Il serait sans doute juste de considérer les poèmes et les chansons comme les deux faces d’une seule et même expression poétique qui passe par la force des mots, par leur musicalité et leur pouvoir d’évocation. Le chanteur déclare qu’il chante « afin de communiquer de façon plus directe et plus juste mes sentiments à un plus vaste public et d’une manière plus dramatique ». De même que les chansons sont adressées au public de façon presque individuelle, le langage poétique redouble ce mouvement : il est comme une flèche décochée vers une cible.
L’art demeure ancré à cette situation initiale : les auditeurs peuvent encore reconnaître que « la source d’où vient la chanson est une situation de vie ou de mort ». Toutefois, cette reconnaissance n’est pas du même type que celle qu’apporterait, par exemple, la relation de ce même événement dans un bulletin de nouvelles. La manipulation artistique est passée par là. De cet événement tenu à distance, l’artiste a su extraire quelque chose d’essentiel et de significatif. Et surtout, il a su faire passer ces composantes palpitantes par une sorte d’alchimie, sans les détruire, de façon à les faire ressentir avec plus de profondeur encore autant aux auditeurs du récit qu’aux témoins de l’action.
La vie est ce qu’elle est, sans pourquoi. Il faut prendre conscience de ce fait et l’accepter : il n’y a pas d’issue, pas d’échappatoire (no exit). La seule « consolation », si on veut s’exprimer dans ce langage, est d’accepter qu’il n’y a pas de « consolation » et que les criquets chantent au clair de lune. La vie n’est pas affaire de consolation : elle est ce qu’elle est, elle est à vivre. La seule attitude humaine digne est d’embrasser cette condition et de passer son chemin.
Je pense qu’une bonne chanson existe à la fois selon des proportions très modestes et selon des proportions himalayennes. Je veux dire : c’est un accompagnement qui vous permet de passer à travers la corvée de la vaisselle. Elle vous donne une bande-son pour faire la cour aussi bien que pour la solitude. Voilà la partie modeste. Puis il y a un élément dans la chanson qui apporte un profond réconfort, une consolation profonde et une stimulation de l’imagination et du courage.
L’œuvre d’art, par son essence même, résiste de toutes ses forces à la systématisation. Il reste donc au commentateur à ouvrir et à déplier ce qu’il y a de très condensé dans les chansons, à établir des liens entre les feuillets, les épaisseurs de ces textes, de façon à leur constituer un contexte. Cela importe si on veut que les valeurs prennent leur vigueur et leur couleur, gardent ou retrouvent leur pertinence, leur force de persuasion et d’entraînement à l’action.