Je ne me sens guère de taille à présenter ici l'un des plus grands artistes, avec Keats, de la langue anglaise. Mieux vaut que le lecteur se reporte aux bonnes présentations que l'ouvrage recensé donne de lui. Qu'il sache toutefois que Hopkins, malgré sa réputation de poète difficile, est abordable. Je suis allé à lui grâce au romancier fantastique et de SF
Dan Simmons, qui s'est servi d'un de ses vers pour intituler un de ses plus beaux romans, "L'échiquier du mal", en anglais Carrion Comfort. Il y a donc des passerelles improbables entre des domaines littéraires que l'édition sépare par une cloison étanche. "Carrion comfort", ou, si l'on veut, "immonde réconfort", c'est le nom que le poète chrétien Hopkins donne au nihilisme de son temps comme du nôtre, quand la pulsion de mort l'emporte sur le désir de vivre. C'est que tout l'art, raffiné et sublime, du poète, est un art chrétien, c'est-à-dire au service de la vie, et plus particulièrement de la vie éternelle que le croyant recherche dans la nature et auprès de son Dieu, si terrible soit-il. En de rares et brefs
poèmes, la vie mystique de Hopkins se dévoile - et ce qui peut rester pour nous, c'est au moins l'art poétique inégalé qu'il développe. Nous pouvons au moins visiter cette poésie comme on se promène dans les ruines gothiques des anciens monastères anglais.
(Ajouté en 2020) :
Il n'existe pas en français d'édition complète, bilingue ou unilingue, de l'oeuvre de
Gerard Manley Hopkins. Né en 1844, dans une fratrie de poètes, de mystiques et d'intellectuels, Gerard connut le destin le plus étrange : ses brillantes études, ses dons éclatants de poète et d'artiste, le firent remarquer des Préraphaélites. Il participa à la renaissance catholique d'Oxford autour de Newman, le conduisant à la conversion au catholicisme, à l'entrée dans l'ordre des Jésuites et au sacerdoce. Dans l'Angleterre victorienne, pareille évolution condamnait à une totale marginalité. Sa sévère vie monastique lui fit détruire une grande partie de ses
poèmes de jeunesse, mais ne parvint pas à étouffer son génie. Au contraire, elle fit de lui un poète mystique, amoureux de la nature où il lit la présence divine. Je recommande en particulier les
poèmes dédiés aux oiseaux, aux saisons et à la mer. La présente traduction de
Pierre Leyris me paraît plus accessible au lecteur français que celle de
Bruno Gaurier, que je consulte aussi. Paradoxalement, le français est parfois plus obscur que l'anglais qu'il traduit, tant les vocables saxons prennent toute leur force poétique en version originale.