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4,3

sur 1936 notes

Critiques filtrées sur 5 étoiles  
Collection : série d'ouvrages, de publications ayant une unité.

Dans le maelström marketing qu'est un peu (trop) devenu l'édition contemporaine, où le bizarre côtoie parfois l'étrange, il faut rendre hommage et encourager les professionnels qui poursuivent, sans compromis, le principe de collection.

Alina Gurdiel est de ceux-là et sa collection Ma nuit au musée est un enchantement perpétuel, ouvrant à chaque opus un cadre nouveau qui trouve son unité dans le fil conducteur que crée la confrontation d'un auteur avec un lieu, une histoire et – surtout – avec lui-même.

Quand tu écouteras cette chanson de Lola Lafon n'y échappe pas et s'impose en titre majeur de la collection. le déroulé de cette nuit au Musée Anne Franck et les évocations en forme d'échos entre l'Annexe et le célèbre Journal contribuent à rafraîchir ou compléter l'histoire de la jeune martyre.

Mais c'est surtout le cheminement, rapide mais intense, de l'auteure en ces lieux qui a animé ma lecture : appréhension de la bonne approche et respect du lieu et de l'histoire ; puis fulgurances, révélations et libérations de souvenirs et émotions plus ou moins enfouies.

« Mes grands-parents ont survécu en faisant comme si la France avait vraiment été une terre d'accueil. Ils ont fait de l'oubli un savoir. Ils ont prêté allégeance à l'amnésie. »

Comme Jakuta Alikavazovic avant elle au Louvre, c'est vers sa famille, son passé, son propre rapport à sa religion que cette confrontation avec la famille Frank (Anne certes, mais aussi Otto le rescapé ou Margot « évanouie dans l'histoire… celle qui m'indique le chemin ») a emporté Lola Lafon.

Cela donne de très belles pages sur le doute, l'éloge du flou - « Les créatures floues ont pour elles l'espace de la fiction, qui n'aime rien tant que les personnages dont on ne saura jamais tout » - l'engagement ou son absence.

Et puis cette phrase au détour d'une page, brûlante d'actualité, qui nous renvoie à nos faiblesses ou contradictions, et touche juste :

« On ne pourra pas dire qu'on ne savait pas ; on pourra dire qu'on ne savait pas que faire de ce qu'on savait. On pourra dire l'impuissance qui nous saisit, qui nous écrase, plus on sait et moins on peut. Ce dont on est témoin est semblable à une question qui nous serait adressée. Nous pouvons choisir de l'ignorer. »

Oui, cette collection est précieuse.
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Texte fort et beau à la fois, où se mêlent l'histoire d'Anne Frank et l'histoire personnelle et familiale de l'auteure. Il est question d'exil, d'adolescence, de judéité laïque et de beaucoup d'autres choses. Lola Lafon nous apprend que, lors de la première édition, à la fin des années cinquante, les propos du journal d'Anne Frank, ont été atténués, de manière à les rendre supportables. Elle partage avec nous aussi ses doutes sur sa légitimité à écrire sur ce sujet et cette nécessité de l'écriture.

Un très beau texte à découvrir dans ces temps d'intolérance.
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Plaidoyer contre toutes les dictatures

Pour sa contribution à la collection «Ma nuit au musée» Lola Lafon a choisi de passer une nuit en août 2021 dans l'Annexe du musée Anne-Frank, à Amsterdam. Elle y a trouvé bien plus que les traces de la jeune fille.

Avec ce récit poignant, Lola Lafon donne une nouvelle direction à la collection imaginée par Alina Gurdiel. Délaissant les beaux-arts, elle va passer sa «nuit au musée» dans l'Annexe du musée Anne-Frank à Amsterdam. Et ce n'est pas sans une certaine appréhension qu'elle prend place dans ce lieu si chargé d'histoire, de symboles, de silences. On lui a accordé l'autorisation de passer la nuit dans ces murs à condition qu'elle respecte de strictes consignes. Et quand elle sort sa thermos de son sac, elle a déjà mauvaise conscience. Toutefois, le personnel de sécurité, renseigné par les caméras de surveillance, sera indulgent et sans doute un peu désorienté par tous ces va-et-vient dans la cage d'escalier. Car il faut d'abord s'habituer à l'espace, sentir physiquement ce qu'a pu être cette vie recluse dans ce réduit où un petit coin de fenêtre non opacifié permettait d'entrapercevoir le ciel.
Lola Lafon nous rappelle le quotidien de la famille Frank après qu'Otto, le père, ait choisi de se cacher avec sa famille plutôt que de tenter une fuite déjà très risquée. Avec le soutien de ses employés, qui se chargeaient de l'intendance, il espérait pouvoir ainsi assurer la survie des siens. Il sera le seul survivant à revenir des camps, alors même que ses filles le croyaient mort. Margot précédent de quelques jours sa cadette dans ce funeste destin. Ce livre nous permet du reste de mieux connaître l'aînée de la fratrie qui a sans doute aussi tenu un journal dont on a perdu toute trace. C'est après sa convocation devant les autorités en juillet 1942 que la décision a été prise de mettre le plan à exécution, car tout le monde savait le sort qui était réservé aux juifs raflés.
C'est du reste ce qui rapproche les Frank de la famille de Lola Lafon, «un récit troué de silences». Après avoir rappelé que leurs «arbres généalogiques ont été arrachés, brûlés, calcinés», elle explique qu'elles «sont en lambeaux, ces lignées hantées de trop de disparus, dont on ne sait même pas comment ils ont péri. Gazés, brûlés ou jetés, nus, dans un charnier, privés à jamais de sépulture. On ne pourra pas leur rendre hommage. On ne pourra pas clore ce chapitre.» Avant de conclure qu'il «y a ces pays où plus jamais on ne reviendra.»
Voici donc la Anne qui s'installe dans l'Annexe. Après s'être vêtue de plusieurs couches de vêtements, elle «choisit d'emporter ce cahier recouvert d'un tissage rouge et blanc à carreaux et orné d'un petit cadenas argenté, offert par son père» et qui sera soigneusement conservé avant d'être remis à Otto avec toutes les autres feuilles éparses qui avaient pu être rassemblées et qui permettront au survivant de proposer une première version du journal.
Après avoir retracé les péripéties des différentes éditions et traductions, la romancière nous rappelle qu'aucune «édition, dans aucun pays, ne fait mention du travail de réécriture d'Anne Frank elle-même. Le Journal est présenté comme l'oeuvre spontanée d'une adolescente.» En comparant les versions, on se rend cependant très vite compte du travail d'écriture et de la volonté littéraire affichée.
Mais il y a bien pire encore que cet oubli. Aux États-Unis, on travaille à une adaptation cinématographique «optimiste», on envisage même une comédie musicale, achevant ainsi la déconstruction de l'oeuvre.
La seconde partie du livre, la plus intime et la plus personnelle, se fait une fois que la visiteuse à franchi le seuil du réduit où Anne écrivait. Il est plus de deux heures du matin. Si l'émotion est forte pour Lola, c'est qu'elle peut communier avec Anne, car elle sait ce que c'est de vivre sous une dictature. Alors émergent les souvenirs pour l'autrice de la Petite Communiste qui ne souriait jamais. Alors reviennent en mémoire les mots échangés avec Ida Goldmann, sa grand-mère maternelle, la vie en famille dans le Bucarest de Ceausescu et la rencontre avec un Charles Chea, un fils de diplomate qui doit retourner au Cambodge après la prise de pouvoir des khmers rouges et avec lequel elle entretiendra une brève correspondance. C'est cette autre victime d'un système qui broie les individus qui va donner le titre à ce livre bouleversant. Et en faire, au-delà de ce poignant récit, un plaidoyer contre toutes les dictatures. Que Lola Lafon se devait d'écrire, car comme elle l'a avoué au magazine Transfuge «Je crois qu'on finit toujours par écrire ce qu'on ne veut pas écrire – et c'est peut-être même la seule raison pour laquelle on écrit.»

Lien : https://collectiondelivres.w..
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Ce récit est juste magnifique si l'on peut dire, vu le sujet. C'est mon premier livre de la collection Une nuit au musée, et grâce à beaucoup de Babeliamis qui ont publié de beaux billets, je me suis lancée avec enthousiasme dans le récit de l'aventure qu'a vécue Lola Lafon. Elle a choisi de passer la nuit au musée Anne Franck d'Amsterdam en 2021. Ce choix fait sens évidemment, elle nous révèle pudiquement l'histoire de ses ancêtres et compare, avec justesse et respect, sa trajectoire à celle d'Anne Franck. Ses révélations sont bouleversantes, surtout lorsqu'on comprend le choix du titre du livre.

Lola Lafon nous plonge dans l'atmosphère pesante de l'Annexe, les 40 mètres carrés exigus où ont vécu pendant 25 mois d'un confinement extrême, Anne, Margot, Edith et Otto Franck ainsi que quatre autres personnes. Arrêtés par la Gestapo en août 1944, ils seront tous déportés et seul le papa d'Anne reviendra vivant de l'horrifique périple aboutissant à la mort dans les camps de concentration. Un lourd héritage l'attend, car une amie a conservé le journal d'Anne, il lui reviendra de le faire connaître au monde entier : parce que sa fille était déjà promise à un bel avenir d'écrivain ou parce qu'il dénonce le Mal et son absurdité ?

Eh bien…j'ai été ébranlée par le contenu de ce superbe essai et aussi par la légèreté de la plume qui entrelace habilement, quasi spontanément, poésie et oppression. de judicieuses citations, des paroles prononcées par des survivants de la Shoah proches d'Anne Frank et sa famille ou des personnes les ayant côtoyés parsèment le texte de Madame Lafon, et nous touchent en plein coeur.

Un sublime tête à tête entre Anne et Lola, entre l'absence et Lola,tellement bien écrit, tellement immersif, tellement sensible et spontané, que je ne peux que conclure au coup de coeur pour ce récit inoubliable.
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Anne Frank.
Cette jeune fille fut pour nous, l'espace de quelques heures/jours de lecture, une amie et/ou une grande soeur, une enfant... à l'époque où on a lu son 'Journal', selon l'âge que l'on avait.
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Pour écrire ce texte, Lola Lafon a obtenu l'autorisation de passer une nuit à l'Annexe.
A cette occasion, le Directeur du Musée lui a demandé ce que représentait Anne Frank pour elle.
Si le formidable 'Journal' et sa jeune auteure talentueuse nous ont marqué(e), nous aussi - mais peut-il en être autrement ? -, on pose le livre de Lola Lafon en lisant cette question, et on y réfléchit. Au-delà de son talent pour l'écriture, de son intelligence précoce et de son destin tragique, pourquoi l'aime-t-on ? pourquoi sa vie brisée nous intéresse-t-elle autant ? pourquoi ne l'oublie-t-on jamais ?
« [Elle est] un symbole, mais de quoi ? de l'adolescence ? de la Shoah ? de l'écriture ? » (p. 10)
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Lola Lafon a ses propres réponses. Elle a des ancêtres juifs ; le nazisme et la Shoah ont tué des membres de sa famille, détruit les survivants, profondément affecté les générations suivantes. Toutes deux ont aussi en commun l'expérience de l'exil, de l'absence, du corps en souffrance, et cette passion de l'écriture.
Elle confronte sa propre histoire à celle d'Anne Frank, évoque ses pudeurs à son égard, rappelle comment certains se sont approprié ce "personnage" et son histoire, les ont sacralisés ou réécrits à leur guise. Elle nous dévoile également des anecdotes (face à mon enthousiasme pour le 'Journal', mon prof de français de 1ère m'avait parlé du stylo à bille qui laissait entendre que... - pauvre c**, j'ai failli douter, mais maintenant je sais pourquoi !).
Lola Lafon évoque également son intérêt pour les parcours de jeunes filles. Ses ouvrages 'Chavirer', 'Mercy Mary Patty', notamment, en témoignent.
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La fin de l'ouvrage m'a bouleversée, avec l'apparition d'un personnage qui a laissé une autre absence béante dans la vie de Lola Lafon.
Si quelqu'un veut m'expliquer (discrètement, en message PRIVÉ) ce que signifie la chanson dont il est question - chut, ne pas spoiler - ? Merci. J'ai beau avoir la traduction en VF, je ne saisis pas.
J*d!th (Br**klyn... de Babelio) m'apprend à l'instant qu'un animateur TV balourd s'est cru malin en la faisant écouter à l'auteure lors d'une interview, alors qu'elle a écrit :
« Mais je ne parviens pas à écouter cette chanson sans penser à toi alors je n'écoute pas cette chanson. » (p. 243)
Mec Trapenard, tu es un mufle ; c'est minable pour l'écrivain et ses lecteurs...
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M3rde, ce billet est aussi pataud que la plume de Lola Lafon est subtile.
Faites-vous votre avis en lisant ce texte délicat et touchant, que j'ai reçu comme un hommage à Anne Frank, qui "m'accompagne" depuis plus de quarante ans.
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Je remercie Pascale qui m'a relancée sur cette auteure.
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Pour son ouvrage à paraître dans la collection « Ma nuit au musée », Lola Lafon choisit le musée Anne Frank sans bien savoir pourquoi (« Je ne peux pas avouer […] que je ne sais pas ce qu'elle [Anne Frank] est pour moi, mais je dois écrire ce récit »). Ce musée est constitué par l'Annexe, cette cachette exiguë dans laquelle Anne Frank et sa famille, plus quatre personnes, vécurent pendant 25 mois, soit plus de 750 jours, et où la jeune fille écrivit son célèbre Journal, avant de connaître le destin que l'on sait.

« Mes nuits sont celles d'un imposteur sur le point d'être démasqué. Je rêve qu'on me fait passer un examen auquel j'échoue, je rêve qu'on me refuse l'entrée du Musée.
La date du départ approche et mon anxiété se mue en doute, puis en certitude : je ne suis pas celle qui devrait écrire ce livre. Comment pourrais-je écrire ce que j'évite avec tant de constance ? »

Comment (d)écrire l'indescriptible, la peur d'une mort qui rôde, comment transcrire la vérité de cette jeune écrivaine et de son journal (si retouché et remodelé par la suite dans ses multiples éditions), de celle qui ne devrait pas être vue comme un symbole ni comme une sainte (pour reprendre les mots de Lauren Nussbaum, cette amie de la famille Frank et cette universitaire qui dédia sa vie à l'étude du Journal d'Anne Frank), et pour qui le mot « espoir » est devenu vide de sens, voire absurde ou indécent ?

Lola Lafon nous embarque dans ses pensées sur ce que représente pour elle l'écriture de ce récit sur Anne Frank et sa nuit au musée. Peut-être tout simplement parce que l'image d'Anne Frank lui fait penser à sa propre famille, elle dont la mère a été cachée pendant cette guerre qui a causé beaucoup de trous, d'absences, de vide dans son arbre généalogique, un vide qui sera rapporté à celui de l'Annexe (« Otto Frank qui, lorsqu'il fut question de faire de l'Annexe un musée, en 1960, exigea que l'appartement demeure dans l'état où il l'avait retrouvé. Qu'on en soit témoin, du vide, sans pouvoir s'y soustraire ; qu'on s'y confronte. Voyez ce qui jamais ne sera comblé. Ainsi, en sortant, on ne pourra pas dire : dans l'Annexe, je n'ai rien vu. On dira : dans l'Annexe, il n'y a rien, et ce rien je l'ai vu. »).
D'une certaine façon, Anne Frank et son musée sont la pierre angulaire de beaucoup de sujets qui tiennent au coeur de l'autrice : sa judéité mal assumée voire refoulée, son rapport à l'écriture (de très belles pages sont dédiées aux raisons pour lesquelles on écrit, dans quel objectif), les absents et le rapport à l'absence, aux absents : « Avant de rentrer dans la nuit de ce mois d'août 2021, je ne sais rien, sauf ceci : les fantômes, au contraire du mythe qui voudrait qu'ils nous hantent sans pitié, se tiennent sages. Ils nous espèrent, ils ont tout leur temps, celui que nous n'avons pas. Ils attendent qu'on accepte d'être déroutés. Que nos paupières se dessillent et qu'on devine, au travers du temps, leurs ombres patientes. Alors, on pourra faire face à ceux qu'on dit avoir « perdus ». On les retrouve. ».
Peut-être aussi parce qu'Anne Frank, mais aussi Margot Frank, que Lola Lafon met tout autant à l'honneur, cette soeur dont on parle moins alors qu'elle avait une vie intérieure aussi vive qu'Anne, ressemblent aussi aux jeunes filles qui ont déjà fait l'objet de plusieurs de ses romans, dont Nadia Comaneci, et « qui toutes se confrontent à l'espace qu'on leur autorise ».

J'en reviens à l'absence car ce qui m'a tant touchée dans ce récit, bien sûr c'est l'histoire d'Anne Frank, mais surtout c'est cette tentative d'écrire sur l'absence (« dans le creux que laisse apparaître une empreinte (…), on peut voir que quelqu'un ou quelque chose est passé. La présence de la trace témoigne de l'absence de ce qui l'a formée. Les traces ne donnent pas à voir ce qui est absent, mais plutôt l'absence même ») et sur l'aide que l'écriture représente contre l'oubli (« Peut-être commence-t-on parfois à écrire pour faire suite à ce qu'on a perdu, pour inventer une suite à ce qui n'est plus. Pour dire, comme le petit point rouge sur le plan, que nous sommes ici, vivants. Si la mémoire s'étiole, les mots, eux, restent intacts, ils sont notre géographie du temps »).

Il y a eu beaucoup de très beaux billets sur cet ouvrage fantastique, et je pense comprendre le trouble de Lola Lafon devant sa table en écrivant le mien. Comment faire une critique quand chaque page, chaque phrase est tellement signifiante, tellement lourde de sens, de beauté, d'émotion ?
J'aimerais pouvoir transmettre ces sentiments que j'ai ressentis en lisant cet ouvrage qui vous prend aux tripes par les faits poignants concernant Anne Frank et sa famille, par le destin de son journal qui a si longtemps (et volontairement) mal compris, par le silence qu'on a fait s'abattre sur la Shoah, et par les pensées profondes traduites par l'écriture ciselée et émotionnelle de Lola Lafon. Celle-ci nous explique à la fin en quoi la figure d'Anne Frank et cette nuit à l'Annexe étaient si signifiants, pour elle, pourquoi ce titre, et j'ai eu la gorge nouée devant sa douleur, encore intacte malgré les années, devant cette beauté qui malgré tout se dégage de ces lignes. C'est magnifique de voir combien un texte si personnel peut autant tendre à l'universel.

Un grand coup de coeur pour commencer l'année 2023, et un énorme merci à Lola Lafon pour ce texte incomparable.
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Ce texte a été tellement ( et excellemment ) commenté sur Babelio qu'il est particulièrement difficile de mettre son grain de sel.
Je tente, malgré tout, 2 ou 3 commentaires en essayant d'éviter les redites.
Les livres de Lola Lafon sont d'abord des tentatives pour ajuster autour d'elle, de son corps surtout, un manteau narratif grâce auquel elle s'incarne. Sans celui-ci elle s'empêtre dans "un vêtement trop lâche" ou "montre les saillis de son corps" ou pire encore, disparait et s'enfonce dans le néant. Elle évoque donc des femmes dont la parole a été confisquée, transformée ou trahie : anarchistes, gymnaste roumaine, danseuses.
Anne Frank, dans la déconstruction de l'image que j'avais, que nous avions d'elle, est un hétéronyme de Lola Lafon. Cette déconstruction doit être vécue physiquement par l'autrice.
La nuit au Musée Anne Frank est une occasion magnifique pour évoquer 2 aspects essentiels de la vie de Lola: sa judéité (que j'ignorais) et son anorexie (que je supputais). Elle évoque tout cela avec une délicatesse infinie mais avec le besoin (la nécessité?) de laisser une empreinte, une trace
aussi ténue soit-elle.
Elle avoue ainsi avoir flirté avec la mort pour mieux ressentir la vie en elle. Il faut constamment épouser la pulsion de mort pour faire jaillir à grands jets intermittents la pulsion de vie.
Dans Quand tu écouteras cette chanson j'ai noté des occurrences signifiantes: faille, manque, perte, creux, néant, rien, oubli, béance, effacement, oblitération, mort.
Bon je vous vois froncer les sourcils : on s'en fout un peu de tout ça, le texte est juste magnifique, sa portée est universelle et Lola Lafon est une autrice merveilleuse. Ok, ok.
Mais c'est quand même super plombant...
Elle rode toute la nuit et attend la dernière heure pour s'autoriser à rentrer dans la chambre d'Anne !
Mais entre temps elle a reconstruit la vie et la pensée d'Anne (il y a eu tout un travail préliminaire de rencontres et de prise de notes, de recherches sérieuses et intensives en fait).
Et puis elle pousse la porte.
Et c'est elle, Lola, qu'elle rencontre. Et c'est lumineux...

Lola lafon est une écrivaine qu'on ne risque pas d'oublier.
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Il y a eu tout le battage médiatique qui aurait eu tendance à me faire fuir. Car je me méfie des lancements en grande pompe, du sérail qui encense seulement les siens. Pourtant, j'avais revu mes préventions à entendre Lola Lafon parler de son dernier livre à la radio il y a quelques mois déjà, et m'étais dit que ce serait une lecture intéressante à faire. Quelques critiques d'amis ici m'ont confortée dans cette envie.
C'est rare les livres aussi justes.
Témoignage, pans d'autobiographie, holocauste, Anne Frank. L'addition de tous ces sujets est d'une ambition folle. Pourrait flirter avec le mauvais goût le plus abject. Et non.
Loin du pathos, de la sensiblerie, de la romantisation d'une adolescence idéalisée. Loin des impossibles pleurnicheries d'un je qui n'a pas connu l'horreur et la porte pourtant dans ses veines. C'est un livre digne. Depuis la bonne place.
Dans une économie ramassée et parfaitement conséquente, il prend les allures d'une enquête, d'un documentaire autour du projet de passer une nuit au musée qui abrite l'annexe dans laquelle la famille Frank a vécu cachée pendant plus de deux ans. D'une restitution de ce qui s'y est passé pour eux dans le contexte plus général de la Shoah.
Et c'est ainsi que ce livre peut restituer au mieux la place que prend l'autrice dans cette histoire. Les résonnances qu'entretient la mémoire traumatique avec d'autres drames. le choix de ne pas se vautrer dans une émotion larmoyante et spectaculaire pour restituer au mieux ce que c'est que vivre avec un deuil insondable et déjà éloigné dans le temps.
C'est une parole précise qui dit le parcours d'une pensée. La parole de cette troisième génération pour laquelle la béance est à telle distance qu'elle est à la fois incontournable et impossible à appréhender comme purement sienne. Il s'est passé tant de choses depuis. Tant de choses qui ne se seraient pas produites sans et qui colorent de leur état l'inqualifiable monstruosité de ce qui a été.
Le chapitre consacré à l'écriture m'a beaucoup touchée. « Ecrire n'est pas tout à fait un choix : c'est un aveu d'impuissance. On écrit parce qu'on ne sait par quel autre biais attraper le réel. Vivre, sans l'écriture, me va mal, comme un habit trop lâche dans lequel je m'empêtre. Il faut parfois rétrécir l'espace pour en entendre l'écho. »
Dans ce chapitre, Lola Lafon cite le Mur invisible qu'Anna a chroniqué récemment et qu'il faut que je lise, décidément.
Cerné de toutes parts, ce livre parvient à n'être très exactement que lui-même et c'est admirable.
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Dans le cadre de la collection « Une nuit au musée », Lola Lafon a choisi le musée Anne Frank, à Amsterdam, dans l'Annexe pour être plus précise, sur les lieux où la jeune fille a vécu, en recluse avec sa famille de l'été 42 à l'été 44, avant d'être déportée et être assassinée au camp de Bergen-Belsen. Seul, Otto Frank reviendra de l'enfer des camps.

J'aime beaucoup cette collection « Ma nuit au musée » (j'en ai lu plusieurs) mais celui-ci me tentait encore plus car une nuit au musée Anne Frank qui n'a pas rêvé de visiter cette maison où la jeune fille a écrit son journal, mettre ses pas dans ce qui fut son dernier logement.

Comme tout le monde ou presque, j'ai lu ce journal il y a très, très longtemps et il reste encore présent dans ma mémoire, mais Lola Lafon m'a donné envie de le ressortir, de le relire à la lumière de ce que j'ai appris durant cette nuit.

On se rend compte de l'étroitesse des lieux, de la nécessité de vivre et marcher à pas de loups pour ne pas attirer l'attention, se contenter de peu. Cette expérience doit vraiment marquer profondément la personne qui accepte de vivre de tels instants.

J'ai aimé la manière dont l'auteure hésite à mettre ses pas dans ceux d'Anne, se cachant souvent derrière les citations d'autres auteurs comme si elle ne se donnait pas le droit de parler en son propre nom, comme si elle doutait de sa légitimité pour en parler. Mais tout change lorsqu'elle commence à évoquer la propre histoire de sa famille, les déportations, l'exil…

"Mes grands-parents ont survécu en faisant comme si la France avait vraiment été une terre d'accueil. Ils ont fait de l'oubli un savoir. Ils ont prêté allégeance à l'amnésie…"

La manière dont elle hésite pour entrer dans la chambre d'Anne, comme si elle franchissait un interdit commettait un sacrilège, m'a beaucoup touchée car je me suis demandée si j'aurais osé entrer moi aussi, en étant à sa place ?

Je retiens aussi l'hommage à Laureen Nussbaum, l'une des dernières personnes à avoir bien connu la famille Frank, qui a beaucoup étudié le « Journal »

J'ai appris au passage, qu'Anne Frank avait retouché son journal, après avoir entendu une annonce du ministre de l'Education des Pays-Bas en exil à Londres, qui demandait aux Hollandais de conserver leurs lettres, journaux intimes en vue d'être publiés plus tard, ce que j'ignorais totalement, je pensais vraiment qu'il avait été édité tel quel. de même, j'ai aimé en apprendre davantage sur sa soeur.

Je retiendrai aussi les propos sans concession de l'auteure concernant les négationnistes de tous poils :

"… Mais, si je n'écris pas leurs noms, il me faut dire leur acharnement à effacer Anne Frank. La gamine d'Amsterdam leur est insupportable, dont le récit est la preuve qu'on savait, celle qui nous interdit de prétendre qu'on ne savait pas."

Lola Lafon nous livre une belle réflexion sur l'écriture : pourquoi écrit-on, que cherche-t-on ?

Un grand merci à NetGalley et aux éditions Stock qui m'ont permis de découvrir ce roman et de retrouver la plume de son auteure dont j'ai beaucoup apprécié La Petite Communiste qui ne souriait jamais à sa sortie…

#Quandtuécouterascettechanson #NetGalleyFrance
Lien : https://leslivresdeve.wordpr..
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Grâce aux éditions Stock, via net galley, j'ai eu le plaisir de lire : Quand tu écouteras cette chanson de Lola Lafon.
Résumé
Le 18 août 2021, j'ai passé la nuit au Musée Anne Frank, dans l'Annexe. Anne Frank, que tout le monde connaît tellement qu'il n'en sait pas grand-chose. Comment l'appeler, son célèbre journal, que tous les écoliers ont lu et dont aucun adulte ne se souvient vraiment ? Est-ce un témoignage, un testament, une oeuvre?
Celle d'une jeune fille, qui n'aura pour tout voyage qu'un escalier à monter et à descendre, moins d'une quarantaine de mètres carrés à arpenter, sept cent soixante jours durant.
La nuit, je l'imaginais semblable à un recueillement, à un silence. J'imaginais la nuit propice à accueillir l'absence d'Anne Frank.
Mais je me suis trompée. La nuit s'est habitée, éclairée de reflets; au coeur de l'Annexe, une urgence se tenait tapie encore, à retrouver.
Mon ressenti
Quand tu écouteras cette chanson est l'un des seuls romans de la rentrée littéraire qui me tentait. D'où ma joie quand ce matin les éditions Stock me l'ont envoyés en numérique. En repos aujourd'hui, j'en ai profité pour le lire d'une traite.
Avec ce livre, j'ai découvert la collection "Ma nuit au musée", dont le principe est simple : un auteur ou une autrice passe une nuit dans un musée et nous fait partager son ressenti.
Si j'étais si tenté par ce titre de Lola Lafon, c'est parce que j'aimerais énormément aller un jour visiter l'annexe d'Anne Franck.
En effet, depuis que j'ai découvert la jeune fille quand j'avais 10 ou 11 ans, j'ai lu son journal de nombreuses fois mais aussi de nombreux ouvrages sur elle.
Et puis, comme je l'ai déjà dit, je suis une grande lectrice de romans, témoignages, en rapport avec la seconde guerre mondiale.
Je trouve l'idée qu'une autrice puisse passer une nuit dans ce lieu chargé d'histoire fascinante, j'avais hâte de lire son ressenti.
Lola Lafon est juive, pourtant elle se demande si elle réellement légitime pour écrire sur Anne Franck. Après tout, elle évite autant que possible de regarder ou lire tout ce qui est en rapport avec La Shoah.
J'ai aimé découvrir ses pensées, ses hésitations. Son cheminement est très intéressant.
Même si j'ai l'impression de bien connaitre Anne Franck vu tout ce que j'ai lu la concernant, j'ai appris différentes choses sur elle et sa famille. Notamment sur la publication du journal, sur l'argument de vente des éditeurs..
J'ignorais également que sa soeur Margot avait elle aussi écrit un journal, qui n'a jamais été retrouvé. Cette jeune fille aussi était dans l'annexe, pourtant.. personne ne vient pour elle..
J'ai aimé découvrir comment l'autrice prépare sa visite au musée, notamment avec ses lectures. Elle évoque notamment l'ouvrage de Miep Gies, que j'ai lu il y a quelques années et que j'ai dans ma bibliothèque. Cela m'a donné envie de le relire.
Sa rencontre en Visio avec Laureen Nussbaum, une amie d'enfance de Margot, m'a beaucoup touché.
L'autrice a des réflexions très pertinentes sur l'écriture. Elle partage avec nous quelques souvenirs personnels comme son arrivée en France à l'âge de 12 ans. En effet, elle a auparavant vécu son enfance dans la Roumanie de Nicolae Ceaușescu. A défaut d'avoir des amies à son arrivée en France, elle commence à écrire..
Ses réflexions sur le fait d'être juive sont également très pertinentes.
Et j'ai aussi beaucoup apprécié sa façon de clore son ouvrage.
Quand tu écouteras cette chanson est une très bonne surprise de la rentrée littéraire 2022. J'ai adoré ma lecture, tout m'a plu. Aussi bien l'écriture que le contenu.
J'ai vraiment eu un coup de coeur.
Je mets un énorme cinq étoiles à ce nouveau titre de Lola Lafon, que je vous recommande sans aucune hésitation :)




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