Jaenada s'est jeté à corps perdu dans cette nouvelle affaire, celle du meurtre du petit Luc Taron, fantôme en culottes courtes qui hante de son mystère les quelques 800 pages du récit, et aura valu à l'étrange Lucien Léger, « l'Etrangleur » auto-proclamé, le record de la plus longue peine de prison. Tout est monstrueux dans ce récit : le meurtre de ce petit garçon de 11 ans évidemment, l'incroyable feuilleton médiatique orchestré par Léger qui inonde les médias de l'époque de lettres signées « l'Etrangleur », s'accusant du meurtre du petit Luc (mais quelle mouche l'a piqué ?!), le fiasco judiciaire que représente cette affaire (une condamnation sans mobile, sans preuves matérielles, …), les 41 ans de peine de prison de Léger, mais aussi le milieu hideux dans lequel grandit Luc.
De cette somme de témoignages, de lettres, d'archives épluchés par Jaenada (légèrement obsessionnel non?), émerge un portrait peu reluisant de la société des années 60: l'incroyable psychose créée par les courriers de l'Etrangleur, l'affaire qui se juge dans la presse avant d'arriver devant le tribunal, l'enquête expéditive des enquêteurs pressés par l'opinion publique. Léger est là, il a signé ces lettres, il aura beau crier son innocence, il ne sera jamais entendu.
Exquis, obsessionnel, tendre, acharné, drôle, vieillissant, héraut de la vérité, Jaenada remue la fange de cette histoire plus que louche pour en faire émerger des figures de salauds, des personnages méprisables (aahhh Taron père…) et un roman fou, qui s'il ne peut donner toutes les réponses, se posent au moins toutes les questions. Parce que Jaenada a une intime conviction : ce n'est pas Léger qui a tué le petit Taron.
Avec une infinie humanité, une empathie formidable qui culmine dans la dernière partie consacrée à la femme de Léger, la triste Solange, il se débat avec cette affaire, suit les pistes négligées, réécrit sa version des faits, et c'est passionnant (et long, et détaillé, et rempli de parenthèses exquises).
Si j'ai préféré le rythme effréné de «
La Serpe » et les implications de «
La petite femelle », j'ai retrouvé avec un immense plaisir la plume de Jaenada, que j'aime, un point c'est tout!