Ma langue est le lieu où la nuit reflue,
où se prépare un langage allégé, où la pluie
met la douceur de tous les arbres dans le vent,
des îles sous le vent ; ma langue issue
de je ne sais où, de ce lointain palais
que le fracas luxueux des paroles
ne peut plus ramener. Les épilobes
s'enlisent dans le bruit touffu des mots.
Des engoulevents inouïs cherchent dans tes yeux
les grains de la rosée dorée.
Il pleut. La révolution emporte
le tour du potier, les roses
dont j'ai compté les pétales.
Je suis sorcier, feu de souches
et rêve aux cent fêtes.
Ma voix irréelle a des voûtes
où je love un long serpent
pour mieux caresser ta langue
et brûler à satiété les tissus
dont les arbres se vêtent.
Et j'erre en mon limon noir,
en chaque étang nourri de pluie ;
acerbe et félon j'étrangle
un chemin de sel pur.
POÈMES DU NALÓN
Extrait 1/3
La montagne a grandi sous la plume,
a posé la rivière aux dents de soie
sur le sifflet menteur
qu'un colibri déchire,
et la pluie couvre ton chant
de grands charbonnages purs.
Tu es l'arbre qui naît
dans la forêt de chaque enfant.
…
Évanoui, j’avale un oursin.
J’avale, évanoui, sa sève et rêve
de cheveux de femmes, de chevaux.
Le lait broie ma langue assouvie.
Avalanche d’arbres, et d’ arbres,
dont le bleu sable fin crisse et crie.
Je saisis entre mes mains blanches
la cruche gourmande où gît le vin,
ventre, hibou, joyau pansu.
Arbres à veines que l’œil englobe,
je vous avale et j’avale aussi
les escargots dont l’haleine
est un chemin de feu,
les souches tuméfiées sous l’aisselle,
et ma verge et la tienne,
et le tonneau d’ eau fraîche,
prison du soleil noir.
POÈMES DU NALÓN
Extrait 2/3
Les tuniques des châtaignes
ouvertes en deux soleils,
mille fuseaux perçants
les encerclent, les flagellent…
Ourdir en moi leurs pupilles !
Oindre leur nom de roses !
Je vous jetterai le sel qui brûle,
paumes blanches ou nids pluvieux
d'araignées avalées
quand le Nalón charrie
mille truites au goût de cidre.
…
Hommage d'E. Savitzkaya à Jacques Izoard