César et Mahomet ont rempli la terre de leur renommée. Le dernier est, dans la moitié de l'univers, respecté comme l'ami de Dieu ; dans l'autre, il est honoré comme un grand génie: cependant, ce Mahomet, simple courtier d'Arabie, sans lettres, sans éducation, et dupe lui-même en partie du fanatisme qu'il inspirait, avait été forcé, pour composer le médiocre et ridicule ouvrage nommé al-koran, d'avoir recours à quelques moines grecs. Or, comment, dans un tel homme, ne pas reconnaître l'ouvrage du hasard qui le place dans le temps et les circonstances où devait s'opérer la révolution à laquelle cet homme hardi ne fit guère que prêter son nom?
On devient nécessairement l'ennemi des hommes lorsqu'on ne peut être heureux que par leur infortune.
La différence de l’esprit d’avec le bon sens est dans la cause différente qui les produit. L’un est l’effet des passions fortes, et l’autre de l’absence de ces mêmes passions. L’homme de bon sens ne tombe donc communément dans aucune de ces erreurs où nous entraînent les passions ; mais aussi ne reçoit-il aucun de ces coups de lumière qu’on ne doit qu’aux passions vives. Dans le courant de la vie, et dans les choses où, pour bien voir, il suffit de voir d’un oeil indifférent, l’homme de bon sens ne se trompe point.
Quelque rare que soit le bon sens, les avantages qu’il procure ne sont que personnels ; ils ne s’étendent point sur l’humanité. L’homme de bon sens ne peut donc prétendre à la reconnaissance publique, ni par conséquent à la gloire. Mais la prudence, dira-t-on, qui marche à la suite du bon sens, est une vertu que toutes les nations ont intérêt d’honorer. Cette prudence, répondrai-je, si vantée et quelquefois si utile aux particuliers, n’est pas pour tout un peuple une vertu si désirable qu’on l’imagine.
Les chrétiens, qui donnaient avec justice le nom de barbarie et de crime aux cruautés qu'exerçaient sur eux les païens, ne donnèrent-ils pas le nom de zèle aux cruautés qu'ils exercèrent à leur tour sur ces mêmes païens? Qu'on examine les hommes, on verra qu'il n'est point de crime qui ne soit mis au rang des actions honnêtes par les sociétés auxquelles ce crime est utile, ni d' action utile au public qui ne soit blâmée de quelque société particulière à qui cette même action est nuisible.