Je referme "Etés Anglais", le premier tome d'une saga -un classique outre Manche qui a eu le droit à son adaptation en série par la BBC, excusez du peu!- qui compte(ra) quatre ou cinq volumes et les éloges ne me manquent pas: j'ai été véritablement happée par ce roman, par son intelligence, sa finesse, sa profondeur. Et par son charme so british, à la manière de Downton Abbey mais pas que. Un peu comme si Downton Abbey avait rencontré le
Jonathan Coe des "Enfants de Longbridge"...
Nous sommes en 1937. Les Cazalet sont une riche famille, une dynastie issue de la haute bourgeoisie anglaise qui a su faire fructifier sa fortune en investissant dans le bois et l'industrie. A la tête de cette dernière comme de la famille, on trouve William, le patriarche vieillissant mais infatigable. Son épouse est une grand-mère un peu vieux jeu, un peu victorienne mais dotée d'un solide caractère. Quatre enfants sont venus combler et agrandir cet élégant ménage: Hugh, Edward, Rachel et Rupert. Les garçons -dont les deux aînés gardent des cicatrices de la Grande Guerre- sont nantis de leurs épouses et d'enfants tandis que Rachel est demeurée auprès de ses parents.
La famille, très unie, a pour habitude de se réunir tous les étés dans le Sussex, à Home Place, vaste résidence d'été de la famille sous la houlette des grands-parents. Baignade à la mer, parties de tennis et de squash, piques-nique, dîners constituent le programme des vacances. Mais qu'on ne s'y trompe pas: si en apparence, tout n'est que sérénité, calme et volupté, il suffit de se plonger au plus profond des personnages -qu'ils soient de la famille ou domestiques, qu'il s'agisse des enfants ou des adultes- pour mettre au jour les angoisses, les secrets, les non-dits, les regrets, les incompréhensions, les préoccupations qui font le sel de la narration (de la vie?).
Qu'on ne s'y trompe pas non plus: la menace d'une nouvelle guerre plane sur le ciel d'été, oppressante, inéluctable.
Tour à tour, chaque personnage dévoile son point de vue, apportant ainsi sa contribution à l'ambitieuse et ô combien minutieuse broderie qu'est "Étés Anglais". Ce parti pris narratif permet au roman d'afficher un rythme soutenu et une délicieuse fluidité. Quant aux personnages, tout en nuances et en contradiction, ils sont parfaitement campés, réalistes: somme toute, ils sont humains. Bien entendu, il y a ceux qu'on va aimer (Hugh et Rupert, Polly), ceux qui vont nous agacer mais qu'on aime quand même (Louise! Zoé!) et ceux qu'on va détester voire qu'on va adorer détester (Edward, Neville) mais de tous on se sentira proche tant ils sont écrits avec humanité et clairvoyance.
Non contente d'écrire une simple saga familiale,
Elizabeth Jane Howard va plus loin (et c'est ce qui la différencie de tant d'autre, ça et la qualité de son écriture, qui bénéficie au demeurant d'une très belle traduction). Par le prisme de ses personnages, elles n'hésite pas à aborder des sujets graves (voire très graves) tels l'antisémitisme ou encore (et surtout) la condition des femmes soumises au désir des hommes ou à la maternité, la différence d'éducation offerte aux filles et aux garçons, le désir, la frustration, le viol... L'auteur distille ces réflexions au coeur de sa construction narrative avec beaucoup de finesse, d'intelligence et de pénétration. le roman se fait alors reconstitution historique, radiographie sociologique tout en ne perdant rien de sa passionnante dimension romanesque.
"Étés Anglais" apparaît clairement comme le point de départ magistral d'une saga dont on a peine à se défaire une fois le livre refermé, tant pour sa finesse et son élégance que pour son intelligence ou ses excellents personnages.
J'attends avec impatience la parution du tome 2. Octobre paraît bien loin, mais les Cazalet, s'ils se prêtent bien à l'été, seront aussi de bons compagnons d'automne.