Tout était fait d'après nature. Comme toujours avec Watteau, selon le procédé rapporté par Caylus, le tableau a été précédé d'études, de tout ce travail de dessins auxquels nous le voyons réserver ses matinées, à l'heure où naissent les idées et où il trouve ce qu'il appelait ses « pensées ».
Mais, dans ce peuple en miniature, l'artiste a voulu un beau jour créer une figure plus grande: il a fait le grand Gilles de la galerie La Caze. L'histoire est connue:acheté 150 francs par Denon à un brocanteur du boulevard, Brunet le rachète à sa vente pour 650 francs et le cède à Cypierre, d'où il passe au docteur La Caze et de là au Louvre avec la merveilleuse collection de ce dernier. Le tableau est inconnu au dix huitième siècle. Mais la Colombine du second plan est gravée dans le recueil de Julienne, et le Terme rieur qui borne la toile à droite est une signature qui se retrouve dans d'autres compositions de Watteau.
On le voit: n'eût-il fait que ces quatre ou cinq figures, Watteau portraitiste n'en occuperait pas moins une place et un rang à part dans l'école française, par l'accent tout particulier d'expression directe, par l'absence totale de convention et de manière, qui font de lui en ce genre un des maîtres du portrait.
Il n'était pas le premier qui s'en venait des mêmes cantons vers ce pays de Cocagne des Peintres et des artistes qu'était le Paris de Louis XIV. Pendant tout le dix-septième siècle, Pour ne pas remonter plus haut, il y avait eu un exode, un glissement ininterrompu des gens et des talents de la Flandre vers Paris. Paris, depuis Henri IV et Richelieu, prend déjà sa figure moderne de capitale de l'Europe. Sans Parler de Rubens, de Pourbus, de Champagne, on ne finirait pas d'énumérer les peintres qui, depuis la régence de Marie de Médicis, sont venus s'y exercer ou y chercher fortune.
C'est en 1712 que Watteau sort de l'ombre. Le 30 juillet de cette année-là, un jeune peintre, qui souhaitait d'aller à Rome « pour y étudier d'après les maîtres », mais qui n'était pas en état de faire les frais du voyage, se présentait à l'Académie d'un air gauche et embarrassé, avec deux petits tableaux sous le bras, dans l'espoir d'obtenir la pension du Roi. La scène, telle que la rapporte Gersaint, est charmante.