C'est amusant, sans le vouloir, je vous présente coup sur coup, deux romans aux approches assez similaires : utiliser un lieu comme un café pour tenter de corriger sa vie, mais au résultat très différent. Sous la porte qui chuchote n'a pas réussi à me convaincre, je l'ai trouvé long, creux et fastidieux. A l'inverse,
Tant que le café est encore chaud m'a peu à peu surpris et bouleversée.
C'est en préparant ce post que j'ai eu la bonne surprise de retrouver Miyaco
Slocombe à la traduction de ce roman, qui est en fait le premier tome d'une saga de 3, si on peut dire, où
le café du temps retrouvé et Before your memory fades feront suite. Appréciant beaucoup la traductrice, je ne suis pas surprise d'avoir aimé les mots de ce roman.
Je dis roman, mais est-ce vraiment un roman ?
Tant que le café est encore chaud est en fait l'adaptation d'une mise en scène théâtrale sous forme romanesque, ou plutôt si on veut être précis de fix-up, c'est-à-dire de nouvelles se déroulant dans le même univers, celui du café Funiculi Funicula. Cette influence du théâtre est très présente à la lecture et participe de la singularité qui m'a tant plu dans l'oeuvre. Je sentais vraiment vivre et s'animer ce lieu que l'on fréquente souvent l'air de rien, avec une familiarité détachée, sans s'en rendre compte. L'histoire se déroulant au Japon, cela me rappelait en plus ces cafés, lieux de vie si importants, de certains de mes mangas préférés autrefois : le Cat's Eye chez
Hojo, le café des parents de
Minami dans Touch, le bar d'Akemi dans Juliette je t'aime / Maison Ikkoku. C'était un gimmick clé dans les années 80 qui s'est un peu perdu ensuite malheureusement. Mais ici, j'ai retrouvé ce sentiment.
Le Funiculi Funicula est en plus un lieu singulier autour duquel tout va s'articuler. Un article dans la presse prétend qu'il permet de voyager dans le temps si on se soumet à certaines conditions. Il n'en faut pas plus à plusieurs japonais à l'âme en peine pour y entrer et tenter leur chance. J'avais peur au début de quelque chose d'artificiel ou de maladroit, car les voyages dans le temps, c'est toujours délicat. Mais l'utilisation faite par
Toshikazu Kawaguchi est parfaitement habile et permet d'éviter les écueils du genre, je salue, la prouesse. de plus, au fil des histoires qu'il va nous conter et des personnes qu'il va nous faire croiser, l'émotion va l'emporter sur le procédé.
Tant que le café est encore chaud est un titre merveilleusement choisi pour cette version française (je ne sais pas si c'est le cas en japonais), tant il reflète la poésie et l'amertume des sentiments qui vont nous saisir à la lecture. Dans ce premier volume, l'auteur nous propose d'aller à la rencontre de 4 personnages, deux ayant perdu peut-être l'amour de leur vie, l'autre à la recherche de sa soeur et la dernière de sa fille. A chaque fois, l'auteur associe ce prétexte-concept du voyage dans le temps pour nous éclairer de manière douce-amère sur les choix de vie de ses héros ordinaires qui semblent se noyer un peu dans leur quotidien. C'est à chaque fois très émouvant, car il nous fait pénétrer dans l'intimité de leur âme, de leur corps, de leur couple. Avec peu de mots, peu de phrases, il cerne et capture l'essence de leur être et du "problème" qui les a amené là : une peur d'ouvrir son coeur, la maladie, le deuil, les regrets, l'envie de ne pas avoir de regret. Tout se tient et tisse d'un chapitre à l'autre une toile à la beauté fragile et poignante, aussi fine que les parois de papier des maisons japonaises et aussi joliment décorée et émouvante que les tissus de leurs yukatas traditionnels.
Là où j'avais trouvé T.J.Klune très lisse et consensuel au final dans Sous la porte qui chuchote,
Toshikazu Kawaguchi avec sa sensibilité toute japonaise est allé droit à mon coeur et a su profondément le toucher avec ces histoires simples, presque banales, car elles pourraient nous arriver. le fantastique est en plus parfaitement dosé avec un fantôme rappelant celui des romans gothiques anglais mais avec une touche moderne et le voyage dans le temps évite à merveille les écueils du genre grâce aux conditions imaginées. Tout est donc parfaitement pensé et réfléchit pour tisser la plus merveilleuse et émouvante des toiles, que je serai ravie de continuer à découvrir dans les prochains volumes.
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