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sur 165 notes

Critiques filtrées sur 5 étoiles  
De l'extra-ordinaire à partir de l'ordinaire…

C'est avec beaucoup d'attachement et de tendresse pour l'auteur norvégien Karl Ove Knausgaard que je viens de terminer le deuxième tome de son autobiographie titanesque, intitulée non sans une certaine ironie Mon Combat.
Les mille et une variations sur l'amour, sa survenue en coup de foudre pour Linda, jeune femme d'une très grande fragilité, ses débuts balbutiants et idylliques, son acmé en une explosion enchanteresse, l'arrivée des enfants fruits de cet amour, puis son délitement d'abord progressif, puis violent, font suite aux variations sur la mort, en l'occurrence la mort de son père, dans le premier tome.
Combat de l'auteur adolescent face à un père d'une autre époque puis combat du deuil à mener à la mort de celui-ci dans le premier tome. Combat de l'écriture, ici dans ce second opus, au milieu des couches, des poussettes, des crises, nombreuses, avec Linda, des amis qui l'ennuient avec lesquels il faut composer, de la voisine alcoolique qui ne supporte aucun bruit, de ce quotidien absurde que seuls l'art et la nature permettent d'illuminer, que seule l'écriture permet de transcender.

« Quand j'étais avec les autres, je me sentais lié à eux, incroyablement proche d'eux et mon empathie pour eux était profonde. Si profonde même que leur bien-être passait toujours avant le mien. Je me soumettais à eux jusqu'à l'effacement et, par un mécanisme interne que je ne contrôlais pas, je faisais passer leurs réflexions et leurs opinions, quelles qu'elles soient, avant les miennes. Mais dès que j'étais seul, les autres ne signifiaient plus rien. Non pas que je ne les appréciais pas ou les avais en horreur, au contraire, j'aimais la plupart d'entre eux et ceux que je n'aimais pas vraiment, je leur trouvais toujours une qualité qui me plaisait ou du moins que je trouvais intéressante et qui pouvait m'occuper l'esprit dans l'instant. Mais les aimer ne voulait pas dire que je m'intéressais à eux. C'étaient les contingences sociales qui me liaient, pas les gens. Entre les deux, il n'y avait rien. Soit j'étais dans l'étroitesse de l'effacement, soit dans l'ampleur de la distanciation. Or la vie quotidienne se jouait entre les deux. Peut-être était-ce pour ça que j'avais tant de difficultés à la vivre. La vie quotidienne, avec son lot de devoirs et d'habitudes, je l'endurais. Mais elle ne me réjouissait pas, je n'y voyais aucun intérêt et elle ne me rendait pas heureux. Ce n'était pas le manque d'envie de laver par terre ou de changer les couches mais quelque chose de plus profond que j'avais toujours ressenti : l'impossibilité d'y voir une quelconque valeur doublée d'une profonde aspiration à autre chose. Si bien que la vie que je menais n'était pas la mienne. J'essayais de la faire mienne, c'était mon combat, je le voulais vraiment, mais en vain, car mon envie d'autre chose vidait tout ce que je faisais de son contenu.»

L'amour est donc au centre de ce deuxième opus mais aussi son combat pour écrire, tiraillé entre son engagement familial prenant (trois enfants arrivent très vite dans ce couple à la relation compliquée dès le départ) et son besoin vital de solitude et de liberté, également son regard très caustique de Norvégien sur la Suède, mais aussi les émotions complexes induites par la paternité depuis l'émerveillement, l'adoration en passant par la fierté mais aussi l'agacement, le tout analysé à travers le prisme du quotidien le plus prosaïque (je sais à présent ce qu'aime cuisiner Karl Ove, ce qu'il aime boire, notamment ce thé noir avec une goutte de lait de très bon matin, sa première cigarette dans la petite cour lorsque le soleil se lève…) quotidien qui le dispute aux nombreuses réflexions philosophiques, métaphysiques les plus profondes, brillante construction digressive qui avait fait le sel du premier tome et que nous retrouvons ici de façon encore plus présente, je trouve, donnant une belle profondeur à ce livre.

L'articulation de la pensée sur des sujets aussi variés que l'amour, la peinture, la famille, ses difficultés avec la parentalité, les connaissances et les amis, la littérature, les différences culturelles entre son pays d'origine et la Suède, fait de de récit éminemment personnel et intime une histoire universelle dans laquelle nous nous retrouvons, confusément, en lumineuses réminiscences ou troublantes hontes. J'ai fait miennes ses odes à la nature, à la littérature, à la vie, miennes ses pensées inavouables pourtant avouées avec une franchise déconcertante. Je me disais parfois « oui j'ai déjà éprouvé cela », pensée enfouie, cachée sur laquelle l'auteur pose des mots, extériorise.
Ce livre est riche de références musicales, de peintures, de photos et de références littéraires. Il nous parle par exemple avec passion du langage de Paul Célan dans ses poésies, de la couleur dans les peintures de Georges Braques et de David Hockney, de la couleur de la neige dans celles de Claude Monet, de l'idéal chrétien dans les livres de Dostoïevski…et lui-même, en tant qu'amateur de peinture, ne cesse d'avoir le regard du peintre sur les couleurs, de nombreux tableaux ne cessent d'émerger de cette lecture notamment lorsque l'auteur décrit la nature.

« Quelques rares pommes pendaient encore aux deux pommiers en contrebas du sentier. Leur surface, ridée et couverte de taches noires, avait gardé ses couleurs rouge et vert assombries, atténuées, qui semblaient avoir grandi en elles, en même temps que les branches nues et noires qui les entouraient, les renforçaient. Quand on les voyait se détacher sur la forêt incolore, elles chatoyaient littéralement. En revanche, quand on les voyait sur fond de cabanons rouges, leurs teintes s'estompaient, se voyaient à peine ».

Knausgaard touche également d'un doigt délicat les aspects métaphysiques de l'existence. C'est moins un nihilisme qui anime l'auteur qu'une croyance absolue aux éléments naturels dont les cycles se déroulent au-delà de nous.
« Les étoiles clignotent au-dessus de nos rêves, le soleil brille, l'herbe croît et la terre, oui, la terre, elle engloutit toute vie en effaçant la moindre trace et elle recrache de la vie toute neuve en une cascade de membres et d'yeux, de feuilles et d'ongles, de paille et de queues, de peau, de fourrure, d'écorce et d'entrailles, pour les engloutir de nouveau. Et ce que nous ne comprenons jamais vraiment ou ne voulons pas comprendre, c'est que ça se passe au-delà de nous, que nous ne sommes pas partie prenante, que nous sommes seulement ce qui vit et meurt, aussi aveuglément que les vagues de l'océan ».

Le livre ne manque cependant pas d'humour, j'ai parfois explosé de rire en imaginant la tête de Karl ove lors du cours de rythmique postnatale secouer des maracas, en l'imaginant animateur contraint d'une crèche parentale une semaine durant, ou en poussant son landau dans les rues de Stockholm, rongeant son frein, comme atteint dans sa virilité.
Son regard de Norvégien sur la Suède est également savoureux. le côté réactionnaire, lisse, froid et distant de ce pays est décrit de façon réjouissante. Je n'aurais pas cru qu'il y avait tant de différences culturelles entre la Norvège et la Suède, ces deux pays scandinaves. On sent à quel point il ne trouve pas sa place dans ce pays, sorte de grain de sable bien rustre, brut de décoffrage, personnage plein de crevasses et d'aspérités dans cette société bien huilée. Et, surtout, monter des meubles Ikea le rend littéralement fou.


Ce qui est étonnant et troublant c'est d'imaginer l'auteur, de le voir comme si nous étions avec lui et qu'il nous parlait. J'avais vraiment le sentiment d'être à ses côtés, de l'écouter en prenant un verre avec lui. Sans doute que sa plume au style direct, franc, spontané, sans fioritures ni circonvolutions, sans compromis, sans idéalisme participe à cette proximité. Son visage charismatique aussi, son regard profond, assez médiatisé depuis l'obtention de plusieurs prix, notamment le prix Brage qui met à l'honneur chaque année la nouvelle littérature norvégienne, sans oublier en 2017, le tome "Aux confins du monde" sacré meilleur livre de l'année par le magazine Lire. L'auteur a également obtenu le Prix Médicis essai 2020 pour "Fin de combat". Et comme pour le premier tome, cette proximité participe au fait de ne pouvoir lâcher le livre, totalement immergée dans l'intimité de l'écrivain. Certes l'auteur ne parle que de lui, il y a indéniablement un côté narcissique que certains lecteurs ont pu trouver gênants, voire malsains, ce d'autant plus qu'il nomme précisément absolument toutes les personnes, n'embellit pas, n'enveloppe jamais son récit d'aucune fiction, mais j'ai eu le même sentiment que pour le premier tome, le fait que de cette histoire très intime il parvient à effleurer l'indicible et à faire émerger l'universel.

Je finis donc sous le charme alors que j'avais commencé ma lecture avec la crainte d'être déçue après le coup de coeur éprouvé pour le tome précédent, souvent perçu comme le meilleur de l'hexalogie. Ce livre m'a donné des clés sur ma vision d'être avec les autres, moi qui suis également assez solitaire, voire sauvage par moment, il m'a fait sourire, m'a troublée par moment tant je comprenais ce que ressentait l'auteur, m'a choquée à d'autres tant il frise la misanthropie et la mauvaise foi. Il m'a donné envie de découvrir plus en détail certains auteurs et certains peintres, il m'a invité imperceptiblement à plonger en moi-même, à reconsidérer mon quotidien, mes désirs, mes aspirations, ma propre liberté. Un livre somme, un livre monde. Un livre profondément humain.

« C'était la vie rêvée. Se lever à six heures, prendre une tartine au petit-déjeuner, une cigarette et un café sur le pas de la porte que le soleil commençait à chauffer et d'où on voyait le pré et la lisière de la forêt, aller à bicyclette à la gare avec dans mon sac à dos les sandwichs qu'Ingrid m'avait préparés, lire dans le train, monter au bureau et écrire, rentrer vers six heures en traversant la forêt comme saturée de couleurs sous le soleil, et reprendre la bicyclette à travers champs jusqu'à la petite maison où ils m'attendaient pour le dîner, et le soir peut-être faire un plongeon dans l'eau avec Linda, rester dehors à lire un peu et se coucher de bonne heure ».

Oui, voilà…Tout simplement…vibrations de connivence d'une lectrice amoureuse d'un auteur « brut de décoffrage » à la sincérité désarmante placé dans une lutte, perpétuelle, entre ce qu'il aimerait être dans l'idéal et celui qu'il est...


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Je me demande bien pourquoi ce texte exerce une telle fascination sur moi !
Le moins que je puisse dire c'est que l'auteur a du talent pour raconter sa vie aussi banale que monotone.
Karl Ove Knausgaart tombe amoureux, se marie, fait des enfants, les élève tout en essayant de terminer et de faire publier son premier roman.
Homme au foyer, il nous décrit ses journée avec minutie, aucun détail ne nous est épargné, ni les goûters d'enfant, ni les dîners entre amis pas même les relations avec le voisinage ou sa belle-famille.

Il ne se passe rien d'original. Sous la plume de n'importe quel autre écrivain, j'aurais depuis longtemps jeté le livre à travers les murs.
Mais l'écriture de KOK où plutôt celle du traducteur m'enveloppe d'une sorte de calme et de sérénité.
Impossible cependant de lire ce livre d'une traite, je le prends en lis une cinquantaine de pages, l'abandonne quelques jours pour mieux y revenir, comme aimantée par cette drôle d'histoire.
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Une claque .
Il m'arrive rarement de terminer un livre ou de voir un film , en me disant que je suis différent apres cette expérience , c'est le cas içi.
Je ne suis point trop adepte des autobiographies en general , ce sont souvent des produits mercantiles a l'intérêt littéraire proche du néant , tel le livre sur Ibrahimovich ou celui de Patrick Sebastien .
J'ai abordé celui ci suite à une émission sur France Culture , où il etait questiôn du traitement de la vie privée dans la litterature .
Car oui , içi le lecteur est en présence d'une oeuvre clairement ancrée dans la litterature .
Tout d'abord , je voudrais dire un mot sur le principe de cette oeuvre .
En effet , l'auteur propose içi de le suivre dans sa vie de tout les jours , d'être le témoin privilégié des évolutions de sa vie , de celle de sa famille , au quotidien ...
Vous me direz , quel manque de pudeur , et je vous réponds qu'il faut le lire avant de dire cela .
Knausgaard détruit tout les préjugés hâtifs , car au fond , c'est notre vie qu'il expose , la vie lambda qu'il décris avec une abscence de pathos plus qu appréciable .
On peut se demander si sa démarche n'est pas au fond une prise de conscience de la complexité de l'existence quotidienne , qu'il interroge avec un souci de réalisme constant .
On trouve içi beaucoup de philosophie , qu'il tire de ces expériences , de ces rapports avec ceux qui constituent son univers , ainsi on peut retirer de ces expériences un enseignement personnel conséquent .
Ce livre , cette oeuvre , est unique , pour ma part je n'ai jamais lu de textes de ce type , même si Herzog de Bellow s'en rapproche quelque peu , etant quand même traite de maniere romanesque .
L'expérience qui est celle du lecteur devant cet opus est riche d'enseignements , on y apprends entre autre qu'il ne faut pas forcément une intrigue avec des morts violentes , du sang , des psychopathes , pour parvenir à un texte tout simplement captivant , addictif...
Le style est d'une beauté à tomber par terre ...
J'aime les textes riches sur le plan lexical , qui questionnent le lecteur , qui demandent parfois au lecteur de reprendre à deux reprises la lecture d'une page , afin de ne point laisser une idée cachée ...
Et la , la , c'est le bonheur ...
Depuis Arden je n'avais pas eu un texte aussi profond , riche , intelligent , c'est une jubilation , une extase cérébrale ...
On finis exsangue , comble de satisfaction cérébrale ...
Il y a des livres à ne pas manquer dans une vie , celui ci occupe une place essentielle dans mon cheminement intellectuel , et je le conseil absolument !!!
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Je vous laisse deviner quel mot m'a échappé des lèvres lorsque, en tournant la première page d'Un homme amoureux, je me suis aperçue qu'il s'agissait d'un tome 2 … Mais heureusement, il se lit très bien sans le tome 1.
Alors que le premier volet était donc consacré à la mort du père de Karl Ove et à son deuil, le deuxième tome, lui, s'attache à ses amours, sa vie de famille et son travail d'écrivain.

Le récit offre le regard d'un homme qui se sent prisonnier d'un quotidien qui l'étouffe, d'un homme tiraillé entre son souci de bien faire, de respecter les exigences sociales bien qu'il ait le conformisme en horreur et son envie d'écrire. L'écriture est, pour lui, au même titre que boire, manger et respirer, un besoin vital, un besoin que les obligations de la vie quotidienne viennent contrecarrer. Une vie quotidienne subie plus que vécue d'où ne ressortent que l'ennui, la frustration et l'insatisfaction :

« La vie quotidienne, avec son lot de devoirs et d'habitudes, je l'endurais. Mais elle ne me réjouissais pas, je n'y voyais aucun intérêt et elle ne me rendait pas heureux. Ce n'était pas le manque d'envie de laver par terre ou de changer les couches mais quelque chose de plus profond que j'avais toujours ressenti : l'impossibilité d'y voir une quelconque valeur doublée d'une profonde aspiration à autre chose. Si bien que la vie que je menais n'était pas la mienne. J'essayais de la faire mienne, c'était mon combat, je le voulais vraiment, mais en vain, car mon envie d'autre chose vidait tout ce que je faisais de son contenu. »

De longs passages sont consacrés à son introspection, à la recherche des raisons qui pourraient expliquer son incapacité à trouver l'épanouissement . Il explore plusieurs pistes : nostalgie d'un temps révolu, responsabilité d'une époque dont les valeurs se perdent. C'est l'occasion de quelques mots loin des propos consensuels qu'on entend partout sur le sentiment d'émasculation des hommes dans une société de plus en plus féminisée :

« Je n'ai pas été assez prévoyant et j'ai dû suivre les règles du jeu en vigueur. Et dans le milieu socio-culturel auquel nous appartenions, ça signifiait qu'on assumait tous les deux le même rôle, celui autrefois attribué aux femmes. J'étais lié à lui comme Ulysse à son mât : je pouvais certes m'en délivrer mais pas sans perdre tout ce que j'avais. Et je déambulais, moderne et féminisé, dans les rues de Stockholm, alors qu'en moi bouillait l'homme du dix-neuvième siècle. »

Auteur emblématique du nihilisme, ce n'est pas pour rien si, au cours du récit, on retrouve Karl Ove en pleine lecture de Dostoïevski ou si le nom de l'auteur revient à plusieurs reprises.
Dans une existence qui lui semble vide de sens et dans laquelle toute relation sociale semble forcée et artificielle, Karl Ove voit le conformisme comme seul moyen de faire vivre ensemble des personnes qui n'y aspirent pas par nature.

« Et pourquoi crois-tu que la normalité soit si enviable, si ce n'est pour cette raison ? C'est le seul terrain sur lequel on est sûr de pouvoir se rencontrer. Mais même là, on ne se rencontre pas forcément. »

De là, sa tendance à se plier aux normes sociales tout en les rejetant et les critiquant et tout en cherchant désespérément un bonheur qu'il croit interdit ou impossible à atteindre. Karl Ove est un homme à fleur de peau en manque d'estime de soi et qui cherche à se rassurer au point qu'il en devient contradictoire entre ce qu'il pense et ce qu'il fait. Il est par exemple très soucieux de l'image qu'il renvoie dans les médias tout en essayant de s'en distancier et de ne pas y accorder d'importance. Ses relations avec les journalistes et sa façon de gérer ses obligations d'écrivain sont révélatrices de cet état.

Karl Ove va très loin dans l'introspection et la réflexion. Son souci de la justesse et de la précision s'exprime jusque dans les moindres détails, le moindre geste même le plus banal comme se servir un café, le moindre regard, la moindre pensée sont retranscrits. Certains pourront trouver le tout lourd et ennuyeux. Moi j'ai trouvé ça incroyable. Etre complètement immergée dans la vie de Karl Ove, l'accompagner de si près. Bien que je n'ai pas toujours été d'accord avec certaines de ses idées que j'ai jugées trop rétrogrades, je me suis sentie très proche de cet homme touchant dans son honnêteté. Pour un homme qui semble avoir autant de mal à se confier, il aura trouver dans l'écriture de ce cycle un moyen de se livrer complètement, à nu, au regard des autres. C'est troublant au point qu'une fois le livre achevé, on a l'impression de se séparer d'un ami de longue date.

Certains événements de la vie de Karl Ove l'ont beaucoup marqué, il en ressort des scènes « coup de poing » exprimant de manière poignante la souffrance lorsque Linda le rejette la première fois, ou encore l'impuissance lorsqu'elle accouche ( passage magnifique) où l'on ressent bien le besoin de l'auteur de créer un effet libérateur et cathartique. Sa façon de parler de sa relation avec Linda, le passage d'un état passionnel destructeur au mépris le plus profond est brillamment décrit.

Le style est celui d'un écrivain qui ne cherche pas à faire beau. Il ne veut rien d'artificiel. Karl Ove écrit sans fioriture, pour lui la littérature se sublime dans la liberté de ton, dans l'écriture spontanée et s'inscrit surtout dans la réalité. Karl Ove ne veut rien inventer :

« Je ne pouvais pas écrire de cette façon, ce n'était pas possible, à chaque phrase je me disais : tu ne fais qu'inventer. Ça n'a aucune valeur. Ce qui est inventé n'a aucune valeur[…] La seule forme qui eût encore de la valeur à mes yeux, qui eût du sens, c'était les journaux personnels et les essais, autrement dit ce qui dans la littérature ne produisait pas des histoires, ne racontait rien et se contentait d'être une voix, la voix de la personnalité propre, une vie, un visage, un regard que l'on peut croiser. Qu'est-ce qu'une oeuvre d'art sinon le regard d'un autre être humain ? […]
Arrivé là, j'étais au pied du mur. Si la fiction était sans valeur alors le monde l'était aussi car c'était au travers de la fiction qu'on le voyait aujourd'hui. »

Ce qui ne l'empêche pas de construire son récit de manière cyclique baladant son lecteur dans son passé et ses souvenirs. Mais le texte est fait d'un seul bloc, sans chapitres, dans un seul souffle. Ce texte, c'est la vie dans toute sa complexité, des sentiments qu'on ne contrôle et ne s'explique pas, des événements subis, des réflexions, interrogations existentielles.

J'aurais encore tant à dire tellement ce livre est dense, profond, intense. Je ne crois pas exagéré en affirmant qu'il doit être un des plus beaux écrits qui existent sur notre époque. Je lirai assurément le tome 1 et les autres qui, j'espère, ne tarderont pas trop à être publiés.

Un très grand merci à Dana et aux éditions Denoël pour cette merveilleuse découverte.

Lien : http://cherrylivres.blogspot..
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Un journaliste se tourne vers Karl Ove Knausgaard et lui demande « Et vous, qui êtes-vous ? Je ne sais rien de vous.» L'écrivain hausse les épaules, reste silencieux puis répond : « Je ne sais pas. Je suis quelqu'un d'ordinaire, c'est tout. » Quelqu'un d'ordinaire, oui, mais qui vient de se lancer dans une entreprise autobiographique de plus de six mille pages.

De l'anodin, du quotidien, du superflu, voici ce que contient le récit d'une vie ordinaire. le caprice d'un enfant, une liste de courses, les fâcheries d'un conjoint, un conflit de voisinage, des instants d'une existence qui pourrait être la vôtre. Et pourtant, ça marche. Si je suis parfois agacé par un Emmanuel Carrère qui ramène tout à lui, le récit de Knausgaard lui m'intéresse et m'interpelle. Il atteint son objectif, la voie à suivre qui s'est révélée à lui après une représentation de théâtre : « C'était vers l'essentiel, le coeur même de l'existence humaine que j'allais tendre.»

Du vrai, du brut, un récit simple sans effet de style ni artifice, tout en spontanéité. Knausgaard se dévoile avec sincérité dans une démarche semblable à celle de Montaigne qui aurait souhaité se peindre nu et entier dans ses Essais et qui déclare en préambule de son chef d'oeuvre : « Je veux qu'on m'y voye en ma façon simple, naturelle et ordinaire, sans estude et artifice : car c'est moy que je peins. » Knausgaard avoue être le spécialiste de l'à-peu-près, mal connaître les grandes théories philosophiques. Un journaliste admire sa bibliothèque, il lui déclare que de nombreux livres n'ont jamais été ouverts. Il admet sa lâcheté face à la violence, son conformisme, sa peur des conflits. Pour le railler, son meilleur ami lui dit qu'il a fait carrière en racontant à quel point il est nul. A trop en dire, il peut se montrer indélicat comme lorsqu'il raconte comment il a découvert l'alcoolisme de sa belle-mère. Mais cette mise à nu est pertinente car elle permet au lecteur de s'identifier, de voir en Knausgaard un autre « moi-même ».

« Un homme amoureux » c'est celui qui connaît les instants de bonheur d'une passion naissante ou de l'arrivée d'un enfant et leurs contreparties : l'étouffement d'une relation trop entière et le poids des tâches domestiques. C'est cet homme qui veut être un bon père mais qui se reproche son impatience et ses colères contre ses enfants et qui rêve de solitude pour lire et écrire.

Kar Ove Knausgaard est rongé par le doute et parle de sa difficulté d'être au monde, il a le sentiment de vivre une vie qui n'est pas la sienne. le néant et la mort l'angoissent. Knausgaard touche à l'universalité en combinant les bribes de vie et des questions existentielles Pourquoi un bonheur si fugace alors que nous sommes entourés par la beauté du monde et des arts ? Comment s'épanouir pleinement dans une existence plombée par le vide des obligations quotidiennes ? "Mon combat" est une oeuvre littéraire imparfaite mais qui parvient à aller au coeur même de l'existence humaine.
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Deuxième livre que je lis de Karl Ove Knausgaard. Après avoir dévoré La mort d'un père, j'ai eu envie d'enchainer tout de suite par Un homme amoureux, livre 2 de sa série intitulée Mon combat (rien à voir avec Adolf). Ce que j'ai trouvé ici, je ne l'ai jamais lu ailleurs. Karl Ove raconte sa vie sans autre filtre qu'une poésie finement distillée. Son amour du verbe est sans chichi. Il évoque ses doutes, ses combats, ses ambitions, ses désespoirs, ses amours et descend dans les profondeurs, là où parfois, nous ne voulons pas aller. Il nous donne beaucoup et, peu à peu, nos vies se raccordent à la sienne, des fils se tendent, et nous aident à comprendre nos émotions complexes et nos paradoxes face à la vie, à l'amour, à l'amitié, à l'ambition... Je lirai tous les autres livres de cet auteur.
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En plus d'un livre sur le délitement du couple, c'est aussi le regard d'un Norvégien sur la Suède. Et c'est là où c'est le plus réjouissant, où on sent l'humour assez savoureux de Knausgard. J'étais allée en Suède moi-même dans ma jeunesse, et même si j'avais beaucoup aimé, il y avait un côté lisse, froid et distant qui avait fini par m'étouffer. Et on pourrait croire que deux pays si proches que la Norvège et la Suède se ressembleraient, mais culturellement, et aussi au niveau de la langue, ça a l'air aussi différent que si un Français allait vivre au Québec ou l'inverse ; on sent qu'il est vu comme un rustre, un grain dans la mécanique d'une société bien huilée, et lui, au contraire les voit comme des bénis oui oui qui parlent de politique comme on parle de météo. Et même si c'est une part minime du conflit qui l'oppose à sa femme, on sent que ça ne peut qu'accroitre une sensation (et en même temps un besoin) de solitude.

Si le roman se concentre sur la relation entre lui et Linda, des débuts idylliques à l'inévitable besoin de dé-fusion, il suit aussi la même construction que le premier tome, une construction digressive, qui lui permet d'articuler sa pensée sur des sujets aussi variés que le couple, la famille, la littérature, la sainteté, la modernité, … Et ce que j'aime bien avec Knausgaard, c'est sa manière de parler de l'art dans tous les domaines, une manière qui pourrait faire name dropping et être agaçante mais qui donne vraiment envie de lire Dostoïevski, Hölderlin, de se renseigner sur la peinture et la photographie (art qui ne m'atteint pas vraiment habituellement). Il nous pousse à être curieux, ou plutôt, sa propre curiosité et soif de savoirs est contagieuse. Par rapport à la question sur la trahison en littérature, deux choses : d'une, celle du lecteur, car lors de son long dialogue avec son ami Geir dans un bar vers la fin du livre, conversation qui prend plusieurs pages, eh bien, même si je ne doute pas qu'elle s'est produite, je la trouve trop bien reproduite justement. Je me demande comment elle peut avoir été inscrite à la virgule près dans sa mémoire, et d'un côté elle a quelque chose de quasiment cinématographique. Autre point, sa femme bien sûr. Car en plus de mettre en lumière ses défauts, il parle aussi de sa maladie, ainsi que ce qu'elle-même dit de sa maladie, et forcément, on est mal à l'aise. D'un autre côté, c'est moins que ce que j'avais imaginé, et on sent aussi la tendresse, l'amour profond qui les lient l'un à l'autre.

Je sais que ma chronique est moins détaillée que d'habitude, c'est parce que je vais faire une vidéo plus complète sur l'auteur d'ici la fin du mois, je vous mettrai le lien : « Karl Ove Knausgaard, Écrire, c'est trahir ? »

Lien : https://www.youtube.com/watch?v=HfSR836i_hE&t=1368s

Lien : https://www.youtube.com/watc..
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700 pages à se regarder le nombril disent certains et alors ! ...... j'ai lu avec plaisir.
Car il ne s'agit pas de se regarder le nombril mais regarder le nombril de tout le monde et d'observer tout ce qui se passent autour de nous.
Comment peut on raconter une simple ballade avec cette précision qui est propre à Karl Ove, la personne croisée pendant quelques secondes nous est décrite avec une précision si chirurgicale qu'on la voit, elle est devant nous et elle nous inspire à nous aussi des sentiments.
La cigarette est décrite avec tant de détails qu'on la sent au bout de nos doigts, on voit la fumée s'échapper et rejoindre l'air environnant. Les paysages défilent devant nos yeux, nous ne les devinons pas non, nous y sommes.
C'est la magie de cette histoire qui n'en est pas une vraiment ... ici pas de suspens, pas d'action comme on peut le rechercher, c'est juste l'histoire de la vie d'un homme ordinaire qui nous fait partager à la fois son quotidien dans ce qu'il a de plus simple, se promener, faire ses courses, s'occuper de ses enfants, et ses réflexions les plus intellectuelles et les plus développées qui peuvent interrompre ce qu'il est en train de faire.
Une anecdote de lecture parmi d'autres.... les pages s'enchaînent, une heure déjà quand je relève la tête, je ne suis pas à Stockholm mais à Aucaleuc, la mer n'est pas là, les gens qui m'entourent parlent une langue que je comprends et pas un mélange de suédois et de norvégien, aucun enfant n'est prêt à naître, je n'ai pas comme voisine la russe du dessous qui allume la musique à fond, non moi c'est juste les poules de petit Louis qui se déchaînent et fêtent l'arrivée d'un oeuf.
C'est une lecture dense qui vous envoûte complètement et qui fait que la simple interruption par un commentaire anodin de votre compagnon a pour effet de vous surprendre.... vous n'étiez pas là, vous étiez parti tenir compagnie à Karl Ove !
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Karl Ove Knausgaard est né en Norvège et vit aujourd'hui en Suède. C'est un écrivain reconnu pour son cycle de romans – Mon combat. Un homme amoureux est le tome 2 du cycle qui narre le quotidien de l'auteur. le livre est une autobiographie romanesque.
Le narrateur est en couple, lui et sa femme, Linda, ont trois enfants : Vanja, Heidi et John. le lecteur suit la famille, en vacances, chez des amis des enfants, dans la rue…. Tout est minutieusement nommé pour mieux comprendre les situations, faire éclore les assertions du narrateur, comprendre la complexité dans le couple quand l'accord pour une décision ne se fait pas, la distance qui s'immisce entre eux insidieusement, le rôle de l'éducation. Mais en regardant, en observant la société, l'auteur donne aussi son point de vue sur les différences entre la Norvège et la Suède, l'évolution des paysages ces dernières années, les villes aujourd'hui toutes identiques qui n'ont plus leur marque locale. En tant qu'écrivain, il nous livre la « clarté froide et nette » qu'il ressentait en écrivant, l'émergence des mots en lui qui lui donnait chaque jour une grande joie.
Le narrateur parle à la première personne et décrit son quotidien avec de fines descriptions dans le détail qui donnent un présent plus intense dans la lecture. le quotidien est l'occasion pour lui d'aborder des thèmes : la vie conjugale, les enfants, la vie de couple. Qu'engendre l'arrivée d'enfants dans une vie de couple ? Pourquoi l'accord des premières années ne se fait plus ? Comment trouver sa liberté dans un quotidien chronophage ? Comment partager son temps entre vie personnelle et vie professionnelle ?
Il y a aussi de nombreuses références littéraires dans le livre qui viennent ponctuer le récit. Ces références sont souvent une réflexion sur une oeuvre, un parallèle sur une situation vécue, sur l'acte créateur, sur le rôle de la littérature, l'impact sur le lecteur, sur les caractéristiques d'une oeuvre, une critique. Ses lectures sont des moments d'arrêt sur image du quotidien car « l'essentiel pour moi était qu'elle s'endorme pour que je puisse lire ». Dostoievski, Stendhal, Tolstoï, Rimbaud, il y a toujours un moment dans le quotidien où chacun d'eux viennent interrompre le moment.
L'écrivain est un observateur de la vie.
A lire !
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Voici le tome 2 de l'oeuvre phénomène norvégienne intitulée "Mon combat". Cette fresque autobiographique composée de six volumes a eu un succès retentissant en Norvège, certains criant au scandale, d'autres au roman culte. Toujours est-il que l'auteur a été récompensé par le prix Brage qui est le Goncourt Norvégien pour le premier tome. Et que les deux premiers volumes sont traduits en français. Un succès qui dépasse même l'auteur, qui s'est mis une partie de sa famille à dos dans la mesure où il dit tout de sa vie, avec l'objectif d'écrire une autobiographie la plus sincère possible.

J'ai commencé par ce second volume intitulé "Un homme amoureux" qui peut tout à fait se lire indépendamment et avant le premier tome. Ces presque 800 pages m'ont subjuguée, et c'est d'autant plus étonnant qu'il n'y a rien de palpitant dans cette histoire "banale" d'un homme qui tombe amoureux, se marie, fait des enfants, tout en essayant de publier son premier roman, en vivant de ses traductions, pendant que sa femme étudie. Une vie conjugale et familiale identique à celle de beaucoup d'autres, et c'est sans doute aussi pour cela qu'il fait sens et résonance.

L'histoire démarre alors que Karl Ove Knausgaard souffre de problème de poids -il pèse plus de cent kilos- auquel il essaie de remédier en s'adonnant au jogging. Il quitte la Norvège et un mariage raté pour venir s'installer dans un pays qu'il déteste, à savoir la Suède. Il va y rencontrer Linda, qui va devenir sa compagne et la mère de ses enfants. Nous assistons à leur coup de foudre, aux premiers jours de la passion amoureuse, à l'usure du quotidien, à la naissance des enfants, à son rôle de père. Tout est brossé de façon minutieuse: il consacre par exemple 50 pages à un goûter d'enfants, raconte les diners entre amis, le premier accouchement, les relations de voisinage, la paternité, la belle-famille, les 60 ans de sa mère, les soirées festives, émaillant son récit de nombreuses anecdotes.

Mais sa vie est aussi portée par une passion : l'écriture. Il cherche plus que tout des moments pour écrire, ce qui n'est pas toujours facile quand on a une vie de famille bien chargée et un semblant de vie sociale à assumer.

J'ai adoré ce roman que j'ai trouvé tout à fait passionnant, et qui parle aussi très bien de littérature, avec notamment des références à Dostoïevski. Malgré sa longueur et un récit qui n'est autre que l'histoire d'une vie ordinaire identique à celle de beaucoup d'autres, ce livre m'a emportée et j'ai pris beaucoup de plaisir à le lire. Je l'ai trouvé très bien écrit, n'en déplaise à certains qui ont tendance à dire qu'il est plat, ce avec quoi je ne suis pas du tout d'accord. Je compte d'ailleurs bien lire les six volumes et je viens pour l'heure d'emprunter le tome 1, qui raconte la mort de son père.

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