LIBERTÉ, ÉGALITÉ, RÉFÉRENDUM ?
C'est peu de dire qu'une des modalités possibles de la démocratie, d'une démocratie éventuellement plus directe, engage, chaque fois qu'elle est évoquée, des débats houleux, des avis définitifs et contradictoires, des points de vue aussi fermes qu'irréconciliables. Cette pratique, qui est une procédure de vote à l'instar des élections de représentants, mais qui est un vote concernant (pour aller vite) une politique et non des personnes, c'est bien évidemment le RÉFÉRENDUM.
Pour les uns - et avant tout selon la majorité des élites politiques et souvent médiatiques mais aussi chez nombre d'intellectuels - celui-ci serait en quelque sorte un dévoiement de la démocratie, porte ouverte à toutes les dérives. du côté de certains populistes, de démagogues de tous genres, il serait une sorte de panacée, le seul moyen véritable et véridique susceptible de donner la volonté du peuple.
Or, une chose est presque aussi certaine que ces deux visions aussi excessives qu'antagonistes, c'est qu'il existe un nombre dérisoire d'ouvrages - pour ne pas dire aucun dans notre langue - tâchant de faire le tour tout aussi précis que relativement concis de
la question du référendum. C'est désormais chose faite grâce à cet ouvrage au format poche d'une grande lisibilité - permettons-nous de le signaler au passage : ce n'est pas forcément si fréquent en matière d'éditions universitaires, même si les "modes" changent favorablement en ce sens -, édités par «
Les Presses de Sciences Po» sous la plume de la maître de conférences de l'Université de Lille et chercheuse au CEVIPOF, Mme Laurence Morel.
Profitons-en ici pour remercier les Presses de Science Po ainsi que Babelio pour l'envoi de ce très intéressant ouvrage dans le cadre d'une Masse Critique non-fiction.
S'il apparaît assez rapidement que Mme Morel est favorable à l'émergence d'un droit référendaire renforcé dans nos institutions de la Vème République - dont le moins qu'on puisse en dire est que son hyper-présidentialisme, l'amoindrissement régulier des prérogatives de l'Assemblée Nationale et la mise entre parenthèse de l'appel à la souveraineté populaire depuis le NON à la Constitution Européenne du référendum en date de 2005 ont pu donner le sentiment de plus en plus fort d'une séparation des élites d'avec le peuple ainsi que d'une certaine forme de déni de démocratie vraie -, l'autrice en passe d'abord par une longue et captivante typologie des référendums tels qu'ils existent à travers le monde (ainsi trouve-t-elle exemple jusqu'en Kazakhstan afin de trouver exemple d'un type de référendum "hybride") mais en dehors de cette petite escapade, l'essentiel de l'étude est réalisé à partir de ce qui se pratique dans les pays Européens.
Suisse en tête (une véritable "championne" du Référendum, ce qui a pu faire dire que l'Helvétie était presque une démocratie directe parfaite), Laurence Moral n'oublie pas non plus l'histoire particulière du référendum aux USA, nation où il n'existe pas de référendum fédéral mais où ceux-ci sont très présents dans nombres d'états de l'Union ainsi que très fréquents au niveau local (Toute imparfaite soit-elle, la Démocratie américaine est bien plus ouverte à la démocratie directe que la nôtre).
La conférencière essaie ensuite de comprendre ce qui, dans notre histoire nationale, a pu à ce point rendre frileux - pour ne pas dire plus - l'immense majorité du personnel politique d'hier et d'aujourd'hui, de la gauche la plus virulente à la droite la plus conservatrice, à l'égard de ce vote. Pour cela, il faut remonter aux prémices révolutionnaires de la Ière République, à l'usage intensif qu'en fit Louis-Napoléon
Bonaparte (dans un sens essentiellement plébiscitaire et vertical du haut vers le bas), ce qui, en réaction en fit un sujet d'éloignement dans les institutions de la IIIème république, malgré quelques rares voix divergentes, pour être repris avec les fortunes et infortunes que l'on sait par
Charles de Gaulle, instigateur intransigeant de la Vème République, utilisé régulièrement mais avec pondération depuis sa démission, pour être de nouveau mis à l'écart - à l'échelon national - depuis 2005.
La richesse de ce petit livre, au-delà de cette exploration géographique, temporelle et technique très précise de la question référendaire, c'est d'apporter une pierre fondamentale à cette autre question, bien plus cruciale nous semble-t-il : Comment et par quel(s) moyen(s), à l'heure d'un éloignement certain, d'une méfiance presque sensible d'une part chaque année plus importante des citoyens envers les institutions démocratique - au premier chef desquelles les élections -, comment, dans le cadre de cette critique profonde - et sans doute indispensable - du fonctionnement démocratique de notre pays peut-on revitaliser la citoyenneté, rééquilibrer les pouvoirs en place - l'autrice espère rien moins qu'à travers un usage plus régulier, désidéologisé, libéré de ses mauvaises pratiques anciennes, du référendum, le peuple deviennent une sorte de "troisième chambre" à égalité mais pas forcément en concurrence d'avec le législatif et l'exécutif - comment redonner le goût de l'engagement politique aux simples citoyens ?
Elle prend ainsi le temps de répondre à tous les contradicteurs restreignant voire refusant toute utilisation de ce mode de démocratie directe et démontre avec beaucoup d'acuité toute les ambiguïtés - quand ce ne sont purs fantasmes ou lieux communs sans fondements ni étude sérieuse - de ces mêmes critiques.
Ouvrage clair, d'une lecture plutôt aisée et agréable - eu égard à la technicité du sujet - on pourra peut-être reprocher à l'autrice la brièveté de sa conclusion, laquelle examine rien moins que le pourquoi et le commun d'un référendum plus et mieux intégré à notre Vème République. On s'étonnera aussi une certaine frilosité dans les tentatives de solutions pratiques qu'elle invite à engager au plus vite, tandis que l'ensemble de l'ouvrage tendait à penser que Mme Laurence Morel avait une vision plus généreuse de ce que pourrait être un équilibre des pouvoirs plus fort et plus intelligent - au final : plus consensuel et large - qu'il ne l'a jamais été s'agissant de la part de citoyenneté dans celui-ci.
En revanche, il en résulte clairement que si la Démocratie de notre pays - incidemment les élites qui défendent sans vergogne cette manière de pratiquer la "polis" - tient à ne pas s'éloigner encore un peu plus - fatalement et pour le pire ? - de l'attachement et des choix sincères et profonds de son peuple, il est plus que temps d'ouvrir sincèrement les portes à ce dernier (et pas par cette voie douteuse du "R.I.P" qui n'a de référendum que le nom, ou peu s'en faut), et l'intégration de plusieurs types de référendums (enfin débarrassés de leur seule origine verticale, présidentielle et parfois quasi-plébiscitaire), n'en déplaise aux plus sceptiques, en sont fort probablement l'un des meilleurs et plus sûrs vecteurs.