Je remercie Babelio et le Livre de Poche de m'avoir adressé cet ouvrage dans le cadre d'une Masse Critique non fiction.
Tout le livre est écrit pour expliciter comment un fait divers mettant en jeu une jeune femme Noire, Sandra Bland et un policier, Encinia, a pu se terminer tragiquement, du fait de croyances erronées.
Très documenté, il comporte cinq parties découpées elles-mêmes en chapitres rapportant des événements historiques dont le principal protagoniste ne correspondait pas à l'image qu'on se faisait de lui. Quarante pages de notes découpées en référence aux chapitres, un index des noms cités et une table des matières complètent le propos.
L'auteur part d'un postulat initial grâce à la narration du fait divers : chacun « reconnaît » l'autre en fonction de ce qu'il est lui-même, ou de qu'on lui demande de faire.
Il va ainsi s'évertuer au long du livre à montrer comment, dans différentes phases de l'histoire mondiale, des hommes et des femmes ont été abusés ou se sont laisser abuser par une apparence ou peut-être simplement parce qu'ils projetaient leur propre désir : cela a provoqué des guerres, des erreurs judiciaires, des suicides.
Chaque partie du livre se concentre sur plusieurs histoires servant le postulat initial.
Ainsi, l'affaire des espions de Cuba et celle d'Hitler, dupant des diplomates, reposent sur un aveuglement différent.
Les histoires de la Reine de Cuba, du fou sacré et du garçon dans les douches relèvent de ce que Tim Levine démontra de l'expérience de Milgram sur le degré de soumission, sous le nom de « Théorie de la vérité par défaut ». Mais cette injonction innée de croire par défaut sauvegarde également les liens sociaux et les entreprises, car l'inverse pourrait donner lieu à une paranoïa rampante, et appliqué dans certains cas, conduit à des erreurs judiciaires !
S'agissant de la « transparence », l'auteur tente de démontrer que les habitudes d'une société spécifique conditionnent ses individus à identifier autrui comme menteur ou sincère au regard du comportement qu'il adopte. Toute personne qui dévierait de cette apparence attendue serait forcément disqualifiée. Les habitudes divergent cependant en fonction des cultures, et les représentations émotionnelles également.
Dans cette partie,
Malcolm Gladwell met ainsi en exergue la difficulté physiologique de reconnaître les réactions de l'autre lorsqu'on est sous l'emprise de substances qui altèrent le discernement - l'alcool par exemple -. Il évoque même les conséquences du stress induit par des situations d'interrogatoires poussés à l'extrême qui affecteraient le cortex pré-frontal et donc les capacités mémorielles, ce qui pourrait amener un sujet à inventer de toutes pièces une réalité en laquelle il croirait de façon absolue... et en toute bonne foi !
Enfin, la dernière partie évoque l'importance du « lieu » où se situe l'action, et l'interdépendance entre les deux : une action ne peut être effectuée que parce que le lieu le permet. S'il n'y a plus le lieu, donc le moyen, les statistiques s'effondrent... Cette méthode appliquée aux consignes données aux services de police explicite grandement les erreurs commises dans l'appréciation des infractions.
L'auteur conclut sur le cas de Sandra Bland en montrant comment le conditionnement sur ces trois points (vérité par défaut inversée, transparence, et lieu) du policier Encinia l'a amené à prendre de mauvaises décisions.
Je pensais que ce livre m'amènerait à identifier des attitudes permettant de connaître rapidement les intentions d'un-e inconnu-e. Il n'en est rien, bien au contraire ! Il a plutôt remis en question des certitudes ou au moins des préjugés. Je regrette juste un manque de clarté à certains moments, avec des allers/retours sur des cas évoqués qui ont rendu la lecture un peu laborieuse. Mais la documentation, les recherches, les statistiques en font un livre hautement passionnant, qui incite à l'humilité et à la modestie dans l'approche d'autrui... en évitant notamment de l'envisager via son propre prisme !