Une tempête hurlante file au-dessus du fleuve et engloutit la terre dans un
édredon de neige. Impossible de reconnaître l'ami de l'ennemi. On marche en aveugle, on crie le mot de passe ; si la réponse ne vient pas assez vite, la baïonnette se fiche dans un corps. Celui qui est le plus rapide rallonge sa vie, mais on se trompe souvent et on ouvre le ventre d'un camarade. Qu'importe pourvu qu'on survive ! Ce genre de guerre, on ne nous l'a pas
appris à la garnison, c'est celle des grands fauves. Pendant les courtes pauses, on aiguise les couteaux de tranchée si effilés qu'on pourrait se raser avec.
Quand une armée et ses généraux commencent à foutre le camp, c'est comme les wagons : ça descend des collines tout seuls.
Les Alsaciens étaient Français et c'était leur devoir de tirer sur les Allemands. Mais les frontaliers sont toujours comme un pou entre deux ongles. En 17, les Alsaciens sont devenus Allemands après la défaite de la France et ont dû obéir à Berlin. En 18, ils étaient redevenus Français et c'était Paris qui commandait. En 40, ils sont redevenus Allemands, et quand nous aurons perdu cette guerre, ils redeviendront Français. Tu crois que c'est facile de savoir où on en est ?
Dans une guerre, il y a toujours des traîtres. À l'école, on apprenait que les
Alsaciens étaient un peuple de traîtres. Ils nous t iraient dessus en 14. Mon prof qui savait bougrement bien donner des gifles y était, et un de ces satanés Alsaciens lui avait tiré une balle dans son épaule allemande...
Rien ne peut nous arrêter.Nous avons besoin d'espace vital et ceux qui se mettront en travers seront écrasés sans pitié.