Dès les premières pages, je me suis retrouvé plongé dans l'ambiance glauque du vaste hall d'arrivée aux murs lavasses d'Ellis Island où les immigrants étaient accueillis venant du monde entier.
De ma mémoire, instantanément, une ahurissante vision palpable m'est revenue :
Des dizaines de malles marrons sales étaient empilées comme à Auschwitz les souliers.
Les mêmes foules, j'imagine, étaient venus ici pour vivre et non pour mourir.
Et pourtant…
L'homme qui raconte, a tout vu, tout fait dans cette île-caillou à quelques encablures de Battery Park à Manhattan. C'était
John Mitchell, le gardien.
Bien que son existence soit devenue quasiment ascétique par une épreuve qui l'a désarçonné, cet homme relate à l'aube de sa retraite quarante-cinq ans de souvenirs et de rencontres dans ce microcosme où se présente chaque jour des centaines d'êtres désorientés souhaitant franchir la « porte d'or ».
« L'Amérique que nous avions tant désirée se réduisait à un camp de fonctionnaires empressées et frileux, chargés de tenir à distance toute tentative d'approche d'une pensée divergente, tous les germes d'une possible déviance intellectuelle. L'Amérique savait ouvrir grand les bras, elle nous a montré qu'elle savait aussi brutalement les fermer. »
Je me suis laissé emporter par l'écriture élégante, légère et fluide de
Gaëlle Josse.
Objet, verve, compliment. C'est un réel plaisir de lecture quoique le sujet soit lourd, les verbes souvent douloureux et les compléments de sujets directs, cruels et captivants.
Le personnage principal est attachant, authentique rigoureux et humain, il sait prendre ses responsabilités et faire face à ses contradictions.
Les personnages secondaires sont touchants dans leurs attentes et leurs espoirs sachant que pour intégrer cet eldorado chimérique ils devront laisser en plus du mince matériel qu'ils leur restent, le spirituel auquel ils sont profondément attachés : leurs langues, leurs chants, leurs traditions, leurs convictions et surement leurs illusions.
Un roman instructif et émouvant.