Des récits, fictifs ou réels, sur les camps de concentration et d'extermination de la Seconde Guerre Mondiale, j'en ai lu un certain nombre. Et, sans aucunement vouloir minimiser l'horreur que ce fût, chaque fois que je m'apprête à lire un nouveau texte, j'ai toujours une petite appréhension. La peur que le récit soit trop dégoulinant de sensibilité et me tire des larmes de force, me faisant culpabiliser si les larmes ne ruissellent pas à la fin de chaque phrase. Et a contrario, la crainte de finir par ne plus ressentir d'émotion quelconque à force de lire ce genre de récit, ou encore d'avoir l'impression de ne plus rien apprendre sur cette période. Alors oui je l'avoue, il m'arrive régulièrement de me demander si ce roman, ce film, ce documentaire sur ces atrocités n'est pas celui de trop, celui qui va me rebattre les oreilles, me ressasser des choses dont j'ai entendu parler maintes et maintes fois, celui qui va me tirer les larmes de force, me faisant culpabiliser si je n'ai pas le visage inondé de larmes à la fin de chaque phrase…
Et là, tu te dis que cette fille et folle, qu'elle est carrément sans coeur de seulement penser qu'on puisse en dire trop sur le génocide…
Et puis j'ai lu
Kinderzimmer… et j'ai refermé le livre avec la forte conviction que le roman de trop n'était pas encore écrit, et que le jour où je saurai tout sur cette période n'est pas encore arrivé. Parce que bon sang quelle claque, ce roman !!
Kinderzimmer retrace le destin d'une jeune française déportée à Ravensbrück, un camp essentiellement destiné aux femmes. Mila est enceinte lorsqu'elle arrive au camp, mais décide de la cacher, car elle sait que pour elle ce serait la mort d'office pour elle et son futur bébé. Nous allons alors nous retrouver au coeur du camp de Ravensbrück, en compagnie des déportées mais aussi de ceux et celles qui vont diriger ce camp. Les surpeuplements des blocks, les appels à n'importe quelle heure du jour ou de la nuit, à obliger les prisonnières à rester des heures immobiles dans le froid glacial, les repas rationnés, les sélections, les maladies dues à une hygiène totalement absente… tout au long du roman,
Valentine Goby nous narre les conditions inhumaines dans lesquelles étaient parquées les prisonnières. Les descriptions sont rudes, me provocant même à plusieurs reprises un dégoût, tellement les mots sont forts et nous renvoient à une image d'une précision remarquable. Alors, on se prend ses relents d'odeur en pleine face, on se figure ces femmes de plus en plus décharnées, moisissant dans leurs vêtements pleins de déjections, découvrant au petit matin leur voisine de paillasse morte pendant la nuit… Ou plus exactement, on essaie de se le figurer, en se demandant où se situent les limites d'une telle inhumanité. Ces descriptions sont sombres, cruelles.
Mais si la mort est omniprésente, ce roman c'est aussi et surtout une histoire de survie, une rage de vivre de chaque instant. Au milieu de ces conditions inimaginables, ce sont des femmes qui vont user de solidarité, de ruse, de trahison, de tromperie, dans un seul but : résister le plus longtemps possible. Croire que la liberté est pour bientôt. Et c'est dans ce contexte que Mila va évoluer, qu'elle va cacher sa grossesse jusqu'au dernier moment, et donner naissance à son fils dans des conditions plus que précaires. Alors, commence pour elle la lutte pour sa survie, mais surtout pour celle de son fils. Nous faisons connaissance avec la
Kinderzimmer, cette chambre où sont entassés les enfants en bas âge. Aucun n'a plus de trois mois, car survivre sans soin, sans hygiène, sans un minimum est mission impossible… et ce, quand les bébés ne sont pas éliminés dès la naissance.
Au-delà de ce qu'elle vit, Mila est une fille émouvante tant par sa soif de combat et son désir de vivre, que par sa naïveté. Imaginez, une jeune fille de 20 ans, tombée enceinte un peu par accident, et qui ne comprend rien au fonctionnement de son propre corps… Et imaginez tout ça au camp de Ravensbrück… Et c'est peut-être cette innocence et cette naïveté qui vont l'aider à survivre et à y croire jusqu'au bout !
J'ai trouvé également les autres personnages très attachants ! Comment ne pas éprouver de la peine en quittant Teresa, qui sera d'une telle aide pour Mila ? Comment ne pas sourires en entendant Adèle rêver ? Comment ne pas éprouver rage quand l'une est sélectionnée ?
Si l'histoire en elle-même prend déjà aux tripes, la plume de
Valentine Goby est tout autant saisissante, et surtout s'accorde parfaitement au récit. Au début, j'ai eu du mal avec ces phrases hachées, courtes, parfois sans verbe. Comme s'il manquait quelque chose. Je n'étais pas à l'aise. Et puis, j'ai pris mes marques au fur et à mesure, j'ai mieux compris, et je me suis approprié ce style. Et une fois passées mes premières appréhensions, j'ai totalement adhéré. En effet, l'auteure utilise souvent des phrases courtes, presque comme des listes, assénant un sentiment d'urgence… l'urgence de vivre, de ne pas se faire prendre, de survivre. Mais elle sait aussi, avec un style plus lent nous faire ressentir cette latence du temps qui ne passe pas, ou encore de ces longues heures à attendre sans bouger, dans le froid, la neige, la pluie…
En conclusion,
Kinderzimmer est roman douloureux, sur une des périodes les plus sombres de l'Histoire. C'est un récit qui personnellement m'a été très instructif, car je l'avoue, je ne savais pratiquement rien de ces
Kinderzimmer. Je savais que ça existait, mais c'est tout. Mais si le roman est fort, pour autant, il ne verse pas dans la sensiblerie forcée, et ne se veut pas moralisateur. C'est une fiction qui se base sur des faits réels, qui raconte, et ce seul récit se suffit à lui-même.
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