Voilà un roman atypique, hors des sentiers battus littéraires, qu'il m'a fallu digérer pour pouvoir en parler ici avec vous.
Dès les premières pages, j'ai été très impressionnée par le style de l'auteur, ou plutôt les styles qu'il aborde dans ces trois carnets de neige. le premier nous plonge dans la dérive nous plonge dans la dérive jusqu'à la folie d'une mère en deuil. L'écriture est telle un tourbillon qui déstabilise sans relâche autant qu'il bouleverse. C'est facile de faire pleurer en écrivant sur la mort d'un enfant, c'est ardu de surprendre par des réflexions inattendues et justes.
Le chaos littéraire qui en découle fait perdre tout repère, de ponctuation, de syntaxe, de rationalité, de rapport au temps et à l'espace : la prose de Christophe Jean se fait élégiaque, poétique, presque fantastique lorsqu'elle aborde le voyage onirique sauvage et lumineux de cette mater dolorosa dans une forêt de neige, sur les traces d'un cheval blanc qui pourrait être son fils disparu. C'est déroutant et très beau parce que aussi déroutant.
« La forêt donc s'est refermée sur nous comme une blessure susceptible de cicatriser un jour. Nous marchons, le cheval et moi, sur un large chemin entouré de part et d'autre d'une végétation émeraude dont nous frôlons les jeunes pousses. Les fougères ploient sous le poids d'une lourde humidité. La voie que nous empruntons semble se perdre et se fondre sans que l'on n'y puisse rien faire dans le tremblement de l'horizon qui, lorsque je relève ma tête, s'éloigne de nous au fur et à mesure que nous avançons. Je me sens étonnamment calme. Je ne tremble plus. Je ne sais pas si je m'éloigne de toi ou si je marche pour te retrouver. La beauté des arbres que je regarde est douloureuse car je sais que tu en es privé. Voilà ce qui est si difficile à supporter pour ceux qui restent. Savoir que la beauté n'est plus rien pour celui qui a disparu. le ciel se teinte par moments de touches orange et mauves. Je vois ton visage descendre vers le mie en nuée pâle et me sourire. »
Cela pourrait n'être qu'un exercice de styliste s'il n'y avait toute cette chair souffrante et vibrante qui remet les pieds sur terre dans le deuxième carnet. le changement de ton est brillant tout comme la construction qui se fait jour. On comprend désormais l'enchaînement des faits, toutes les interrogations sont levées, chaque morceau mystérieux du puzzle s'assemble avec les autres et fait sens. Jusqu'au dernier carnet, bref et terrible, à la convergence des deux autres.
L'auteur a écrit ces Carnets de neige au moment de la mort de la grande actrice israélienne Ronit Elkabetz. C'est elle qui prête ses traits à la mère. Les images de son regard intense, de ses traits taillés à la serpe, de sa crinière noire flamboyante, de sa force et son intelligence m'ont accompagnées durant toute ma lecture.
Ce récit se déploie dans une liberté folle que seule une maison d'édition indépendante, ici la lilloise Faute de frappe, pouvait accorder à ce roman puissant et hors norme.
Commenter  J’apprécie         752