🪁Chronique🪁
Où commence la route vers la perdition?
Je ne crois pas qu'il y est une ligne de départ. Ou alors elle est tellement loin, dans le temps et dans l'espace, que ce n'est plus qu'une illusion. Ta naissance, Damon, n'est pas un commencement mais un lent cheminement de circonstances et d'évolutions qui t'ont jeté là, sur les planches de ce Mobil-home, avec les dés de la malchance. Certes, tu vas te battre, essayer de combattre coûte que coûte, ce déterminisme social, mais Damon, tout a été pensé pour que tu ne t'en sorte pas. Tout a été truqué de long en large et en travers, pour que tu te noies dans une baignoire ou un océan plus ou moins démoniaque. le naufrage n'était pas une question de fait, mais de temps. Et pourtant, tu en as eu des noms pour tromper le sort, de Démon à Diamant, mais rien n'y a fait. Ce fut un acharnement continu. Sans doute est-ce la terre, le sang, ou ton étoile mais la perdition était annoncée avant même ton envie de vivre. C'est ainsi. Et dieu sait que tu en avais l'envie, de vivre. A pousser toi-même les portes, à foncer droit devant, a déjouer les eaux stagnantes de la pauvreté, tu t'élanceras vers les cieux, comme un jet puissant. Mais étant un Déplorable, qu'est-ce que ça va bien pouvoir changer pour ton salut?
La morale de cette histoire, c'est qu'on connaît
jamais la taille de la blessure que les gens ont dans le coeur, ni ce à quoi ça peut les mener, quand l'occasion se présente.
Je pense à toi Demon Copperhead, dans le jour déclinant. A ce que tu as dû endurer. Personne n'a le droit de souffrir autant. Plus je te lisais, plus je m'attachais, tu penses bien. Tu es un garçon extraordinaire, plein de ressources, de qualités diverses, et j'aime tellement te voir découvrir la vie avec ta sensibilité à fleur de peau. Dis-moi comment j'aurai pu faire autrement que de me passionner pour ta franchise et tes aventures? Comment ne pas voir ton potentiel inouï, et le don qui t'es propre? Mais plus, j'avançais dans ces pages, plus mon coeur se déchirait. Je sais que le quotidien d'un enfant placé, est difficile. Mais ma peine n'a fait que grandir, me submerger. A force je n'y arrivais plus. Je ne pouvais pas te laisser, mais mon hypersensibilité ne gérait plus le raz-de-marée. On n'a pas cessé de tuer ton innocence, ta joie, tes perspectives. Tu n'étais qu'un enfant, bordel. Et un enfant n'a pas à se confronter à la violence, à la drogue, à la faim. Cette indifférence de tous, m'a anéantie. Personne ne voyait, personne ne faisait rien, personne ne te protégeait. Que ce soit les figures parentales, les services sociaux, le corps médical, personne n'a bougé le petit doigt. Tout le monde a laissé faire. Ce n'est même pas qu'une histoire de pèquenauds, mon cher Demon, c'est le Mal qui a agit à tes dépens. le mal comme le décrit Einstein, celui par lequel il peut proliférer puisque il y en a qui l'observe sans rien faire. Ce n'est pas toi, le déplorable, c'est eux. C'est cela qui est déplorable. Ce qui m'est vite devenu insupportable, c'est leurs déplorables inactions…
Certains appellent ça addiction. D'autres disent amour. Où est la frontière?
J'aime beaucoup ces deux A, qui foutent bien de dégâts dans nos vies. Et on peut dire que la vie, encore, ne t'a pas gâté, Diamant. Elles t'ont toutes les deux tenues par la main, et t'ont emmené bien loin. Il n'y a pas de frontière qui tienne, face à ces deux-là! Elles t'ont jeté dans le gouffre, et tu ne t'ai même pas beaucoup débattu, faut dire, avec tes yeux de jeune premier. Diamant, l'amour et l'addiction se sont ligués contre toi. Pour le meilleur et pour le pire. Mais il faut bien que tu comprennes encore une fois, que ce n'est pas qu'une affaire personnelle, ce n'est pas qu'une blessure transgenerationnelle, non. C'est une plaie systémique. le pus de la société américaine qui s'est gangrené dans le marasme et le silence, mais que
Barbara Kingsolver remonte à la surface, avec une grande lucidité et fait resurgir de ses profondeurs infernales. La crise des opioïdes ronge les États-Unis, mais elle ne sera pas la seule, évidemment. Et ce roman social, magistral, nous offre un panorama bien sombre des douleurs visibles et invisibles qui ravagent, inexorablement, la population et, surtout, les plus démunis…
Quels mots est-ce que je peux bien écrire ici pour que les yeux voient et croient?
Pour moi, c'est bien suffisant, Barbara. Pour moi, c'est un chef-d'oeuvre que tu nous offres là. J'ai tout vu et je te crois, quand tu me parles d'inégalités, de mépris, de tragédies. Je vois bien l'effet miroir avec Dickens, et je crois en ton talent. Je vois tout de la beauté que tu as mis en Demon Copperhead, et je crois que ce personnage va traverser le temps, survivre à l'oubli comme son homologue. Quels mots, je pourrais mettre de plus, que exceptionnel. Fulgurant. Magnifique. Bouleversant. Puissant. Coup de coeur phénoménal. Quels yeux le verront, et qui me croira quand je dis, que c'est sans doute, le meilleur livre de l'année, de la décennie, du siècle? Je vais faire voler tout ça sur un cerf-volant en espérant qu'il atteigne l'autrice…
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