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Je trouve, tout le monde ne partagera sans doute pas mon avis, que les auteurs de la « Mittel Europa » sont un monde à part, ont « quelque chose que les autres n'ont pas », pour paraphraser les regrettés France Gall et Michel Berger.
Je pense bien sûr à Kafka, Musil, Broch, Zweig, plus près de nous Kundera, Jelinek, Tokarczuk.
Et aussi, à l'extraordinaire Witold Gombrowicz, dont j'avais déjà apprécié la satire caustique et déjantée de l'immaturité des humains dans Ferdyduke.

Ce sont des autrices et auteurs qui ont en commun, je trouve, cette caractéristique de vous entraîner dans un abîme d'ambiguïté, de perplexité, de questionnements et de réflexions dont on se demande si elles sont philosophiques, ou se moquent de la philosophie.

Cosmos, c'est un texte difficile mais absolument époustouflant.
Cosmos c'est la folie angoissée du questionnement comme la mise en évidence de l'inanité de ce questionnement. C'est l'absurde, mais sans la réponse camusienne de l'acceptation de l'absurdité de la vie comme moteur de l'action et de la solidarité entre les hommes comme sens de la vie.

Difficile d'en faire une analyse, car l'auteur semble nous dire qu'il n'y a rien à comprendre à Cosmos et bien qu'il ait aussi écrit qu'il fallait le prendre comme un roman policier.

Dans cette histoire dont je ne donnerai pas le détail, le narrateur va essayer de comprendre des signes et de les relier alors que rien ne semble les lier.
Le point de départ est la découverte, lors de son arrivée dans une pension de famille avec son camarade Fuchs, d'une part d'un moineau mort et pendu à un fil, et d'autre part des bouches de deux femmes, l'une de Catherette déformée suite à un accident, l'autre de Léna parfaite et sensuelle.
A partir de là s'engage une « enquête » obsessionnelle, morbide et absurde de signes: bout de bois pendu à un fil, fissure du plafond ressemblant à une flèche dont est recherché ce qu'elle désigne , etc…; jusqu'à ce que le narrateur accomplisse lui-même, sans émotion, un acte cruel qui lui fait créer un « signe » le reliant aux autres signes,
Et à la fin, un autre événement tragique, je n'en dis pas plus, n'entraînera chez lui aucune tristesse ni compassion, mais l'amènera à une jubilation sans retenue, car, en y ajoutant lui-même un geste morbide, tout « prendra sens ».

C'est grinçant, perturbant, glaçant.

J'en tente une explication, dont peut-être l'auteur se moquerait.
C'est, pour moi, sur le mode de la farce délirante, ou du récit à la limite de la folie, une critique de la folie immature des humains à trouver un sens à la vie soit par le raisonnement abstrait de la philosophie, soit par la religion (curieusement un prêtre apparaît à la fin du récit). Et cette quête absurde du sens rend inhumain.

Un roman pas banal, difficile, sûrement pas « feel good », mais de ceux qui, à une altitude stratosphérique, ne se livrent pas d'un coup, et vous entraînent dans une foule de questions.
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Suis arrivée , péniblement , à la 71 ème page.

Dès le début ai trouvé cela un peu "spécial" et m'interrogeais sur ce qui allait suivre.

J'ai eu l'impression de plonger dans un abîme de réflexions confuses, incohérentes et cela m'a complètement déroutée.

Absurde à souhait, en ce qui me concerne.

Ai eu l'impression d'être trimballée, comme :
" la poussière qui tourbillonne dans un rai de lumière .... "

Trop confus pour moi, écriture exaspérante et biscornue.

J'abandonne !
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Si Deleuze avait essayé de se faire romancier, voici peut-être le livre qu'il aurait écrit – à considérer d'ailleurs que tous ses livres ne sont pas déjà de la mauvaise romance, comme son goût pour le schizo-romantisme pourrait le laisser croire. Gombrowicz est sauf de cette sale manie qui, chez les galériens de la fantaisie abandonnés de Dieu, consiste à promouvoir une idéologie basée sur le motif suivant : « la paranoïa est l'avenir de l'homme » même si, à en faire un ressort dramatique, à le présenter joliment comme la possibilité d'accès à une forme de mysticisme alors qu'il ne s'agit que du reflux vers un monde primitivement abandonné, quelque chose comme un exercice de séduction semble malgré tout s'imposer.


Il est question, dans ce livre, de choses sur lesquelles se fixe électivement un narrateur et qui n'ont pour lui valeur que de signes qui s'adressent à lui seul, paranoïaquement, dans le mystère d'une référence forclose. Lorsque tout fait signe de manière aussi impérieuse, le monde se codifie, se trouvant des lois arbitraires pour se poser un minimum de bornes et ne pas finir aspiré. L'obsession côtoie la paranoïa, ainsi que nous pouvons en avoir des exemples croissants dans notre monde même depuis quelques années. Dans Cosmos, le codage est ouvertement arbitraire pour qu'il en surgisse une forme de poésie de l'association libre et incongrue. Dans notre monde, le codage est également irrationnel bien qu'il cherche à se justifier après-coup. La poésie qui en résulte n'en est pas aussi charmante. L'univers grouille, lourd de significations impossibles à percer car elles s'arrêtent là, sur notre terre, semblant attendre quelque chose de nous et de nous seulement – ce qui est évidemment faux. de cette fermeture ne peut émerger que le nihilisme : « Il n'existe pas de combinaisons impossibles... N'importe quelle combinaison est possible... »


Ce petit livre de poésie paranoïaque semble donc traduire assez justement la dégénérescence induite par la vie dans la dimension de la seule immanence. Il tourne en rond, produit parfois de charmantes associations et s'éteint aussitôt. Bienvenue dans le monde des lignes de fuite.
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« Comment ne pas raconter après coup ? Ainsi il faudrait penser que rien ne sera jamais exprimé pour de bon, restitué dans son devenir anonyme, que personne ne pourra jamais rendre le bredouillement de l'instant qui naît ; on se demande pourquoi, sortis du chaos, nous ne pourrons jamais être en contact avec lui : à peine avons-nous regardé que l'ordre naît sous notre regard… et la forme. »

Tel est le penchant de l'esprit humain : classifier et relier entre elles les sensations confuses, les données incomplètes du réel. A la manière des étoiles qui forment pour nous des constellations.

Afin d'étudier ce phénomène astral, Gombrowicz utilise non pas un télescope mais un microscope appliqué sur les étranges replis du cerveau. Il nous fait directement entrer dans la tête d'un narrateur qui suspend le réel au fil de ses obsessions, et établit ainsi des rapports abstraits qui remplacent les rapports charnels inassouvis.

Les choses deviennent des signes, des indices porteurs de sens. Elles en viennent parfois à acquérir un caractère sacré, et, telles une parodie de cathédrale, pointent leurs flèches vers des chambres et des lèvres féminines. Autant d'interdits à transgresser par des crimes plus ou moins subjectifs (Gombrowicz indique dans sa préface qu'il fait de ce récit un « roman policier » à sa façon très personnelle).

On pourrait aussi y voir un roman initiatique, qui ne raconterait pas seulement la maturation du héros, mais celle de la conscience humaine. « La conscience est la dernière et la plus tardive évolution de l'organique et par conséquent aussi ce qu'il y a en lui de plus inachevé et de moins solide. », disait Nietzsche.

Tout reste encore à bâtir pour notre héros livré à lui-même, un personnage dont le lecteur ne sait pas grand-chose, hormis la vague notion d'un pêché originel impliquant une fuite loin de sa famille. Son identité s'écrit dans une lutte permanente avec le réel et les phénomènes dont ce dernier le bombarde, et qu'il doit en permanence faire rentrer dans sa logique biscornue, comme un jeu de Tetris. C'est aussi épuisant pour lui que pour le lecteur, qui doit donc toujours en repasser par les mêmes motifs, tournés et retournés dans tous les sens, et finalement plaqués sur une réalité disloquée inéluctablement par sa rencontre avec une psyché en quête (enquête ?) de forme. Aussi exaspérant qu'enrichissant.
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Andrej Zulawski venait d'adapter Cosmos au cinéma.

Certains écrivains ouvrent des brèches dans le simulacre social. Leurs oeuvres sont alors des charges explosives pouvant sauver, au milieu des ruines, ce qui peut encore l'être en chacun de nous. Peut-être un semblant de lucidité, par exemple. Witold Gombrowicz est un écrivain polonais ludique et pessimiste, provocateur et pervers. Je vous parlerai plus particulièrement de Cosmos, roman métaphysique qui joue avec l'absurde jusqu'à former un univers complet et cohérent, paradoxe ultime ! Il serait inutile de vouloir en raconter l'histoire tant l'intérêt ne réside pas en elle. le narrateur Witold et son ami Fuchs séjournent dans une pension de famille. On pourrait dire de Cosmos que c'est l'enquête pathologique de personnages dérangés à propos d'un oiseau mort et de deux bouches. La découverte par les protagonistes d'une suite de signes (un moineau pendu, une flèche sur un plafond, un bout de bois pendu à un fil, un poulet pendu lui aussi) sont interprétés comme autant d'indices menant le questionnement pseudo-policier. Une série d'hypothèses farfelues et grotesques parsème le récit, le plombant vers un naufrage morbide et drolatique à la fois. Cosmos est une sorte d'imposture visant à révéler l'immaturité et la facticité du lecteur et du monde tout court.

Le roman commence ainsi : « Je plongeai le regard dans ce fouillis de feuilles, de rameaux, de taches lumineuses, d'épaississements, d'entrebâillements, de déviations, de poussées, d'enroulements, d'écartements, de je ne sais quoi, dans cet espace tacheté qui avançait et se dérobait, s'apaisait, pressait, que sais-je ? Bousculait, entrouvrait... Perdu, couvert de sueur, je sentais à mes pieds la terre noire et nue. Là entre les branches, il y avait quelque chose qui dépassait, quelque chose d'autre, d'étrange, d'imprécis. Et mon compagnon aussi regardait cela. Un moineau. Ouais. C'était un moineau. Un moineau à l'extrémité d'un fil de fer. Pendu. Avec sa petite tête inclinée et son petit bec ouvert. Il pendait à un mince fil de fer accroché à une branche. Bizarre. Un oiseau pendu. Un moineau pendu. Cette excentricité hurlante indiquait qu'une main humaine s'était glissée dans ce taillis. Mais qui ? Qui avait pendu cet oiseau, pourquoi, quel pouvait être le motif ? »

Roman du rien, du creux qui se pare de toutes les pseudo-significations ; c'est là tout le talent de l'auteur. Certaines situations de ce roman sont très proches de l'univers de Buñuel et de L'Âge d'or (sensualité embarrassée, absurdité malsaine des rapports humains). le narrateur est obsédé par la rencontre possible de la bouche de Léna et de celle de Catherette, attirance et répulsion formant un climat oppressant tout au long du récit. Lynch pourrait se délecter des phobies qui émaillent les perceptions des sujets : « Cette bouche était comme trop fendue d'un côté, et allongée ainsi imperceptiblement, d'un millimètre, sa lèvre supérieure débordait, fuyant en avant ou glissant presque à la façon d'un reptile, et ce glissement latéral, fugitif, avait une froideur repoussante de serpent, de batracien, mais pourtant il m'échauffa, il m'enflamma sur-le-champ, car il était comme une obscure transition menant à son lit, à un péché glissant et humide. » Gombrowicz, ou comment la réalité la plus banale peut devenir (ou plus exactement est) loufoque, délirante, inquiétante, obsédante, si l'on ose soulever le voile pudique du réalisme classique. Supporter la prose de Gombrowicz n'est possible que si l'on admet l'idée de la mesquinerie et de l'idiotie humaine. Pourtant, son propos n'est en rien accusateur, en rien moralisateur, au contraire, il se réjouit de l'immaturité généralisée, proche d'une forme d'innocence pervertie. La partialité, la petitesse, l'insignifiance de l'histoire romancée est à transposer sur l'idée que se fait l'auteur de la « grande histoire ». Non-événement d'un monde insignifiant qui ne prend « sens » que sous le joug de la subjectivité humaine, cruelle et arbitraire.

L'observation d'un moineau pendu constitue le coeur du récit, son trou noir, sa matière noire qui constitue la trame originelle de tout l'univers se déployant autour : « « Partons ». Mais il restait là, il regardait, le moineau pendait, je restais là aussi, je regardais aussi. « Partons ». « Partons ». Nous ne bougions pas, cependant, peut-être parce que nous étions restés trop longtemps déjà et que le moment convenable pour le départ était passé... et maintenant cela devenait plus dur, plus incommode, nous deux avec ce moineau pendu dans les buissons... et j'eus l'intuition d'une sorte de disproportion, de faute de goût ou d'inconvenance de notre part... J'avais sommeil. »

Le regard de Gombrowicz vise la déformation pour mieux accoucher d'une perception authentiquement phénoménologique des événements et des êtres qui gravitent en leur sein. À trop s'y attarder, c'est la santé mentale du lecteur et de l'auteur qui sont mises à mal. le besoin d'ignorance s'avère le pilier de la « norme ». L'insolite ouvre sur le monstre qui réside en chacun, le grotesque fait écho à l'infini au statut humain : « Tout à coup surgit une vache. Je m'arrêtai et nous nous regardâmes dans le blanc des yeux. Sa vachéité surprit à ce point mon humanité que je me sentis confus en tant qu'homme, en tant que membre de l'espèce humaine [...] Comment se comporter face à une vache ?... Comment se comporter face à la nature ? » La cohérence du « réel » est cruellement mise à terre. Gombrowicz était doué pour observer des heures durant des crochets sur les murs et imaginer le passé éventuel de la demeure supportant ces fameux crochets. Un jour qu'il se promenait à la plage, il sauva un scarabée qui s'était retrouvé sur le dos et gigotait. Il le remit sur ses pattes puis en vit un deuxième dans la même fâcheuse position : il le sauva aussi, se croyant sauvé par la même occasion via ce labeur étrange, mais une quantité astronomique d'autres bestioles, dans le même triste état, se révéla à sa vue, quelques mètres plus loin. Accablé devant une mission devenue grotesque, il partit en panique.

Gombrowicz est aussi l'auteur de pièces de théâtre (Yvonne princesse de Bourgogne). Son oeuvre la plus connue demeure Ferdydurke qui a été misse à l'écran par Jerzy Skolimowski. Transatlantique est un roman autobiographique sur l'exil de Gombrowicz en Argentine en 1939 lié à l'invasion de la Pologne par Hitler. Exil qui durera 23 ans. Puis Gombrowicz dérivera vers Paris, Berlin, Vence. La Pornographie traite notamment du rapport entre la forme et la maturité de l'adulte d'une part, et de l'adolescence malléable d'autre part, rapport de force symbolique entre celui qui veut imprimer sa forme et celui qui aspire à être formé, attraction flirtant avec le vice et la vertu tour à tour. Ambivalence où tous se perdent, l'adulte dans sa fascination de l'informe, l'adolescent quant à lui piégé par la forme que tente de lui imprimer l'adulte. L'attirance qui en découle est basée sur la perte des qualités à l'origine de la relation. L'immaturité informe semble consacrée par la modernité qui ne propose plus aucun cadre structurant, qu'il soit d'ordre politique, social ou religieux.

Toute l'oeuvre de Gombrowicz charrie un refus fondamental du sérieux, en quête d'une sorte d'innocence impossible, à rebours de la souffrance et de la gravité adulte. Mais guette l'infantilisme tout aussi destructeur et vide. Une impression de simulacre et de fausseté imbibe tous ses récits. L'artificialité des rapports humains saute aux yeux des protagonistes. Ses mémoires sont à découvrir pour mieux percer le mystère Gombrowicz. Son Cours de philosophie en six heures un quart est un monument d'humour intelligent. En ces temps de simulacre politicien liberticide, la lecture de cet aristocrate déchu est salvatrice.
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Imaginez un monde, pas tellement différent du nôtre dans lequel chaque objet, chaque petit événement du quotidien soit porteur d'un sens qui vous est directement adressé. Un monde où tout est à déchiffrer : un oiseau mort, une lézarde au plafond… Vous pouvez toujours essayer de tuer le chat ou partir en pique-nique pour enrayer la machine. Rien à faire, c'est à en perdre le sommeil, voilà le monde de "Cosmos".

Un livre à la croisée de Kafka et de la trilogie des jumeaux d'Agora Kristof. Mais je ne dis pas ça pour vous aider, ce n'est pas mon genre…
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Comment raconter ce que l'auteur peine lui-même à conter ? le pitch ? Un polar cosmique polonais où le point de départ est la découverte d'un moineau pendu et deux femmes qui ont leurs bouches "mélangées"... Vous l'aurez compris, c'est barré dès le début. J'adore cet auteur surtout pour sa très célèbre pièce et là je découvre son univers romanesque absurde à souhait. Absurde ? Non tout est d'une éclatante logique, les personnages improbables s'expriment à coup de mots inventés à base de"Berg", le narrateur étrangle un chat sans savoir pourquoi et enquête lui-même sur le forfait qu'il a commis, l'autre cherche à comprendre d'où vient cette flèche peinte sur le plafond ? Bref, c'est complètement déjanté. La théâtralité de certaines situations, dialogues et tirades donne un sacré relief au propos. On est perdu, on s'y noie pour le plaisir verbal, littéraire et philosophique. Parce qu'il y a du fond, quelque part... Existentiel ? Oui, assurément ! Mais aussi du bon sens : ce qu'on s'ennuie dans ce bas monde ! Et dire que tout se termine par de la poule au riz. À lire et relire parce que je suis sûr que dans un an, j'aurais tout oublié et je me marrerais tout autant !
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Quelle lecture! Je suis retourné à Gombrowicz après "Yvonne Princesse de Bourgogne" qui m'avait laissé un peu partagé. La forme du roman lui permet d'élaborer une écriture bien plus puissante qui m'a immédiatement emporté dans son flux quasi continu. Car il fait partie de ces livres qu'on dévore presque d'une traite ou qui nous laissent immédiatement sur le bord du chemin. C'est un univers qu'on pourrait situer quelque part entre le théâtre de l'absurde d'un Beckett ou d'un Ionesco (même si Gombrowicz dit ne rien à voir avec eux) et la fantasmagorie expressionniste du Woyzeck de Büchner pour sa folie ordonnée, son comique grinçant, la sombre beauté de ses espaces, intérieurs ou extérieurs, sous la figure énigmatique et un peu morbide de la lune.


"Yvonne" détournait la logique du conte pour en faire une féérie inversée jusqu'au grotesque et au dérisoire. "Cosmos" est un anti-roman policier (ou le roman policier ultime) qui pousse le principe de la recherche d'indices et de coupables jusqu'à l'absurde. le narrateur, un étudiant qui vient de fuir sa famille, se réfugie dans une pension de famille en même temps que Fuchs, un employé de bureau qui tente lui-même d'échapper à son patron qui le déteste. A partir de deux observations anodines qui se mettent à faire sens (la découverte d'un moineau pendu à une branche et l'observation de la convergence de la bouche déformée de la servante vers celle parfaite de Léna, la fille de cette famille), Witold et Fuchs sont emportés dans une quête sans fin d'un réseau d'indices et de significations qui finit par élaborer une sorte de néo-réalité qui a ses lois et son déterminisme. Un peu comme il en irait du regard d'un enfant découvrant l'étrangeté du monde ou de celui d'un psychotique qui percevrait les choses et les êtres comme des signes a décrypter. Ou même encore comme il en va de la libre association révélant l'inconscient sur le divan du psychanalyste. Chaque mot pouvant potentiellement ouvrir un nouvel espace de réalité, métaphorique ou métonymique, dans une perspective presque lacanienne.

A l'intrigue policière habituelle, se substitue avec une efficacité sidérante cette énigmatique recréation du monde qui unirait des personnages à la fois banals et effrayants à la nature environnante (une forêt, la montagne) et au cosmos. On suit une flèche dessinée par des traces sur un plafond, des mains qui s'agitent sur une table au cours d'un repas, un mot qui désigne à la fois un personnage inconnu ou le lieu de l'action: "Berg"... La réalité se métamorphose en un processus qu'on peut influencer par des actions intentionnelles (en étranglant un chat par exemple) qui alimentent à leur tour le réseau d'interprétations. Et le tout en un incroyable crescendo qui culmine dans un final en spirale qui s'apprête à nous absorber avant que la banalité quotidienne ne reprenne ses droits.

La beauté de l'écriture, l'humour de certains dialogues (la logorrhée ludique de Léon!), la cohérence et l'intensité de ce cosmos recréé, le sentiment troublant de toucher à l'absurdité de la condition humaine, le jeu sur la littérature de genre (le roman policier), le vertige qu'il génère sans jamais s'enliser... font de ce Cosmos un roman extraordinaire et inoubliable. Car ce qui risque de dérouter certains, à savoir cette accumulation de non-sens qui finit par en créer, est justement tout le propos du livre. Comme si Gombrowicz nous montrait que les fictions habituelles sont des mensonges et qu'il en dynamitait les règles et les faux-semblants.
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Le narrateur, Witold, un jeune homme rejeté par ses parents, et son camarade Fuchs, haï de son patron qu'il côtoie toute la journée, tous les deux sans doute immatures et fragiles, se retrouvent à la campagne ; ils cherchent un logement. Avant d'arriver dans une pension de famille modeste, ils tombent, chose étrange, sur un moineau pendu.

Dans son introduction, Witold Gombrowicz donne, avec quelques extraits de son journal, les principes directeurs de ce roman de 1964 : Cosmos est «une sorte de récit policier», car c'est «un essai d'organiser le chaos». Un essai est le mot juste, car Cosmos est une oeuvre qui plonge dans un abîme.
Au départ, le narrateur se trouve confronté à deux anomalies incompréhensibles, le moineau pendu, découvert dans un fourré, et le lien étroit qu'il conçoit entre les bouches de deux femmes, celle de Léna, fraîche et virginale, et celle de Catherette, déviante, impure, dans cette pension de famille.

«Ce que j'avais remarqué chez cette personne était un étrange défaut sur sa bouche d'honnête femme de ménage aux petits yeux clairs : cette bouche était comme trop fendue d'un côté, et allongée imperceptiblement, d'un millimètre, sa lèvre supérieure débordait, fuyant en avant ou glissant presque à la façon d'un reptile, et ce glissement latéral, fugitif, avait une froideur repoussante de serpent, de batracien, mais pourtant il m'échauffa, il m'enflamma sur le champ, car il était comme une obscure transition menant à son lit, à un péché humide et glissant…»

Tandis que l'intrigue avance, dans la chaleur écrasante de l'été et la tension du huis clos de la pension, Witold, personnage obsessionnel, désoeuvré, épuisé par ses propres efforts, s'efforce de donner un sens au chaos : comprendre ses désirs, et une réalité qui lui apparaît sous forme fragmentée : cheminée, corniche, arbrisseau, dessin au plafond qui forme comme une flèche, attitudes des corps, doigts jouant avec les couverts ou formant des boules de mie de pain sur la table, rapprochement entrevu de deux bouches, tout pourrait être signe. Cette réalité obscure, multitude d'événements et d'objets, peut-elle être reliée en une constellation, un cosmos ?

Plongée fantastique dans les pensées d'un héros en totale confusion, Cosmos est un roman qui rend fou, sans cesse au bord du gouffre, entre réalité et folie. Associations étranges, désirs empreints de perversion, compréhension fugace, et qui s'évanouit, toute croyance en une vision objective du monde est ici anéantie.
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La fascination du néant. La bifurcation du destin. Un lapsus de trop. La chair rutilante, l'absence derrière, sémiotique des sens.
L'exploration se poursuit sur des chemins de traverse, de Ferdydurke à Cosmos: Gombrowicz fait sa contrebande, fourguant son immaturité au premier venu, menant son chariot bringuebalant vers des terres plus accueillantes, jusqu'à ces puceaux exhibés de la Pornographie, obscénité de la politique ou politique de l'obscène. Mais la forme c'est le tout, cosmos ordonné des oeuvres, insaisissable. Roman unique, si lourd de conséquences, à la limite du conscient.
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