Livre long, lourd, complexe. Gotthelf y justifie une fois de plus sa réputation de « Balzac » suisse, avec une observation social du monde paysan toute en subtilité et en nuance. Rejetant tout manichéisme, toute grandiloquence, il ne cède pas non plus à la facilité d'une peinture en noir à la façon d'un naturaliste. On analyse, on observe.
Dans la Suisse allemande des années 1880, la vieille Anne-Bäbi Jowäger règne d'une main de fer sur son mari, leur ferme et leurs deux domestiques. Elle a un fil unique, Jakobli. Un enfant chéri, puis un adolescent protégé, enfin un jeune homme beau et solide... Et voilà qu'il tombe malade. La variole. Le visage aimé défiguré, mutilé par les pustules ; le souffle de plus en plus faible... La mère panique. Personne ne pense à appeler un médecin : ça ne se fait pas. Plutôt appeler tous les rebouteux du pays et les vendeurs de liqueurs douteuses aux propriétés mirifiques...
Le sujet du rapport des paysans à la médecine prédomine. L'absence de rationalité des décisions, la méfiance pathologique envers les médecins, parfois fondée, mais globalement ne s'embarrassant pas détails, voir pas très loin de théories du complot avant l'heure... Bien des choses n'ont pas changé du reste, les remèdes miracles et les pastilles de sucres continuent de se vendre à merveille. Quant aux diverses superstitions qu'il rapporte, la plus bizarre est sans conteste celle de passer un uniforme militaire aux femmes en couche, pour que l'enfant soit robuste et courageux. On peut croire Gotthelf, il n'est pas homme à broder.
Le contraste n'en est que plus fort avec la lucidité et le bon sens dont font preuve ses concitoyens dès qu'il s'agit des affaires de la terre ou du bétail. On sait prendre soins de sa vache ou de son champs, mais pour l'homme ou la femme, sauve qui peut. En parallèle, on observe les « marieurs » et « marieuses », sortes d'agence de rencontre avant l'heure, ou les complexes rapports entre médecin et pasteur. Pour agrémenter le tout, une petite romance comme il les aime, entre paysan aisé mais pataud et jeune fille pauvre mais méritante, et l'ensemble passerait parfaitement... Si Gotthelf, en bon pasteur réformé, ne l'avait pas entrelardé d'extraits de ses meilleurs sermons.
Une véritable plongée sociologique, où il ne faut pas avoir peur de sauter quelques pages de temps en temps.
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- Mais il parait que Jakobli a été malade ? demanda le pasteur qui voulut savoir en plus quel médecin ils avaient consulté s'il avait passé chez eux. Hansli expliqua en détail qu'ils en avaient consulté plusieurs ; pourtant il leur avait semblé que les médecins consultés n'en savaient pas plus long les uns que les autres ; c'est pourquoi lui et sa femme n'avaient pas jugé à propos de les faire venir dans leur maison parce que cela ne servait à rien. Un médecin qui connaissait son affaire n'avaient pas besoin de faire tant de ces visites, il découvrait tout de suite ce qui en était. "Et comment pourrait-il le savoir ? demanda le pasteur.
- Eh ! D'après ce qu'on lui en dit. Et puis on lui porte de l'urine du malade et, s'il est tant peu capable, il sait bientôt de quelle maladie il s'agit. Tous les empiriques le savent, et sont en mesure de vous dire où réside le mal quand on leur porte l'urine ; pourquoi un médecin qui a fait des études n'en ferait-il pas autant ? L'essentiel est de guérir les gens.