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Critiques filtrées sur 5 étoiles  
“Le mot réalisme ne veut rien dire. Dans une certaine mesure, tout est réaliste. Il n'y a pas de frontière entre l'imaginaire et le réel.”
(F. Fellini)

A méditer. Il y a sûrement une frontière, mais il n'est pas toujours facile de la délimiter, alors...
Prenez garde aux sortilèges ! Mais aussi aux manifestations diaboliques, présages inquiétants, hallucinations et faux-semblants...

Rien que la couverture... Je n'ai pas pu résister à l'appel de ces masques à la Ensor, qui m'ont regardée d'un oeil suppliant depuis une caisse poussiéreuse dans un vide-grenier. Ces yeux bizarrement expressifs, dans des traits figés comme taillés au ciseau à pierre, promettaient une belle excursion sur cette fameuse frontière glissante. D'autant plus que je connaissais déjà Michel de Ghelderode, par son excellente farce burlesque "La Balade du grand macabre", qui parle de mort de la Mort. Une pièce de théâtre à l'exubérance presque baroque.
J'ai pris donc ces "contes crépusculaires" en tant que valeur sûre, espérant que je vais retrouver à nouveau la Grande Faucheuse et le Diable, si chers à De Ghelderode. Ces histoires devraient ravir les amateurs de contes esthético-macabres de Poe, Gautier ou de l'Isle-Adam. Cependant, De Ghelderode est légèrement différent. On sent toujours comme une touche de farce théâtrale derrière ses lueurs diaboliques.

Dans sa préface, Henri Vernes le qualifie d'un "homme de la Renaissance", un touche-à-tout très doué pour dresser un décor spectaculaire par le simple pouvoir des mots, et y faire évoluer son narrateur entre l'odeur de souffre (peut-être) imaginaire, et les angoisses (peut-être) justifiées.
Il a raison : le rideau de velours rouge s'ouvre et ces décors vous tombent dessus d'une façon absolument oppressante, qu'il s'agisse d'une ville flamande noyée dans la brume, d'une esplanade avec une vieille potence ou d'une demeure ancienne qui sent le moisi et la présence de quelque chose d'indéfinissable.
Il se passe trois fois rien, et pourtant... tout comme le narrateur, nous sommes hypnotisés par l'effet de ces merveilleuses coulisses.
Le Diable est caché dans chaque recoin, mais tantôt il fait penser au film de Méliès, tantôt c'est un diablotin qui sort de sa boîte, tantôt il prend les traits de Tétanos, un chat noir qui vit dans un "jardin malade". D'ailleurs, tout ce beau monde chez De Ghelderode semble un peu malade, livide, inquiet...

Auriez-vous l'idée d'appuyer, à Londres, sur une sonnette qui porte le nom "Méphisto" ?
Seriez-vous capable de vous lier d'amitié avec une figurine de cire ?
Entrer dans une échoppe de bric-à-brac incroyable, pour y acheter des reliques... inhabituelles ?
Et cette étrange odeur de sapin ! Vous vous sentez presque soulagés en refermant cette vielle édition Marabout de 1962 au fumet particulier qui va bien avec le contenu, et ressortir à la lumière du jour.

La plupart des contes sont dédiés aux amis de Michel de Ghelderode : à James Ensor, bien sûr, le grand maître de carnavals macabres, mais aussi au poète Marcel Wyseur, au graveur Jules de Bruycker, et bien d'autres, qu'on découvre par la même occasion.
Ecrits avec un plaisir évident, et lus de la même façon. 5/5.
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"Michel de GHELDERODE" : chacune de ses douze nouvelles possède une saveur, un parfum, une folie inimitables.

L'auteur naquit Adémar Adolphe Louis Martens en 1898 à Ixelles, l'une des 19 communes bilingues de la région de Bruxelles, lieu dont le nom originel "Elsele" signifie... « La demeure aux aulnes ».

Francophone, homme de théâtre (dramaturge), il fut aussi un conteur qui sut se bâtir un univers et une langue absolument à lui, tout pareillement inimitables...

Henri VERNES (le papa de "Bob Morane", bien connu des ados nés dans les années 50 et 60...) l'a bien défini en 1962 dans sa préface de 4 pages pour les éditions Marabout (1962) : un homme qui dit "Je" et manie la langue de la Renaissance... Une langue pleine de trouvailles, infiniment travaillée, qui semble s'inventer à chaque ligne et devient rapidement familière au lecteur...

L'ambiance des douze nouvelles est à la fois proche des meilleures nouvelles les plus inquiétantes de Guy de MAUPASSANT (on y trouve un même perpétuel gisement d'angoisse et de cruauté raffinée véhiculée dans leurs contes fantastiques respectifs) de celle qu'on trouve dans le fameux roman néo-gothique crépusculaire de Joris-Karl HUYSMANS, "Là Bas" [1891] (auteur dont Julien GRACQ, avec son acuité habituelle dans "En lisant en écrivant", admirait la créativité infinie de la langue)... mais aussi celle de "Bruges-la-Morte" de Georges RODENBACH... ou encore celle des ondoiements et autres lueurs troubles perçues au fil des inoubliables nouvelles composant les deux fameux recueils "d'inspiration autobiographique" que sont "Les boutiques de cannelle" et "Le Sanatorium au croque-mort" de Bruno SCHULZ (on y trouve une similaire profusion du bric-à-brac, l'extrême présence de décors vaporeux... et cette étrange préséance du rêve contaminant peu à peu un "réel" bien mal en point : un Réel réellement malade... ).

Et maintenant, au travail !!! Entrons dans le DETAIL de cette belle douzaine de récits écrits entre 1919 et 1939, dans leur cohérence redoutable...

[1] "L'écrivain public" : Nous voilà aussitôt plongés dans l'univers collant à la peau de ce "Je" singulier... immergés de notre plein gré dans la friche d'un faubourg herbeux et crépusculaire nous devenant vite familier... en cette matière vaporeuse qu'est cette lisière de l'Autre Monde : un ancien béguinage devenu au fil des ans ce très étrange musée ne s'ouvrant par faveur spéciale qu'à un seul visiteur : l'auteur-narrateur...

[2] "Le diable à Londres" : L'ambiance des lieux désertés, éternellement en vacance, où lorsque le smog londonien oppresse tellement l'extérieur déprimant que la misanthropie vous pousse à vous réfugier derrière une porte cochère où s'affiche une petite plaque de cuivre annonçant "MEPHISTO" "Le Testament du Docteur Mabuse" de Fritz LANG (1932) avec sa scène vide, la voix nasillarde de l'Oppresseur dans le microphone... Ici, la folie hitlérienne a été remplacée par l'apparition impromptue d'un diable de music-hall... les cabrioles de ce dernier devant un rideau de théâtre cramoisi...

[3] "Le jardin malade" : un univers totalement maladif représenté par une jungle poussant en liberté dans la cour d'un immeuble vieillot, passablement délabré... Nous ne sommes pas loin de l'ambiance contaminante et sans cesse plus envahissante de "The Colour Out of Space" ("La Couleur tombée du ciel", 1927), longue nouvelle du cher Howard Philip LOVECRAFT... le locataire y vit seul avec un chien (qu'il doit sortir en ce jardin urbain à l'abandon) : un chat luciférien et décharné nargue le toutou en se réfugiant en haut du mur d'enceinte... Un petit gnome difforme sort un jour d'entre les herbes folles... Tout est poétiquement pathologique en ce lieu pourvoyeur d'imaginaire... On comprend immédiatement, et de mieux en mieux au fil deces pages envoûtantes, combien de Ghelderolde fut un Maître de l'étrangeté immanente et un Génie du Lieu.

[4] "L'amateur de reliques" : il faut savoir entrer en certaines boutiques obscures d'antiquailles où peuvent nous accueillir certain vieillard éternellement figé dans leur fauteuil, un rictus de chat matois sur les lèvres : tel le personnage attendant Eugène de Valentin dans "La Peau de Chagrin" (1832) de ce bon Honoré de BALZAC... Des lueurs jaunâtres et des odeurs de poussière et de moisissures nous inondent l'odorat, certes... Nous cherchons de reliques, des tibias de Sainte-Ursule ou de "La main d'écorché" chère à Guy de MAUPASSANT... Un jour le personnage assis s'adressera à nous, explorera notre curiosité puis disparaîtra étrangement, comme surgi d'un rêve aux murs de rayonnages... Que s'est-il passé, au juste ? Aurions nous rêvé ? Charme vénéneux des "Boutiques de cannelle" humées et sans cesse recherchées par le poète prosateur Bruno SCHULZ...

[5] "Rhotomago" : la vie secrète d'un ludion montant en descendant tranquillement derrière la paroi de son cylindre de verre, et s'animant soudain dans les reflets d'un feu de cheminée... le personnage veut sortir de son antre... Une formule magique, peut-être, pour le libérer de sa prison de verre ? Chose faite ! Rhotomago prend ses aises, puis la parole, devient même un peu encombrant pour son hôte et propriétaire : dès lors, comment s'en débarrasser ? Beaucoup d'humour et de jolis mystères colorés dans cette histoire , une fois, de plus magnifiquement contée, vibrante et exultant de tous ses méandres... On repense aux lueurs émeraudes de "La Chose" dans le bocal du toujours fascinant "Prince of Darkness" ("Prince des Ténèbres", 1987) du Maître des écrans fantastiques "scope" John CARPENTER...

[6] "Sortilèges" : une ville portuaire, un soir de carnaval, des créatures masquées, pas si loin des créatures batraciennes du "Cauchemar d'Innsmouth" de H.-P. LOVECRAFT... D'étranges méduses venues de la mer, spectres drapés de blanc d'un Autre Monde, qui se rassemblent er se révèleront au narrateur comme de "simples" tristes préservatifs usagés dérivant au fil des flots... Une pulsion suicidaire inattendue au bord des flots rugissants cernant le visiteur? le narrateur se réveille à un balcon de Mairie où un notable aux allures de Bourgmestre lui narre les tribulations de son dangereux "black-out" dans les régions les plus troubles du littoral... Sauvé de la noyade, certes : mais que deviendra notre vie au réveil, dans ces lendemains de fête aux matins si tristes, en cette bourgade désenchantée, tapissée de bouteilles vides de leur alcool et de bûchers mal éteints ?

[7] "Voler la mort" : son fastueux incipit de... "La Mort vient comme un voleur !" clamait le prêtre devant l'oratoire du collège, où l'on nous rassemblait au soir, pareils à des coupables"... dit toute la noblesse néo-classique du Verbe ghelderoldien. Etre capable au fil de vingt pages de nous entraîner là où il veut, dans les Territoires d'une Inquiétude aussi personnelle...

[8]"Nuestra Senora de la Soledad" : nous y apprendrons combien "L'homme est seul dans la vie ; il l'est au berceau comme il le sera sur son lit d'agonie ; il l'est aussi dans l'amour... " Dona Maria est implorée fréquemment dans sa chapelle oubliée... le narrateur qui ne lui demande rien verra pourtant exaucé son voeu le plus cher...

[9] "Brouillard" : où l'on entend des pas derrière soi en rentrant chez soi par un réseau de ruelles inondées de pluie... Où les pas nous suivent sitôt passé notre huis... Quelqu'un est mort dernièrement, semble-t-il...

[10] "Un crépuscule" : il pleut comme chez Simenon... Alors on se réfugie dans une église branlante... Alors, un autre monde, bien plus vaste, plus vaste, saura s'ouvrir à nous ici, entre chien et loup... Beaucoup de l'ambiance émeraude et orangée de la crypte maléfique du très gothique "Prince of Darkness" (1987) du Maître John CARPENTER...

[11] "Tu fus pendu" : réminiscences, métempsycose, illusions du crépuscule... Un drôle de gibet derrière ces nappes de brouillard face à une taverne où l'on trouve refuge.

[12] "L'odeur du sapin" : une femme s'y nomme "Péché Mortel"... séductrice en diable, évidemment ! Eros et Thanatos indissociables dans une sorte de chant d' adieu funèbre...

Douze pas paisibles dans le grand monde du Clair-obscur, toujours chargé de son inaltérable pouvoir de fascination.... N'est-ce pas cela que l'on nommerait "Littérature" ?
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Quand à la brune, le tenancier de la 'Petite Potence' allume la lampe à huile, quand Michel de Ghelderode nous emmène dans des cryptes mystérieuses, quand des méduses se transforment en un hideux carnaval, quand on ne sait si c'est un chat galleux ou un diable qui hante un jardin maudit, on a un peu peur mais on sourit aussi et surtout on se régale de cette magnifique écriture!
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Dans les contes de Michel de Ghelderode, il y a ce "JE" majeur, solitaire, qui se promène dans les bourgades flamandes, sur les côtes de la mer du Nord, ou dans les ruelles poisseuses du centre de Bruxelles. Paru en 1941, ce recueil compile les errances et les expériences mentales d'une personnalité très singulière, sincère, qui n'endosse jamais de rôle. Car à la compagnie des hommes, Michel de Ghelderode préfère celles du Diable ("Le diable à Londres"), d'objets maléfiques, d'un brouillard aux voix qui l'interpellent ("Brouillard") ou encore d'animaux de compagnie ("Le jardin malade"). Quand il croise ses semblables, il s'en offusque presque, ou il les provoque en duel ("L'amateur de relique"). Souvent, les autres sont monstrueux, ils ne sont que les masques d'un carnaval horrible, comme dans la magnifique nouvelle-titre "Sortilèges", qui accumule les images au goût d'iode et de fête, convoquant des personnages de différentes époques tels que Spinola et usant des teintes des tableaux de James Ensor. Et si l'étrange survient dans un vieux palais, face à un jardin hanté par un chat diabolique ("Le jardin malade" encore), c'est pour mieux dissimuler un drame terriblement humain, celui d'une enfance gâchée. Voici donc une belle et inquiétante promenade dans les méandres des villes des Flandres et ceux d'un esprit affabulateur, ami de Jean Ray.
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Au travers d'une série de portraits, Ghelderode traque tout ce qui dans le réel finalement le dépasse, ainsi s'engouffre l'imaginaire, sa beauté et ses inquiétantes incarnations.
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12 nouvelles fantastiques qui évoquent le monde intérieur de l'auteur ainsi que ses goûts. On retiendra en particulier :
« le Diable à Londres » : le narrateur, désoeuvré dans les brouillards londoniens a son attention attirée par une plaque fixée à une porte : Méphisto et le voilà introduis dans l'antre de ce qu ne pourrait être qu'un vulgaire prestidigitateur si…
« le jardin malade » : le narrateur emménage avec son chien dans un ancien hôtel particulier en décrépitude. le plus remarquable de ces lieux est le jardin, établi sur un ancien cimetière monastique, qui reçoit la visite régulière d'une enfant (que le narrateur confond tout d'abord avec un fantôme) et d'un chat tout droit sorti de l'Enfer.
« Sortilèges » qui donne son titre au recueil s'inspire directement du peintre James Ensor. le narrateur, très déprimé, prend le train pour la mer et arrive dans une ville en plein carnaval (on imagine sans peine qu'il s'agit d'Ostende), parcourue de masques gais ou sinistre. Il va vivre dans ces circonstances une aventure inoubliable.
On a enfin l'occasion de se procurer à nouveau ce recueil dans un format de poche (le précédente édition datait des années 60 et figurait au catalogue de la « célèbre » - du moins pour les amateurs de fantastique – collection Marabout fantastique ) et on est à nouveau fasciné par l'imaginaire De Ghelderode. Ses thèmes favoris – pourrait-on dire ses hantises ? – apparaissent ici accessibles : statues qui s'animent, jardins hantés, diables familiers, présence récurrente de la mort… l'univers ghelderodien est bien là . Cette lecture qui peut paraître plus simple que celle des pièces, pourra représenter une introduction à l'univers théâtral de l'auteur, dans lequel on retrouvera les mêmes thèmes développés différemment selon la trame dramatique, explicites ou sous-jacents mais toujours présents.

Lien : http://users.skynet.be/litte..
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