Unity, tome 6 : The War-Monger

Ce tome fait suite à Homefront (épisodes 15 à 18) qu'il n'est pas nécessaire d'avoir lu avant. Il contient les épisodes 19 à 22, initialement publiés en 2015, tous écrits par Matt Kindt, qui forment une histoire complète. Les scènes se déroulant au temps présent sont dessinées et encrées par Jefte Palo, dans les épisodes 1 à 3. Les scènes du passé sont dessinées par Jose Luis, avec l'aide d'Alisson Rodriguez pour les 4 épisodes, Sandra Ribeiro pour les épisodes 19 & 20, Livesay pour l'épisode 20, et Glauber Matos, Wayne Faucher, Alejandro Sicat et Ryan Winn pour l'épisode 22. La mise en couleurs des 4 épisodes a été réalisée par Andrew Dalhouse.

Une jeune femme à la dégaine un peu punk est assise sur un canapé luxueux, dans un énorme salon avec une belle baie vitrée. Elle s'adresse à un personnage qui n'apparaît pas sur la page. Elle explique que son existence a commencé aux environs de -1900, et qu'on l'a dit fille d'un démon. Dès son plus jeune âge, sa simple présence a incité les hommes à guerroyer les uns contre les autres, une tribu contre l'autre, elle-même n'hésitant pas à mettre la main à la pâte, en frappant sauvagement un guerrier adulte avec une massue rudimentaire. Ayant ainsi battu le chef du clan, elle s'est retrouvé à leur tête et les envoyés guerroyer contre le clan voisin.

Quelques siècles plus tard, War-Monger (la belliciste) s'est retrouvée à affronter un groupe de personnages sortant de l'ordinaire. Kwain était un chevalier en armure ayant accompli l'exploit d'occire un dragon (un extraterrestre débarquant de son vaisseau spatial) et ayant récupéré son épée alimentée par une source d'énergie incompréhensible. Il retrouvait de temps à autre Blastr, une sorte de sorcier bardé de fioles de produits chimiques, ainsi que Marinette, une forme d'esprit surnaturel. Ces 3 avaient décidé de s'unir, de former une sorte d'unité (Unity) pour combattre une femme particulièrement belliqueuse dans la région, c'est-à-dire War-Monger. Ce fut la première fois d'une longue série que War-Monger se retrouva à se battre contre une forme ou une autre de l'équipe Unity. Au temps présent, elle raconte cette histoire à Ninjak (Colin King) pour lui expliquer pour quelle raison elle va l'occire.

Dès le premier tome de cette série, Matt Kindt défie les attentes des lecteurs en ce qui concerne une série consacrée à une équipe de superhéros d'un univers partagé. Il fait en sorte de ne pas suivre les schémas habituels de constitution de l'équipe, de missions à effectuer, ou de rivalités entre les différents membres. L'équipe est constituée de 3 membres principaux (Ninjak, Eternal Warrior, et Livewire) qui ne se voient que pour accomplir des missions fixées par le MI6. de temps à autre, ils font équipe avec d'autres héros de l'univers partagé Valiant (Bloodshot ou XO-Manowar par exemple) qu'ils ne revoient pas forcément par la suite. du coup, la seule certitude du lecteur en commençant ce dernier tome écrit par Matt Kindt, est qu'il ne tombera pas sur une mission traditionnelle. Effectivement, il fait connaissance avec cette belliciste qui raconte son histoire et qui laisse Ninjak pour mort à la fin du premier épisode. Comme à son habitude Matt Kindt prend un malin plaisir à montrer les personnages un par un, plutôt qu'agissant en tant qu'équipe. Comme à son habitude également, il joue avec une forme de désordre chronologique, et il présente d'autres versions de l'équipe d'Unity.

En toute logique, la partie graphique est confiée à 2 équipes différentes pour bien marquer la distinction entre le présent, et les autres époques évoquées. Les dessins de Jefte Palo tranchent fortement avec l'esthétisme habituel de la série. Ils sont moins propres sur eux, moins détaillés et moins descriptifs et plus simples en surface. Ce dessinateur détoure les formes avec un trait fin. Il n'arrondit pas les contours, préférant laisser des angles et des contours irréguliers, ne transcrivant pas avec exactitude la morphologie des personnages. Il préfère donner l'impression des endroits, insister sur leur volumétrie, plutôt que rentrer dans le menu détail de chaque aménagement ou des architectures. Il s'en suit une apparence plus brute et plus immédiatement lisible que les séquences du passé, avec une simplification qui évoque une forme d'affrontement un peu exagéré, un peu caricatural. Après avoir terminé sa lecture, donc rétrospectivement, le lecteur peut l'interpréter comme un signe indicateur de ce qui est réellement en train de se passer. En cours de lecture, il peut y voir une expression de la force impossible à arrêter de War-Monger. Malgré la différence d'apparence entre le présent et les différentes époques du passé, cela n'obère pas la qualité de l'immersion. Mais cela y confère un goût différent.

De prime abord, les dessins de Jose Luis et de ses collaborateurs correspondent plus aux attentes du lecteur : plus de détails, plus de textures, plus de réalisme. À la lecture, effectivement, ils s'avèrent très adaptés pour raconter l'histoire de manière naturaliste et pour donner de la consistance à tous les personnages et aux différentes époques. Enfin, le lecteur prend la représentation de la civilisation antique (-1900) plus comme une vision d'artiste que comme un reportage focalisé sur la véracité historique. Il est quand même impossible de résister à ces personnages musculeux, à ces affrontements sauvages et sanglants, à cette enfant brutale et sans pitié. Certes le démon apparait comme un stéréotype, mais ces pages font bien comprendre la nature de War-Monger.

L'évocation d'un moyen-âge assez propre sur lui ne s'avère pas beaucoup plus respectueux de la véracité historique. Par contre Jose Luis (et les autres) s'investit pour le représenter dans le détail, donner du poids à l'armure de Kwain, montrer un laboratoire de savant fou bien fourni pour Blastr, et donner une apparence surnaturelle inquiétante à Marinette. le lecteur voit bien que les personnages évoluent dans une reconstitution d'opérette, mais il est tout aussi évident que ce spectacle a disposé d'un budget conséquent pour les décors et les costumes : le spectacle est assuré. Ils n'ont pas lésiné non plus sur les effets spéciaux. du coup, le lecteur peut prendre plaisir à ces reconstitutions assez précises pour être consistantes et convaincantes, et conçues de telle sorte à servir la dimension aventure du scénario. La bibliothèque personnelle de Doyle laisse rêveur quant à sa praticité. le lecteur est certain qu'il ne peut en aucun cas s'agir de tomes accumulés par un lecteur avide, et d'ailleurs les reliures dans les étagères semblent toutes factices. Par contre, le volume de la pièce fait rêver, et la culotte de War Monger (bien mise en évidence par le fait qu'elle soit suspendue la tête en bas) fait sourire. le récit effectue ainsi des sauts en 1900, en 1951, en 1972, à différents endroits. En fonction de ses inclinations, le lecteur apprécie plutôt certains endroits que d'autres, il semble en tout cas impossible de résister à la réunion d'huiles dans le jardin d'un pavillon de banlieue aux États-Unis en 1950.

Enfin c'est l'équipe de Jose Luis qui s'occupe de dessiner le dernier épisode, celui de l'affrontement. Prévenant vis-à-vis de son dessinateur, Matt Kindt a situé le combat dans un désert, puis au-dessus de l'océan pour que les décors ne soient pas trop chronophages à dessiner. Mais il y a aussi une réelle logique à ce que les affrontements se déroulent à l'écart de tout centre de population, pour éviter les dommages collatéraux. Andrew Dalhouse effectue un très bon travail de mise en couleurs, à la fois à la base de camaïeux pour habiller les cieux et les flots, à la fois à base d'effets spéciaux pour rendre compte de l'usage des superpouvoirs. Jose Luis et ses 5 encreurs effectuent un travail professionnel de placement des personnages et de distribution de torgnoles pour rendre compte de la stratégie de l'affrontement.

De son côté, Matt Kindt s'amuse comme un petit fou avec les codes narratifs des aventures de superhéros. Certes l'équipe actuelle d'Unity (avec quelques renforts) est bien au rendez-vous du combat final. Mais entretemps, le scénariste s'amuse à introduire pas moins de 4 autres équipes différentes d'Unity à différentes époques, avec des superhéros différents, et il rajoute une équipe dénommée Shademen pour faire bonne mesure. Il joue avec le temps, non pas en racontant son histoire en remontant vers le passé, ou en sautant d'une époque à une autre dans un savant désordre chronologique, mais en montrant les combats successifs de War Monger contre les versions d'Unity, dans l'ordre chronologique. Non seulement, il s'agit d'un dispositif ludique, mais en plus le suspense est entretenu par le fait qu'elle est en train d'éliminer un par un, à son rythme et selon ses propres termes, les membres de l'équipe actuelle. le lecteur n'entretient pas beaucoup de doute sur le résultat final, chaque membre principal de l'équipe devant regagner sa série régulière en bon état, mais il s'amuse à jouer le jeu d'essayer de deviner la structure du récit, d'anticiper quelle sera la prochaine étape, en vain.

Ce tome est le dernier de l'équipe d'Unity par Matt Kindt, et il continue de s'amuser en imaginant des structures de récit qui s'émancipent de celles habituelles aux équipes de superhéros. Pour ce dernier tome, il raconte une histoire complète, bénéficiant d'un dessinateur qui sort des canons esthétiques habituels des séries Valiant, pour des planches plus vivantes à l'apparence plus spontanée, et d'un autre dessinateur (bien aidé par plusieurs encreurs) pour des planches descriptives, denses à souhait dans les scènes du passé. Il introduit un nouvel ennemi pour l'équipe, à la fois ennemi récurrent (même si c'est sa première apparition) et ennemi jetable destiné à ne plus réapparaître par la suite (au moins au temps présent). le récit fourmille d'idées, que ce soit plusieurs itérations de l'équipe Unity dans des époques différentes à des endroits du globe différents, ou des méthodes pour vaincre cette ennemie immortelle à chaque fois renouvelées. le lecteur prend un grand plaisir à ce récit inventif, léger, et ludique.