40 ans après avoir enseigné en Chine,
Guillemette Laferrère a retrouvé le journal et quelques courriers qu'elle avait écrits à l'époque. Après mise en forme, ajout de
notes de bas de pages, rappels historiques, carte et photos (très touchantes), elle nous invite à revivre avec elle cette aventure unique et fascinante.
Peu de Français connaissent la Chine du début des années 80, si différente de ce qu'elle est aujourd'hui. Ils sont encore moins nombreux à connaître la ville de Kunming, située au sud-ouest du pays : à son arrivée, G. Laferrère était en effet la première et seule française à y mettre les pieds depuis des décennies. Par la retranscription de son journal, elle nous plonge donc dans la "Chine profonde", avec force détails, tous utiles pour comprendre le quotidien à cette époque, en ce lieu et sous ce régime, c'est-à-dire à la fois le mode de vie, très normé et très éloigné du nôtre, mais aussi les absurdités des règlements, le poids de la surveillance et de la suspicion continuelles et, plus étonnant encore, l'état d'esprit chinois, inimaginable pour nous et que seules les anecdotes reprises dans le livre permettent de saisir.
On voit aussi le courage d'une jeune femme confrontée aux pénuries, aux restrictions, aux soupçons et qui parvient à intégrer les règles pour gagner un peu de paix voire quelques parenthèses de liberté et à trouver le bon côté de chaque situation.
D'ailleurs l'autrice, très franche sur ses difficultés, nous donne aussi à voir la beauté qui a éclairé son séjour : la beauté de paysages, montagnes, déserts, jungle, fleuves ; celle de temples, de villages épargnés par les destructions des gardes rouges pendant la révolution culturelle ; mais il y a aussi la beauté des rencontres, des regards, des sourires venant briser la grisaille uniforme de sa vie d'enseignante sous surveillance. Cette beauté humaine, elle l'a trouvée dans des amitiés, discrètes par obligation, mais profondes, avec un collègue, une secrétaire, ou encore un vieux poète alcoolique. Cela a aussi pu prendre la forme de brèves complicités, avec des compagnons de voyage, des membres de minorités peuplant des coins reculés, qui lui ont offert de partager un repas, la chaleur d'une yourte, une fête, la découverte de traditions ressorties de l'oubli après des années d'interdiction...
Qu'il s'agisse des obstacles rencontrés ou de ces parenthèses de bonheur, l'autrice nous permet de prendre la pleine mesure de l'expérience extraordinaire qu'elle a vécue, par ses descriptions précises, vivantes et colorées. de plus, malgré des détails parfois peu ragoûtants ou des épisodes vraiment révoltants, elle sait agrémenter son texte d'une ironie subtile, montrant sa lucidité sur le système qui la contraint et ajoute aussi, de loin en loin, quelques notes de tendresse et de poésie.
Pour toutes ces raisons, ce témoignage unique doit être lu et partagé.