires ont et dont elles abusent pour influencer de façon de plus en plus inquiétante les États.

Imaginez un monde dans lequel le climat soit totalement déréglé de sorte que des tempêtes terribles puissent se déchainer subitement, de sorte que les températures soient extrêmes, et où la pluie soit une pluie acide et jaune sous laquelle il n'est pas bon de chanter de façon primesautière. Farfelu ? Cela se passe de commentaire.

Imaginez, dans un tel pays géré par une firme multinationale, la mise en place d'une politique de zonage. Les rares personnes les plus éminentes (hommes et femmes politiques notamment) vivraient dans la zone 1, zone idyllique et luxueuse protégée totalement de l'extérieur par un dôme climatique, les personnes diplômées (ingénieurs, médecins, cadres par exemple), elles, seraient immédiatement invitées à signer un contrat d'embauche pour une durée de dix ans renouvelables. Ils auraient ainsi le fameux statut de « cilariés » et vivraient en zone 2, zone au calme relatif protégée de l'extérieur elle aussi par un immense dôme climatique. Les personnes non qualifiées mais qui avaient un travail dans le pays racheté seraient invitées à rejoindre la zone 3, une immense zone suburbaine ouvrière où les immeubles délabrées côtoient les nouvelles constructions à logement intensif. Une zone pauvre, sans végétation, truffée de terrains vagues à la chaleur écrasante. Une zone 3 sans dôme climatique. Quant aux chétifs, aux délinquants, aux prisonniers, eux seraient tout simplement rejetés de la mégalopole, déportés on ne sait où. Des zones bien délimitées séparées par des check-point. Farfelu ? Pas tant que ça, ce serait ramener au niveau local l'existence des inégalités que nous avons déjà tant et tant exploitées au niveau mondial, faisant des peuples les plus pauvres des cobayes pour les plus riches.

Imaginez un jeu de loterie qui promet à un résident de la zone 3 de devenir habitant de la zone 2. Ce jeu appelé « Destiny » permettrait de maintenir l'espoir des plus démunis, n'empêchant pas cependant des périodes d'émeutes revendiquant la fin des zones, l'addition des zones 2 et 3, la disparition des check-points.

Imaginez enfin une technologie médicale permettant à quelques rares élus de la zone 1, les Honorables, de bénéficier d'une greffe permettant de vivre plus longtemps, de n'avoir pas de maladie, d'usure lié à l'âge. Une technologie qui vaudrait de l'or et qui susciterait quelques convoitises. Pas si farfelu, n'est-ce pas ?

Voilà le décor visionnaire planté par Laurent Gaudé dans lequel nous allons rencontrer Zem Sparak, un « chien », à savoir un policier déclassé de la zone 3. Il vient De Grèce et a vécu ce moment terrible où son pays, qui n'existe plus, a été racheté par la firme GoldTex. C'est une personne amère et sombre qui a tout perdu, famille, amis, amour, qui n'a pas réussi à empêcher la dislocation de son pays malgré son engagement, et qui vit avec la honte d'une terrible trahison faite juste avant son départ. Un matin, en pleine zone 3, il découvre sur un terrain vague un corps retrouvé ouvert le long du sternum, éventré tel un poisson vidé de ses entrailles. L'homme mort venait de la zone 2. Placé sous la tutelle d'une inspectrice de la zone 2, Salia, il se lance dans une longue investigation.
Durant ses seuls moments de répit, la nuit, Zem va retrouver les images chéries de sa Grèce natale grâce à la technologie Okios, aussi addictive que l'opium.
Le binôme va peu à peu remonter la piste du meurtrier, au prix de leur santé, au prix de leur vie.

« C'est ce soir-là qu'il avait eu, pour la première fois, l'impression d'être un oeil. Il était immobile et laissait venir à lui toutes ces ombres, petits travailleurs, vieillards alcooliques, enfants mal lavés, femmes éreintées par la course des jours. Il les regardait et il lui sembla qie c'était pour être là, parmi eux, qu'il avait fait ce long chemin depuis la Grèce : arriver jusqu'à cette place des Feux et être celui qui contemple ceux qu'on ne voit pas. Peut-être était-ce à cela qu'il était destiné : être l'oeil qui voit les masses éreintées ? Non pas pour les protéger mais pour que l'oubli ne tombe pas sur leur vie. Pour que lorsqu'un d'entre eux mourrait assassiné, il soit fait promesse de trouver le meurtrier, de réparer le scandale. C'est à cela qu'il allait donner sa vie ».


Pays privatisés, sélection et zonage des cilariés, technologies invasives, dérèglement climatique, c'est dans ce décor glaçant que Laurent Gaudé déroule de main de maître une enquête policière haletante et sombre, empreinte de nostalgie pour ce qui fut, souvenirs précieux et lumineux telles des étoiles porteuses d'espoir en ce monde menacé devenu menaçant. L'écriture est belle, fluide. L'intrigue est bien menée et les personnages, notamment Zem Sparak, de plus en plus attachant. Une très bonne surprise que cette intrusion dans le monde de la SF, du polar SF, par un Laurent Gaudé bien inspiré !
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La plume, qui a frôlé, et parfois même donné en plein un chef d'oeuvre de quelque genre qu'il soit, ne peut plus simplement écrire un bon livre.
C'est devenu trop peu !
Laurent Gaudé le sait, lui dont l'oeuvre est balisée par quelques grands livres.
"Chien 51" est d'un genre à la fois original et très classique, un polar d'anticipation.
Il a été édité, en 2022, aux éditions "Actes Sud".
Et, son genre étant posé, chacun va s'empresser d'aller dénicher la référence, le livre déjà écrit dont on pourrait y apercevoir l'ombre de l'empreinte d'un hypothétique influence ...
Mais, même si l'on peut lui concéder quelques points communs avec "Soleil vert" d'Harlan Harrisson, ce nouvel opus de Laurent Gaudé est un livre atypique, marquant et orienté.
Et, J'ai ressenti ce livre comme un brillant slogan altermondialiste, comme un cri de révolte face au monde qui s'annonce !
Peut-être ai-je eu tort ?
Enfin, le rachat de la Grèce par Goldtex, cela ne vous dit pas un tout petit quelque chose ?
Athènes marchait tête basse !
D'ailleurs ne devrions-nous pas tous marcher tête basse ?
Mais ceci est presque une autre histoire ...
Le livre de Laurent Gaudé est un récit tendu, dur et sans concession.
C'est un polar très noir, une enquête policière menée dans un monde futuriste que l'on aimerait ne jamais connaître.
Rien n'y est simple, rien n'est épargné à ses deux enquêteurs, Salia Malberg et Zem Sparak, celui à qui le livre doit son titre "Chien 51"...
Zem Sparak, flic de seconde zone, anesthésié par le poids de son histoire, par la tragédie de son pays devenu un gigantesque champ d'ordures et par le sacrifice d'un amour jamais oublié.
Zem Sparak qui a la tristesse du vieillard qui se souvient des monde engloutis !
Le livre est écrit de manière magistrale.
J'ai lu quelque part sur Babelio, qu'il fallait être, en général, un écrivain du genre pour plus que moins livrer de la bonne vieille SF à ses lecteurs !
Les exemples ne manquent pas pour venir en contre-feu de cet axiome bien peu mathématique :
Perrochon et ses hommes frénétique, Pierre Véry et son royaume des feignants, son pays sans étoiles, Robert Merle et Malevil, Jean-Christophe Rufin et Globalia ...
L'anomalie d'Hervé le Tellier venant tout de même d'emporter un prix Goncourt largement plébiscité, et couronné par un record imminent et absolu des ventes depuis la création du prix en 1892.
Alors, alors ! Que dieu me savonne !
Et que Savinien de Cyrano, dit de Bergerac, me pardonne.
La science-fiction serait-elle un pré carré ?
Quoi qu'il en soit, "Chien 51" est un bon roman de SF mâtiné de polar, à moins qu'il ne soit un excellent roman policier dystopique.
A vous de voir ...
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Des dystopies je n'en ai pas lu énormément, mais je peux tout de même affirmer qu'elles excitent ma curiosité et me poussent à poursuivre jusqu' au dénouement, tout en provoquant chez moi un malaise, sorte d'angoisse que je ne peux contrôler, sans doute parce que, si certains romans développent un scénario peu probable, d'autre m'amènent certainement à envisager l'avenir de l'humanité de façon similaire au récit.

Chien 51 est tout à fait le type de récit qui laisse pensif : la Grèce en faillite, on l'a vu, et qu'un empire financier tout puissant rachète des pays… Pourquoi pas ? L'informatique ayant propulsé l'humanité dans un monde qu'on n'aurait pas imaginé il y a ne serait-ce que trente ans, on pourrait être amené à penser qu'une élite aurait les moyens de prendre le pouvoir et de surveiller chaque individu de la même manière que cela se pratique à Magnapôle, cité ultra moderne, née du rachat de la Grèce, utilisant une technologie de pointe, c'est même plus plausible que la domination de big Brother par écrans interposés.

Et là, on réfléchit, on se demande si cette société décrite dans Chien 51 n'existe pas déjà, sommes-nous vraiment égaux ? Non bien sûr ! Mais la différence entre ce récit et notre société actuelle, c'est que les inégalités existent naturellement quel que soit le gouvernement d'un pays… Dans chien 51, on cloisonne volontairement la société : les nantis, les travailleurs honnêtes qui méritent qu'on les gratifie de confort supplémentaire, et les autres : chômeurs, petits boulots, pauvreté, précarité… et on veille à ce que ces trois mondes ne se croisent pas !

Autre aspect anxiogène du roman : l'environnement : les pluies acides surviennent sans prévenir, un liquide jaune vous tombe dessus, les furies peuvent se déchaîner et tout emporter sur leur passage, On est bien face à un dérèglement climatique.

On n'oubliera pas l'action : il s'agit bien d'un thriller policier, avec un bon suspense, de la violence, une violence inouïe, avec des enquêteurs qui bien sûr, n'agissent pas en toute liberté et qui passent leur temps à « marcher sur des oeufs » dans ce monde où une poignée d'hommes fourbes et assoiffés de pouvoir font leur loi.

Un page-turner efficace et dont la lecture ne manquera pas de rester gravée dans les mémoires.

Challenge multi défis
Lien : http://1001ptitgateau.blogsp..
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Je viens de faire connaissance avec Laurent Gaudé, grâce à "Chien 51" qui, d'après ce que je crois comprendre, sort un peu du registre de l'auteur. N'ayant rien lu d'autre de lui, je ne peux confirmer ou infirmer, je ne peux non plus comparer, ce qui n'est finalement pas plus mal. le côté dystopique associé au polar m'a tout de suite attirée, et maintenant que je l'ai terminé, je peux dire que c'est même plutôt réussi.

Laurent Gaudé nous plonge dans un monde dirigé par les grandes multinationales, qui n'hésitent pas à racheter des grandes villes, voire des pays entiers, en faillite. C'est ainsi que Zem Sparak a dû quitter sa Grèce natale pour s'installer à Magnapole, sorte de grande ville faisant office de capitale pour GoldTex, le géant qui a acquis Athènes récemment. Magnapole se découpe en trois zones. Les zones 1 et 2, recouvertes d'un dôme climatique gigantesque, accueillent la population riche et "utile", la zone 1 accueillant les privilégiés et les gros pontes. La zone 3 regroupe les bas quartiers, les pauvres ; elle n'est évidemment pas protégée par le dôme et doit faire face régulièrement aux pluies acides et tempêtes impressionnantes. Pour passer d'une zone à une autre, c'est tout un protocole qu'il faut respecter, et c'est loin d'être accordé à tout le monde.

C'est dans ce cadre que nous suivons Zem, un "chien" comme l'on nomme les policiers de la zone 3, qui va devoir enquêter sur le meurtre d'un individu, vivant en zone 2 mais retrouvé éventré dans la zone 3. Pour cela, il sera sous les ordres de Salia Malberg, jeune inspectrice de la zone 2, pour qui il fera le "toutou". Leur enquête les baladera de la zone 3 à la zone 1 et inversement, tour à tour menacés et menaçants, et les guidera vers des conspirations politiques mêlées à des violences de basse extraction.

Nous voilà donc pris au piège dans cette mégalopole futuriste, qui n'a rien pour plaire mais qu'on ne veut absolument pas quitter avant de connaître le fin mot de l'histoire. L'enquête en elle-même nous tient par le bout du nez, sans trop jouer de suspense pour autant, mais réussissant tout de même à titiller notre curiosité tout du long. Elle prend des teneurs amères, oppressantes, au fur et à mesure qu'on s'approche de la vérité. le devenir de nos deux enquêteurs prend un tournant quelque peu inattendu et prend de plus en plus d'ampleur dans la résolution de l'enquête. C'est littéralement pesant, opprimant, parfois déprimant ou offusquant, mais paradoxalement accrochant et exaltant. L'atmosphère est remarquablement bien rendue, et nous happe dès les premières pages.

Quant aux personnages, je n'ai eu que peu d'empathie pour Salia, qui n'a connu que Magnapole, et qui de ce fait vit au même rythme qu'elle et en accepte les préceptes. Pour Zem, en revanche, c'est différent. Il a connu l'expression "vivre libre", si on peut dire. Il regrette sa ville d'origine, sa vie d'avant. Il passe ses moments libres au RedQ, là où il peut les retrouver telles qu'elles étaient grâce à une technologie de pointe (et d'un peu de drogue). Affecté d'abord en zone 2, il a été volontaire pour travailler en zone 3 suite à un évènement dramatique. J'ai donc eu beaucoup de compassion pour cet être cassé, qui vit dans le passé et la culpabilité, partagé entre sa vie d'avant qu'il regrette et celle d'aujourd'hui qu'il n'aime pas. Il n'est peut-être pas touchant au sens propre, mais est quand même apitoyant et parfois désarmant.

Dans ce roman à la fois d'anticipation, dystopique et policier, Laurent Gaudé pose son décor (un monde de demain, avec tous ses dysfonctionnements climatiques), construit une intrigue (aux allures socio-politiques), campe des personnages (ambigus) dans un style qui se veut à la fois grave et mélancolique, peut-être un peu impersonnel également, mais tout autant convaincant et posé.

Ça a été (et non pas "ç'a été"...) une belle expérience. Ce mélange des genres est pour moi une réussite.
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Appelé sur une scène de crime, Zem apprécie moyennement d'être associé sur cette affaire à une jeune femme qui se trouve de plus être sa supérieure. Un début de polar banal, ce que le mode opératoire ne démentira pas ! Mais voilà, nous sommes en Grèce, ou ce qu'il en reste, alors que le pays en faillite a été racheté il y a de nombreuses années par une multinationale ! L'opération financière s'est assortie de pertes humaines colossales et d'une partition de la région géographique en zones bien distinctes selon le statut social de leur population. Seules les résidents de la zone 2 bénéficient d'un dôme protecteur contre les ouragans terribles qui surviennent régulièrement. Quant à la zone 1 elle est réservée à une élite politico-économique qui s'affronte au moment où les deux enquêteurs s'intéressent à l'histoire de leur victime, en vue des prochaines élections.

On est donc plongé au coeur d'un futur terrifiant, qui représente une exacerbation de tous les délires du libéralisme. La marchandisation d'un pays et de ses habitants est une dérive extrême mais pas invraisemblable des politiques de notre époque. 1984 en comparaison est un séjour bien-être tout inclus !

Le roman de science fiction se double donc d'une enquête policière que l'obstination de nos deux limiers entraîne sur des territoires de non droit extrêmement préjudiciables pour leur vie !


Bien construit et bien mené, on s'attache vite à l'intrigue et on frémit à l'évocation de cet univers si dénué d'humanité.

Belle réussite une fois de plus pour cet auteur qui excelle quel que soir le genre littéraire abordé !

304 pages Actes sud 17 Août 2022
Lien : https://kittylamouette.blogs..
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Véritable touche-à-tout, l'écrivain français Laurent Gaudé n'a plus rien à prouver. Lauréat du prix Goncourt en 2004 pour le magnifique le Soleil des Scorta, l'auteur aime se jouer des genres. On lui doit par exemple l'un des meilleurs romans de fantasy francophone, le sublime La Mort du roi Tsongor, ou encore le roman fantastico-historique Cris
Pas étonnant donc de le voir débarquer là où on ne l'attendait pas pour cette rentrée littéraire. Chien 51 mixe science-fiction et polar pour mieux reprendre les obsessions et la langue de son auteur. Mais Laurent Gaudé nous emmène-t-il dans le futur avec autant d'aisance que lorsqu'il nous guide à travers les turpitudes des temps jadis ?

Neuromancien à la grecque
Si vous ne l'aviez pas encore remarqué, l'imaginaire devient de plus en plus courant dans le milieu de la littérature générale. Chien 51 symbolise parfaitement cette infiltration en pleine lumière puisqu'il ressemble souvent à s'y méprendre à l'univers d'un certain Alain Damasio et ses Furtifs. 
La grande différence, c'est que Laurent Gaudé écrit infiniment mieux et de façon bien moins artificielle que l'auteur de la Zone du Dehors
Commençons par poser le décor. Nous sommes dans un futur plus ou moins proche et Zem Sparak est un « cilarié » (comprendre citoyen + salarié) de Magnapole, une immense mégalopole divisée en trois zones, chacune délimitant des populations de plus en plus riches et puissantes. 
Dans la zone 3 où exerce Sparak en tant que flic déclassé (ou "Chien" comme on l'appelle ailleurs), les habitants s'éreintent pour une misère dans le seul but d'entretenir les beaux quartiers de la zone 2…sans même parler de l'opulence de la zone 1 qui appartient à l'élite de l'élite. 
Cette Magnapole est la propriété d'une puissance multinationale appelée GoldTex. Dans le monde de Zem Sparak, des pays entiers sont rachetés par les consortiums et transformés à la guise de ces nouveaux propriétaires inhumains pour en tirer le maximum de bénéfice. Originaire d'Athènes, Zem a connu le rachat puis l'exode, la violence et la trahison. Désormais, pour retrouver sa Grèce d'origine, notre Ulysse cyberpunk doit avoir recours à l'Okios, une drogue particulière qui le ramène des années en arrière loin des sinistres caniveaux de la zone 3. 
Tout bascule lorsqu'un corps éventré est retrouvé dans une décharge de la zone 3 et que la victime s'avère « cilarié » de la zone 2. Obligé de faire équipe avec Salia, une flic de la zone 2, Zem s'embarque dans une enquête qui le dépasse complètement, perdu dans les limbes de la politique et de l'ultra-capitalisme de la Cité. 
Ainsi, nous voici devant un roman de science-fiction mixé à du polar bien noir sous couverture de littérature blanche. Certains parleront de dystopie (et ils auront raison), d'autres insisteront sur l'aspect policier (et ils auront également raison) tandis que d'autres encore y verront un énième récit teinté de mythique et de mélancolie (et devinez quoi ? Ils auront raison aussi). 
Laurent Gaudé explore cependant la science-fiction de façon un peu moins convaincante que la fantasy. Pas que sa langue faiblisse ni que ses personnages soient moins convaincants, mais on sent qu'il manque de l'originalité à ce gros mix science-fictif qui n'a pas grand chose de novateur pour qui est familier du genre. 
Reste cependant que le français connaît son art et qu'il maitrise son sujet, celui de l'homme face à ses démons, celui de l'individu broyé par la défaite. 

Écoutez nos Défaites
Chien 51 est un pur objet de science-fiction par bien des aspects. Et, comme chacun sait, la science-fiction n'est que la conjugaison au futur de nos préoccupations présentes. Normal donc de retrouver dans le roman de Laurent Gaudé une problématique climatique avec des pluies acides nécessitant une protection de pointe par un dôme climatique devenu vital, normal aussi de s'effrayer devant la toute-puissante capitaliste et des multinationales qui, désormais, régissent la vie des gens et remplacent les États eux-mêmes. Mais Laurent Gaudé, outre ses aspirations cyberpunk à peine dissimulées, nous livre aussi un polar politique efficace qui ressemble parfois à du Volodine dans le désespoir qu'on y capte. Zem Sparak a échoué. Il s'est battu pour les siens, pour son pays. Il s'est révolté mais il a perdu. Pire, il a trahi. Et depuis, il erre comme un fantôme en quête de son Ithaque, cette Grèce saignée à blanc. Et si la Grèce est le théâtre des opérations de Chien 51, cela n'a rien d'anodin. À la fois parce que cela permet à son auteur de filer une certaine métaphore antique à propos de son personnage principal et de la Cité (de l'Acropole à Magnapole, il n'y a qu'un pas), mais aussi parce qu'il s'agit de ce fameux pays aux problèmes économiques profonds pour l'Union Européenne dans notre propre univers. le roman, lui, ne joue pas la seule carte de l'exploration science-fictive et l'intrigue se construit comme un polar surligné de noir. On y retrouve des codes clairs, de son enquêteur démoli et solitaire qui cherche la rédemption, prêt à toutes les violences pour (se) faire justice aux rebondissements multiples sur l'identité d'un tueur qui s'avère bien plus politique qu'on ne le croit de prime abord. Laurent Gaudé, mélancolique et passablement pessimiste, contemple la folie des hommes et l'échec de la révolution. Il nous parle de nos défaites à travers le combat de Salia et Zem, deux amoureux qui n'en seront pas comme si l'amour lui-même était un cul-de-sac…au moins quand il s'attache à l'homme. Il nous parle d'un monde sous contrôle, gavé jusqu'aux yeux de propagande capitaliste et sous la main de fer d'un système policier qui repose autant sur la manipulation que sur la violence. Et puis il y a ce rêve d'immortalité, certainement le plus vieux fantasme de l'humanité, que l'on atteint presque par la « greffe » mais qui se construit sur le sacrifice et le mensonge. Qui s'arrache et qui se revend. Comme un Icare qui retombe sur la Terre pour avoir trop frôlé le soleil.

Et mon humanité en souffrance
Laurent Gaudé n'est pourtant jamais aussi bon que lorsqu'il s'attache à ses personnages. D'un côté Zem Sparak, notre héros en haillons, qu'on humilie volontiers, qui passe son temps dans des rêves brumeux d'un passé qu'il ne touchera plus jamais. de l'autre Salia, enquêtrice qui rêve d'une considération qui lui semble inaccessible, femme dure parce qu'on l'oblige à l'être pour se faire une place dans une société qui ne tolère rien d'autre de sa part. 
Au centre, le sexe et l'amour devenus des manipulations éphémères, presque des faiblesses, utilisés par les multinationales pour garder et récompenser ses esclaves. 
Et dans la fange de Chien 51, on retrouve cette puissance qui habite les autres romans de Laurent Gaudé dès que celui-ci se lance dans des monologues qui semblent ne plus vouloir finir. On retrouve cette langue puissante et ô combien évocatrice qui transforme le récit le temps d'une page ou deux en poésie mélancolique, en confession terrible. 
Laurent Gaudé cache en réalité ses obsessions habituelles, ces héros broyés qui font écho aux figures mythiques de jadis et qui errent entre l'Enfer et le Soleil. On y retrouve la fascination pour la défaite qui finit par faire l'histoire comme dans Écoutez nos défaites. le Français oublie alors le noir avenir qu'il tisse pour capter l'âme de Zem Sparak, ce qui le fracasse et le réanime, pantin d'un jeu politique qui le dépasse largement. 
Au fond, Chien 51 est la constatation d'un échec, celui d'une société qui va vers le cataclysme et oublie la beauté silencieuse du monde pour quelques possessions de plus. Un roman pessimiste et beau à la fois comme seul Laurent Gaudé arrive à nous en offrir.

Moins puissant que son Roi Tsongor, Chien 51 a pourtant beaucoup de choses à dire sur notre monde. Laurent Gaudé choisit la science-fiction pour dire la défaite à venir et emprunte au polar pour construire une intrigue captivante qui explore la mélancolie et les blessures de son héros. Une réussite qui plaira certainement davantage aux lecteurs de littérature blanche qu'à ceux de l'imaginaire. Histoire de sortir de sa zone.
Lien : https://justaword.fr/chien-5..
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Si vous me suivez vous savez que je lis peu de dystopies, voire très peu, voire en fait jamais..... J'en ai vu version film, mais version livre, c'est très rare....
Laurent Gaudé n'est pas un auteur de SF, je ne suis pas une lectrice de SF. Il s'est essayé à un récit totalement différent, pourquoi pas moi aussi ?
Début du livre prometteur avec la Grèce qui disparaît comme Nation et est rachetée par une boîte privée. Là sérieusement j'ai été accrochée.... Puis on passe à un meurtre assez odieux. Direct j'ai eu l'impression de tomber dans "Soleil vert", film que j'ai vraiment aimé par son côté innovant. Oui mais voilà si "Soleil vert" innovait, là c'est moins le cas....
J'ai suivi l'enquête, les deux flics qui ne se ressemblent et qui n'étaient pas fait pour être ensemble (encore une sensation de déjà vu).
En fait je m'attendais à davantage d'aspects "politiques" : la disparition de la Grèce, quid de ses habitants, ceux qui sont restés à l'abandon, où sont partis les autres, d'où vient cette entreprise, comment peut-elle racheter des Etats entiers etc... Ca reste trop évasif pour moi. J'aurais eu besoin de plus de détails sur la genèse de cette situation....
Donc j'ai trouvé le livre sympa mais trop dans les sentiers que j'associe aux dystopies (un système inégalitaire au possible, un monde violent et liberticide, le héros/ l'héroïne qui peut faire exploser le système...). Bon ici à noter qu'au moins la fin ne correspond pas aux schémas que j'associe à cette littérature.
Mais j'ai vraiment eu les images de "Soleil vert" durant tout le film euh pardon... le livre.... y compris sur la fameuse fin.... Une forte impression de déjà-vu....
Disons que c'est une bonne dystopie pour celles et ceux qui aiment ce genre littéraire, moi je suis toujours un peu fermée. Dommage pour moi.... Pourtant j'ai bien aimé "Soleil vert" (ah j'en ai déjà parlé ?)
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Laurent Gaudé fait parti de ces auteurs dont j'aime retrouver la jolie plume. C'est avec beaucoup de plaisir que j'ai ouvert ce livre à la jolie couverture.

A la lecture des premières pages, l'auteur révèle une nouvelle facette de son talent, surprenant ses lecteurs par l'ambiance générale très différente de ces précédents romans. En effet, il nous entraîne dans un roman policier qui allie l'anticipation et la dystopie.

*
Dans un futur plus ou moins proche, mais facilement concevable et intelligible, l'auteur imagine qu'un pays, la Grèce, s'est totalement effondré. Ruiné, il se voit racheter par une énorme multinationale, GoldTex.
Les citoyens grecs deviennent ainsi des salariés de la puissante entreprise, mais cela ne se fait pas sans heurt. La jeunesse se révolte violemment. Zem Sparak, le personnage principal, alors étudiant, fait parti de ces mouvements contestataires et se voit contraint à l'exil suite au démembrement de son pays. Il part alors vivre à Magnapole, une ville gérée par GoldTex.

C'est une trentaine d'année plus tard que débute véritablement cette histoire. Zem Sparak, est devenu un « chien », c'est à dire un policier. Il opère dans les bas fonds de la mégalopole, la zone 3, la plus défavorisée de la ville, la plus crasseuse, la plus polluée, celle où la population est la plus concentrée et la plus misérable.
Appelé à la suite de la découverte, au milieu d'un terrain vague, du corps éventré d'un homme, Zem Sparak se voit contraint d'enquêter sur le meurtre sous l'autorité d'une jeune inspectrice, Salia Malberg.

*
Le tandem de policiers est particulièrement bien réussi car tout les oppose. Alors que Zem Sparak est un exilé qui regrette sa Grèce natale et sa vie passée, Salia Malberg, plus jeune, ambitieuse, est née dans le confort de la zone 1 de Magnapole. Ils voient leur monde différemment et leurs points de vue les enrichissent et les font évoluer tous les deux.

« Il voudrait ajouter que oui, elle a raison, c'est bien de là qu'il vient, que oui, il a traversé ces jours sauvages et qu'il y a perdu un peu de ce qu'il était, mais que non, ce qu'il a vécu là-bas, elle ne pourra jamais en avoir la moindre idée, et que même, il lui interdit de prononcer ce mot sacré de « Grèce » devant lui, car elle ne sait pas, ne saura jamais ce que c'est que le bruit d'un pays qu'on étouffe. »

*
Le temps de l'écriture se resserre sur notre passé et notre possible futur.
Tout en suivant les progrès de l'enquête, l'auteur nous ramène par de nombreux flashback dans le passé de Zem Sparak. Ses pensées le dénudent de toute sa superficialité et se dessine doucement la personnalité d'un homme solitaire, sombre, désabusé, souffrant d'anciens traumatismes. A travers ses blessures intimes se reflète le visage d'une Grèce démembrée plongée dans la guerre civile, la répression, et les arrestations.

*
Sous la plume très visuelle de Laurent Gaudé, le récit nous entraîne dans une intrigue complexe et prenante dans laquelle se dessine trait par trait, un des portraits possibles de notre monde futur si nous n'y prenons pas garde.
Pour cela, l'auteur a particulièrement bien soigné le décor de Magnapole, et en particulier celui de la zone 3, peinte dans des teintes grises, ternes, délavées, tristes, pour mieux mettre en lumière ses manques, ses failles, ses plaintes, son agonie suintante. En effet, si une partie de la Cité vit sous un dôme en raison du dérèglement climatique, la zone 3 quant à elle, sans la protection du dôme jamais construit, est soumise à la pollution, aux pluies acides, aux rayons solaires, aux bourrasques de grêle.

L'atmosphère se veut menaçante, angoissante, propre à réfléchir sur le monde que nous bâtissons aujourd'hui. Ainsi, nos pensées nous ramènent au temps présent, et inévitablement, on établit un parallèle avec la politique d'immigration actuelle, les inégalités, la répartition sociale des villes ou la répartition des richesses à travers le monde qui rappellent la politique des zones du roman.

« Rien ne nous appartient. C'est cela, au fond, que je suis : le gardien de ce qui ne nous appartient pas.”

On pense aussi à la misère qui contraint les personnes les plus vulnérables à vendre leur corps, à la difficulté d'accès aux soins pour les populations en situation de grande précarité économique et sociale.

« de mon expérience, il y a toujours eu des esclaves pour que les privilégiés aient les joues roses et le ventre bien rebondi. »

Egalement, au-delà de l'intrigue policière, l'auteur nous interroge de manière plus intime sur la mémoire, le poids des souvenirs et les difficultés de se reconstruire sur les traumatismes et les hontes de son passé.

*
Pour conclure, si j'ai particulièrement apprécié le cadre de ce récit avec ses enjeux politiques, géopolitiques, sociétaux et environnementaux, l'intrigue est également prenante, pleine de rebondissements, marquée par des personnages ciselés avec un grand réalisme psychologique.

Mais j'avoue ne pas avoir retrouvé dans ce livre, le style, la beauté poétique et la noirceur de l'écriture que j'aime tant chez Laurent Gaudé. Il y a peut-être aussi trop d'enjeux sous la trame policière, ce qui donne l'impression d'un manque de profondeur. Ce n'est bien sûr que mon avis, un tout petit avis, parmi tant d'autres.
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Je ne suis pas une grande fan de dystopie et encore moins de polar. Alors qu'est-ce qu'il m'a pris de vouloir lire ce roman ?
La curiosité, sans doute. Et même si la curiosité est un vilain défaut, je ne regrette pas ce petit encart à mon confort littéraire habituel.
Pour tout vous dire, c'est le nom de l'auteur qui a attisé ma curiosité.
Parce que lui aussi il ne nous a pas habitués à ce genre littéraire !
C'était finalement un beau défi à relever!
Mais Laurent Gaudé est une sorte de magicien de la littérature et c'était finalement presque gagné d'avance.
Alors, oui, j'ai bien apprécié ce roman. Je n'ai cependant pas sortie la grande cavalerie des Cinq Étoiles. Il ne faut pas exagérer non plus.. Ça reste un polar.
Mais un polar qui fait réfléchir sur le devenir de la Terre et des habitants qui la colonisent depuis un petit bout de temps...
Après avoir lu le rapport de Brodeck, ce n'est pas Chien 51 qui va me réconcilier avec la nature humaine et encore moins avec les politiques et les financiers qui gouvernent le monde.
Un Gaudé surprenant, sombre mais logique et essentiel, au bout du compte.
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Le roman se passe dans une société futuriste où les pays ont été achetés par de grandes puissances financières et où les gens vivent désormais dans des zones séparées les unes des autres, selon leur degré de richesse et leur condition sociale.
Il va y avoir des meurtres assez sanglants et deux policiers vont devoir enquêter, ce qui ne sera pas facile car ils ne vivent pas dans les mêmes zones et leur collaboration va être vraiment compliquée à gérer.
Mais que c'est sombre !
La vie dans cet univers est sacrément difficile, surtout pour ceux qui habitent dans la zone 3, là où vivent les exclus, les personnages ont des passés abominables, on n'entrevoit jamais la moindre lueur d'espoir, bref, je l'ai lu en entier, mais je suis contente de l'avoir terminé car c'était affreux et extrêmement déprimant.
L'intrigue policière est intéressante, ainsi que la vie privée des deux policiers, mais tout le roman semble englué sous une chape de violence, d'oppression et de désespoir, et la mort semble finalement une alternative plutôt agréable comparée aux conditions de survie atroces d'un grand nombre de personnes.
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