Non non, rien. C'est juste que... Vous voyez, par exemple, une expression comme " sur Paris", "monter sur Paris", ça me hérisse, normalement. Mais avec Chris, même si je la notais ( je ne pouvais pas faire autrement), j'en éprouvais une espèce de satisfaction érotique, comme si nos langues se mêlaient, se mêlaient physiquement en une tendre lutte. Je m'efforçais de parler, plutôt d'écrire comme lui, pour ne pas l'alerter, mais mon désir se fondait sur cette différence et s'en augmentait. Un peu comme on tombe amoureux d'un accent étranger, d'une intonation inconnue. On est touriste, en amour, on cherche l'autre et l'ailleurs, et on les trouve d'abord dans la langue.
Nos profils sont des livres ouverts et nous sommes tous écrivains, inventeurs de fictions. Le monde virtuel est faux et n'est qu'une représentation "commerciale" de soi-même.
Les gens s’en foutent de la vérité. Ce qui compte, c’est ce qu’ils croient.
Mais tout le monde n'est pas prêt à la vérité. Les gens s'en foutent de la vérité. Ce qui compte, c'est ce qu'ils croient. La vérité, ils écrivent par-dessus. Ils la font disparaître à force de fictions, de récits. Ils vivent de ça, de ce qu'ils racontent. Leur vie est un palimpseste. Inutile d'aller voir dessous.
Être aimée, c'est devenir une héroïne. L'amour, c'est un roman que quelqu'un écrit sur vous. Et réciproquement. Il faut que ce soit réciproque, sinon c'est l'enfer. Alors nous, on s'aimait, on s'aimait vraiment, Chris et moi : je vivais dans son imagination, ça c'est sûr, je me sentais vivante dans sa tête. Et il occupait mes pensées.
L'indifférence est un autre genre de burqa - je vous choque? -une autre façon pour les hommes de disposer seuls du désir. Une façon de fermer les yeux. On a servi, on ne sert plus. Hier fantasmes, aujourd'hui fantôme. Vous trouvez ça déplacé, comme comparaison? Mais je suis déplacée, ici, de toute façon. Ici ou ailleurs.
C'est mystérieux, le désir. On veut de l'autre quelque chose qu'on n'a pas ou qu'on n'a plus.
...les hommes mûrissent les femmes vieillissent c'est beau un homme la nuit une femme c'est triste...
La vie m'échappe, elle me détruit, écrire n'est qu'une manière d'y survivre - la seule manière. Je ne vis pas pour écrire, j'écris pour survivre à la vie. Je me sauve. Se faire un roman, c'est se bâtir un asile.
La seule façon de se sortir d'une histoire personnelle, c'est de l'écrire.
Marguerite Duras