Sujet largement remis au goût du jour par
Arthur Miller ou
Mona Chollet, le procès des
sorcières de Salem ne cesse de faire couler de l'encre ces dernières décennies tout en rappelant la symbolique de ce fait historique. Dans cette continuité, l'année 2018 a été marquée par la sortie de la bande dessinée
Les filles de Salem écrite et illustrée par Thomas Gilbert aux éditions Dargaud. le sous-titre de l'album Comment nous avons condamné nos enfants esquisse déjà les coloris pourpres d'une histoire tragique.
Salem, 1692. Abigail Hobbs a toujours été une adolescente sans problèmes dont l'enfance fut tranquille au sein du cocon familial. A l'aube de sa quatorzième année, elle fait la connaissance de Mikweh, un jeune abénaki avec qui elle se lie d'amitié dans le secret des forêts environnantes. Très vite, on les surprend, la nouvelle fuite portant Abigail au centre des préoccupations du village. Serait-elle une sorcière ? Aurait-elle fait un pacte avec le Diable ?
Sous ses illustrations, Thomas Gilbert a su laisser renaître la triste histoire du procès de Salem et par extension, toutes les autres liées à la chasse aux
sorcières. L'auteur propose une narration interne, Abigail Hobbs, qui raconte son histoire et celles des autres jeunes filles à travers ses yeux d'adolescente. C'est un plongeon irrémédiable au coeur même des pires émotions ressenties par ses personnages et forcément, de nombreuses questions fusent. Est-ce cela que de se savoir condamné à mort lorsque l'on est innocent ? Cette interrogation révèle une pensée intemporelle qui, bien au-delà d'un procès vieux de cinq siècles, rejoint toutes les injustices raciales, genrées ou religieuses de notre temps.
Les filles de Salem rassemble les pensées les plus tristement célèbres pour leurs apparitions fréquentes dans l'Histoire, notamment l'obscurantisme, l'extrémisme et le machisme, d'une certaine manière. Elles constituent le roc des fausses accusations qui séviront toute l'année 1692, l'absence de preuves et invariablement une peur profonde de l'autonomisation féminine. Cet évènement complexe semble soudain bien plus abordable à travers l'album de Thomas Gilbert. Son empathie presque vulgarisatrice face au sort d'Abigail Hobbs et de toutes les autres femmes torturées et tuées à Salem donne à la bande dessinée toute sa prestance et sa gravité. Un hommage certain à ces dix-neuf innocents.
Les illustrations assez épurées tout en étant très réalistes suivent une certaine continuité philosophique face au procès : le désarroi de se voir dépourvu d'éléments pour se sauver soi-même si ce n'est que par la liberté de sa propre pensée, une mise à nu funeste accentuée par une prédominance de tons sombres. L'agenais propose une vue de l'intérieur originale qui porte très haut une symbolique qui aura eu un impact foudroyant sur l'histoire des Etats-Unis.
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