Ce tome fait suite à
Divinity (2015, réalisé par les mêmes auteurs) qu'il vaut mieux avoir lu avant pour comprendre qui est Abram Adams. Il comprend les 4 épisodes de la minisérie, initialement parus en 2016, écrit par
Matt Kindt, dessinés par
Trevor Hairsine, et encrés par
Ryan Winn, avec une mise en couleurs réalisée par
David Baron. Les couvertures ont été réalisées par Jelena Kevic-Djurdjevic.
Il y a de cela des années, en URSS (Union des républiques socialistes soviétiques), une jeune adolescente vient d'attraper un rat dans les rues enneigées de Moscou. Affamée, elle s'apprête à le manger cru. Elle est abordée par un homme chaudement vêtu qui lui propose un lit et un repas chaud, en la surnommant Petite souris (Myshka). 8 ans plus tard, Valentina Volov est une cosmonaute qui a participé à un projet top secret, avec 2 autres cosmonautes Kazmir et Abram Adams. Au cours de cette première mission, ce dernier a été exposé à une substance inconnue dans l'espace et est retourné sur Terre par ses propres moyens où il a atterri en Australie. Sur la planète où s'est écrasé leur vaisseau, Volkov cherche comment retourner sur Terre sans s'exposer à cette substance, alors que Kazmir est blessé. Elle se souvient de sa jeunesse après avoir été adoptée par le docteur et sa femme.
Valentina Volkov a été bien traitée par le docteur, et a aidé ce couple dont la femme était alitée, en allant faire la queue pour le rationnement. Elle passait parfois devant un individu assis à même sur le trottoir et vendant quelques colifichets dont un beau collier. Puis elle s'est lancée dans le programme d'entraînement chapeauté par le docteur (son père adoptif) pour devenir un cosmonaute. Les autres élèves masculins ont vite appris, à leurs dépens, à la laisser tranquille. Les responsables de ce programme lui faisaient une totale confiance, et elle leur rendait bien en testant la résolution de ses collègues de manière officieuse. de retour au présent, elle comprend qu'il ne lui reste pas d'autre issue que de s'exposer également à la substance mystérieuse, puis de concevoir comment utiliser la capsule de sauvetage endommagée pour essayer de regagner la Terre, avec une conscience aigüe qu'il n'y a qu'une seule place, et qu'il manque une source de carburant.
Avec le premier tome,
Matt Kindt &
Trevor Hairsine avaient introduit un nouveau personnage dans l'univers partagé Valiant, un être tout puissant méritant son qualificatif de divinité. Ils avaient montré à quel point les autres superhéros (les membres de l'équipe Uniy) étaient dépassés et pas au niveau. L'affrontement était devenu plus psychologique que physique et la résolution reposait sur l'histoire personnelle d'Abram Adams. le lecteur s'attend donc à une répétition du schéma narratif, avec un des 2 autres cosmonautes. C'est effectivement ce qui se produit. Il découvre la trajectoire de vie de Valentina Volkov évoquée à grand trait, mais avec assez d'épaisseur pour lui donner une personnalité propre.
Matt Kindt dresse le portrait d'une personne ayant dû se débrouiller seule à un âge encore tendre, une jeune femme reconnaissante de la chance qui lui est donnée de participer à un programme d'entraînement de haut niveau, un individu qui a conscience de ce que lui apporte l'état de son pays. En quelques pages,
Matt Kindt réussit à faire exister une personne convaincue des bienfaits du système dont elle a été la bénéficiaire. Elle n'en devient pas une fanatique pour autant, mais elle le défend dans la mesure de ses moyens. Il n'y a pas de discours anti-communiste primaire, pas de jugement de valeur partisan, juste une histoire individuelle. Les dessins de
Trevor Hairsine restent dans un registre descriptif et réaliste, sans dramatisation artificielle, avec assez d'éléments visuels pour donner corps à ces moments, à commencer par la file d'attente de citoyens munis de leur ticket de rationnement, sur le trottoir dans le froid. La reconstitution historique reste assez mince, mais assez précise dans les cases concernées pour être plausible.
Lorsqu'il regarde Valentina Volkov s'entraîner dans le gymnase de l'institut, le lecteur voit un programme rigoureux et intensif, mais ni sadique, ni exagéré. Pour ces moments bien identifiés dans le temps, l'artiste sait trouver le détail qui leur donne la consistance nécessaire. Il sait reproduire l'apparence de
Joseph Staline en 1939, de
Mikhail Gorbatchev en 1986, ou encore de Vladimir Poutine en 2016. Cette approche graphique donne une accroche solide aux prémices du récit et participe à rendre les années de formation de Volkov, plausibles et réalistes. Hairsine & Winn reprennent la forme des combinaisons des cosmonautes qu'ils avaient conçues pour le premier tome, ainsi que l'apparence de cette planète à la faune extraterrestre, et aux couleurs bizarres, avec un beau travail de
David Baron pour montrer cette ambiance lumineuse. Au fur et à mesure de la progression du récit, l'artiste est amené à représenter Valentina Volkov en train d'utiliser ses pouvoirs. Il reprend là aussi les gestes utilisés par Abram Adams dans le tome un, ainsi la manifestation visuelle de l'énergie qu'il manipule. Ainsi, il ne fait de doute aux yeux du lecteur qu'Abram et Valentina ont été transformés par la même source.
Pour autant, le lecteur n'éprouve pas la sensation de lire une simple variation sur le schéma établi dans le tome 1. Pour commencer, la personnalité et les motivations de Valentina Volkov sont fondamentalement différentes de celle d'Abram Adams. Ensuite,
Trevor Hairsine imagine des mises en page spécifiques pour chaque séquence, sans reproduire celles du tome 1, sans se rendre hommage à lui-même. le lecteur s'en rend compte à plusieurs reprises, d'abord avec l'utilisation régulière de cases panoramiques de la largeur de la page, dans lesquelles Hairsine intègre des informations visuelles dans leur largeur, ne se contentant pas d'une tête en train de parler au milieu. Lorsque Abram et Valentina effectuent un jogging matinal dans la neige (épisode 1) l'artiste utilise ces cases panoramiques pour montrer leur progression l'un à la suite de l'autre, et il sait intégrer des cases plus petites pour indiquer un dialogue, avec une mise en couleurs très organiques pour évoquer la neige. En ouverture de l'épisode 2, il met en scène un affrontement entre Ninjak et
Divinity (Valentina Volkov), toujours sur la base de cases panoramiques, avec un plan de prise de vue sophistiqué pour une narration qui semble couler de source. À la fin du même épisode, il utilise des cases de la hauteur de la page, pour accompagner un mouvement vertical avec un à-propos graphique des plus époustouflants. Il réutilise des cases de la hauteur de la page dans une séquence de course-poursuite à travers plusieurs époques dans l'épisode 3, avec un résultat tout aussi efficace. Enfin, il met en scène un affrontement physique qui se déroule sur la deuxième moitié de l'épisode 3, et la première de l'épisode 4, dans une suite de chocs, le combat se déplaçant au fur et à mesure, pour un spectacle varié et divertissement, illustrant bien le conflit idéologique et émotionnel qui oppose simultanément les 2 combattants.
Les dessins sont en phase avec le déroulement du récit de
Matt Kindt qui reprend lui aussi les prémices du premier tome, tout en les développant dans une autre direction. le lecteur retrouve le même événement déclencheur, avec le même principe actif qui transforme la deuxième cosmonaute, cette dernière étant guidée par une motivation très différente d'Abram Adams. Ainsi l'intrigue découle de la personnalité de Valentina Volkov, et de son histoire personnelle. de ce fait, ce tome 2 ne peut pas être réduit à une simple variation sur le schéma narratif du tome 1.
Matt Kindt (citoyen des États-Unis) se tient à l'écart d'une critique primaire du régime communiste. L'équipe de superhéros Unity est dépêché par le MI5, donc les anglais et pas les américains. L'individu permettant d'obtenir la victoire finale n'est pas non plus américain. le lecteur se demande ce que Valentina Volkov va faire de ses pouvoirs illimités en puissance, mais à l'usage limité par sa personnalité et ses objectifs. le scénariste intègre une dimension politique du fait que Volkov a fait l'expérience des aspects bénéfiques du régime politique de son pays. Au cours du récit, Kindt évoque rapidement une horreur engendrée par d'autres régimes politiques, comme les manifestations de la Place Tian'anmen (1989), les actes de sabotage sur les champs de puits de pétrole en Arabie Saoudite, les échauffourées le long de la frontière entre la Californie et le Mexique. Son propos n'est pas de réaliser une analyse politique à charge, mais de montrer qu'il n'existe pas de régime politique sans défaut, sans exaction commise à l'encontre d'une autre population ou d'une partie de sa propre population.
Au travers de ce deuxième volet,
Matt Kindt se lance également dans une dialectique ambitieuse sur la place sur Terre, d'un individu doté d'un pouvoir qui fait de lui une divinité. Valentina Volkov se retrouve donc face à un autre individu doté de pouvoirs et capable de lui tenir tête. L'affrontement physique devient alors l'expression matérielle d'un affrontement plus philosophique qu'idéologique. L'interventionnisme de Valentina Volkov est remis en question au regard de la nature de l'humanité. L'auteur interroge la figure du héros puissant salvateur, imposant un ordre des choses issu de ses convictions. Au travers de cette fiction, Valentina Volkov incarne un individu dirigiste ayant la capacité de s'imposer comme chef de l'humanité et de mettre en pratique un changement réel et significatif. Elle devient l'incarnation d'un homme politique à poigne, volontariste et habité par une envie de bien faire, imposant sa solution à l'ensemble de l'humanité. le lecteur peut y voir une critique de l'image du meneur politique dépeint comme un héros par les médias, de l'individu qui va rétablir un ordre (moral ou policier) plus strict et qui va mener la nation (ou ici l'humanité) vers un avenir meilleur, par la contrainte s'il le faut. À sa manière, l'auteur se livre à une déconstruction de la notion de héros montrant en quoi cette forme de pouvoir ne correspond pas (ou peut-être plus) aux peuples.
Alors qu'il s'attend à une simple variation sur le schéma narratif du premier tome, le lecteur a la bonne surprise de voir que
Trevor Hairsine,
Ryan Winn et
David Baron créent des pages en fonction des séquences à mettre en images, sans reproduire mécaniquement ce qui a bien marché dans la première minisérie.
Matt Kindt utilise les conventions et les stéréotypes des récits de superhéros au premier degré (à commencer par les affrontements physiques et l'utilisation de superpouvoirs pyrotechniques), tout en racontant l'histoire d'une jeune femme avec des convictions personnelles issue de son histoire, et en questionnant avec sensibilité la figure du héros tout puissant et salvateur.